Analyse
Les corticoïdes en application locale sont-ils efficaces comme traitement du phimosis ?
Contexte
En cas de phimosis, le prépuce du garçon ne peut être rétracté à l’arrière du gland (décalottage impossible). Un phimosis physiologique est présent chez environ 96% des nouveau-nés mâles. Il disparaît avec le temps ; il est encore présent à l’âge d’1 an chez 50% des enfants, chez 10%, à l’âge de 3 ans chez 6 à 8% à l’âge de 6 ans et chez 1% à l’âge de 16 ans (1). Le phimosis pathologique se caractérise par une cicatrice distale du prépuce, souvent due à 1une balanite (chronique), se présentant cliniquement comme un anneau blanc et dur autour de l’orifice du prépuce. Cette pathologie ne survient qu’après l’âge de 5 ans ; son incidence cumulative est de 0,6 à 1% jusqu’à l’âge de 12 ans (2). Contrairement au phimosis physiologique, le phimosis pathologique nécessite toujours un traitement. L’application locale de corticoïdes est mise en avant comme traitement alternatif efficace et sans danger avant de passer à une correction chirurgicale par circoncision ou plastie du prépuce (préputioplastie). Une précédente revue systématique de 2014 (3) a mis en évidence le fait que les rapports des études originales n’étaient pas effectués de manière optimale, ce qui laissait planer une ambiguïté sur l’efficacité des corticoïdes en application locale. Cette synthèse méthodique a récemment été mise à jour (4).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyse.
Sources consultées
- le registre central Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL ; 2023, numéro 10) dans la Cochrane Library, MEDLINE Ovid, Embase.com, LILACS (base de données d’information d’Amérique latine et des Caraïbes sur les sciences de la santé), le registre des essais en cours des Instituts américains de la santé (US National Institutes of Health Ongoing Trials Register), ClinicalTrials.gov ; jusqu’au 4 octobre 2023
- listes de références des synthèses méthodiques et études originales, rapports d’évaluation des technologies de la santé (Health Technology Assessment, HTA) et guides de pratique clinique
- pas de restriction quant à la langue de publication et pas de limitation relative au statut de publication.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion : études randomisées contrôlées (RCTs) portant sur l’application locale d’une pommade à base de corticoïdes (de n’importe quel type et à n’importe quelle concentration au niveau de la partie rétrécie du prépuce pendant n’importe quelle durée), par comparaison avec une pommade placebo ou avec l’absence de traitement chez des garçons présentant un phimosis ; les interventions concomitantes, telles qu’une rétraction manuelle du prépuce, étaient autorisées à conditions d’être effectuées à la fois dans le groupe intervention et dans le groupe
- critères d’exclusion études ayant inclus des garçons dont le prépuce ne présentait pas d’anneau phimotique mais qui ne pouvait pas être rétracté en raison d’adhérences balano-préputiales (fines adhérences entre la partie interne du prépuce et la surface du gland sans que l’orifice du prépuce soit étroit et empêche le décalottage), ou garçons ayant précédemment subi un traitement du phimosis, comme la circoncision (ablation totale du prépuce), une préputioplastie (reconstruction du prépuce avec agrandissement de l’orifice), l’application locale de corticoïdes ou d’autres médicaments topiques
- au total, 14 études ont été incluses : 13 études (1406 participants) comparaient les corticoïdes en application locale et une pommade placebo, et 1 étude (53 participants) comparait les corticoïdes en application locale et uniquement les mesures d’hygiène combinées à une rétraction manuelle ; dans 123 études (1286 participants) la rétraction manuelle du prépuce était une intervention concomitante.
Population étudiée
- garçons âgés de 0 à 18 ans présentant un phimosis de quelque grade ou type que ce soit (physiologique ou pathologique, congénital ou acquis) dont le diagnostic a été posé par un médecin et pour lequel un traitement actif est envisagé
- finalement, inclusion de 1459 garçons ayant de 18 jours à 17 ans.
Mesure des résultats
- principal critère de jugement : différence, exprimée en pourcentage, de résolution complète du phimosis, le gland pouvant être complètement décalotté et entièrement visible sans rétrécissement visible (critère de jugement dichotomique), exprimée en RR (avec IC à 95%)
- critères de jugement secondaires :
- résolution partielle du phimosis sans que le gland ne soit entièrement visible (critère de jugement dichotomique), exprimée en RR (avec IC à 95%)
- variation du score de rétractabilité (critère de jugement continu), exprimée en différence moyenne standardisée (DMS) (avec IC à 95%)
- résolution complète du phimosis pendant une longue période (au moins six mois après le traitement) (critère de jugement dichotomique), exprimée en RR (avec IC à 95%)
- survenue d’effets indésirables locaux ou systémiques associés à l’utilisation de corticoïdes en application locale sur le prépuce (critère de jugement dichotomique), exprimée en RR (avec IC à 95%)
- méta-analyse suivant le modèle à effets aléatoires.
Résultats
- résultats pour le critère de jugement primaire :
- le nombre de patients présentant une résolution complète du phimosis était plus élevé dans le groupe recevant l’application locale de corticoïdes que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative (voir tableau)
- ce gain statistiquement significatif persistait dans les différents sous-groupes ; la probabilité de résolution complète avec l’application locale de corticoïdes était toutefois statistiquement plus élevée chez les enfants de moins de 3 ans que chez ceux de plus de 3 ans (p = 0,04) ; l’ampleur de l’effet n’était pas différente de manière statistiquement significative entre une durée de traitement de 4 semaines et une durée de 6 à 8 semaines, ni entre les corticoïdes puissants, modérés et faibles (voir tableau)
- résultats pour les critères de jugement secondaires :
- le nombre de patients présentant une résolution partielle du phimosis et une résolution pendant au moins six mois après le traitement était plus élevé dans le groupe recevant l’application locale de corticoïdes que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative (voir tableau)
- le score de rétractabilité était plus faible dans le groupe recevant l’application locale de corticoïdes que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative (voir tableau)
- peu ou pas de différence quant à la survenue d’effets indésirables locaux ou systémiques entre l’application locale de corticoïdes topiques et le placebo (voir tableau).
Tableau 1. Résultats du principal critère de jugement et des critères de jugement secondaires entre l’application locale de corticoïdes et le placebo ou l’absence de traitement.
Critère de jugement |
Sous-groupe |
Nombre d’études (participants)N(n) |
Nombre de participants avec critère de jugement (total des participants) |
RR ou DMS[IC à 95%] |
I² |
Niveau de preuve |
||
CorticoïdesC (c) |
Placebo ou absence de traitementP (p) |
|||||||
Principal critère de jugement |
Résolution complète |
sans objet |
10 (834) |
279 (461) |
94 (373) |
RR de 2,73[1,79 à 4,16] |
72% |
Faible |
Âge des participants* |
< 3 ans |
2 (120) |
32 (60) |
5 (60) |
RR de 6,27[2,63 à 14,94] |
0% |
/ |
|
≥ 3 ans |
8 (714) |
247 (401) |
89 (313) |
RR de 2,32[1,55 à 3,47] |
70% |
/ |
||
Durée du traitement* |
4 semaines |
4 (386) |
123 (195) |
40 (191) |
RR de 4,80[1,38 à 16,66] |
88% |
/ |
|
|
6-8 semaines |
6 (448) |
156 (266) |
54 (182) |
RR de 1,92
|
35% |
/ |
|
Puissance du corticoïde* |
Élevée |
5 (459) |
177 (270) |
54 (189) |
RR de 2,67[1,37 à 5,19] |
81% |
/ |
|
|
Modérée |
3 (264) |
84 (132) |
38 (132) |
RR de 2,49[1,21 à 5,11] |
70% |
/ |
|
|
Faible |
2 (111) |
18 (59) |
2 (52) |
RR de 8,17[2,00 à 33,40] |
0% |
/ |
|
Critères de jugement secondaires |
Résolution partielle |
sans objet |
7 (745) |
201 (416) |
98 (329) 29,7% |
RR de 1,68[1,17 à 2,40] |
44% |
Faible |
|
Score de rétractabilité |
sans objet |
2 (177) |
(86) |
(91) |
DMS de -1,48[-2,93 à
|
91% |
Très faible |
|
Résolution complète après au moins 6 mois |
sans objet |
2 (280) |
98 (140) |
24 (140) 17,1% |
RR de 4,09[2,80 à 5,97] |
0% |
Faible |
|
Effets indésirables |
sans objet |
11 (1 091) |
1 (554) |
6 (537) 1,1% |
RR de 0,28[0,03 à 2,62] |
22% |
Faible |
Légende : * Analyse de sous-groupe ; N : nombre d’études ; n : nombre de participants ; C : nombre de participants sous corticoïdes avec critère de jugement ; c : nombre total de participants sous corticoïdes ; P : nombre de participants sous placebo ou absence de traitement avec critère de jugement ; p : nombre total de participants sous placebo ou absence de traitement ; RR : risque relatif ; DMS : différence moyenne standardisée ; I² : hétérogénéité statistique ; IC : intervalle de confiance à 95%.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’application locale de corticoïdes, par rapport à un placebo ou à l’absence de traitement, peut augmenter la résolution partielle et complète du phimosis après quatre à huit semaines de traitement. Elle peut également augmenter la résolution complète du phimosis sur le long terme, six mois ou plus après le traitement. L’application locale de corticoïdes n’entraîne pas ou que peu d’effets indésirables, et l’on ne connaît pas l’effet sur les scores de rétractabilité. Le niveau de preuve est limité en raison de la médiocrité du rapport concernant la méthodologie dans les études, de l’importante hétérogénéité clinique et de la très grande imprécision des résultats. De futures études cliniques de qualité élevée avec un suivi à long terme devraient permettre de mieux comprendre l’effet des corticoïdes en application locale dans le traitement du phimosis chez les garçons.
Financement de l’étude
Source interne : Family Medicine Department, School of Medicine, Pontificia Universidad Catolica de Chile, Chili, In-kind support ; source externe : Fonds de recherche en Santé (Fondo Nacional de Investigación y desarrollo en Salud, FONIS), Chili; le FONIS est un fonds gouvernemental qui finance la recherche en santé au Chili pour les chercheurs des universités locales ou du système national de santé.
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette synthèse méthodique a été menée conformément à la méthodologie de la Cochrane Collaboration. Les auteurs ont effectué une recherche documentaire approfondie dans plusieurs bases de données, sans restriction quant à la langue de publication ou au statut de publication. Ils ont également contacté les auteurs des études originales pour obtenir les données manquantes. Un biais de publication n’a toutefois pas pu être totalement exclu en raison de l’asymétrie du funnel plot (les études les plus petites ayant toutes donné des résultats positifs). Deux chercheurs indépendants ont sélectionné les différentes RCTs, et ils ont évalué le risque de biais par consensus à l’aide de l’outil Cochrane « risque de biais » (Risk of Bias, RoB). Pour la plupart des études, il y avait une incertitude concernant le processus de randomisation et le secret de l’attribution. Bien que toutes les études, sauf une, aient été réalisées en double aveugle avec un groupe placebo, les chercheurs ont estimé que le risque de biais de performance était indéterminé pour 11 des 14 études, car elles n’indiquaient pas clairement que les participants et le personnel de l’étude étaient en aveugle. Il en va de même pour le biais de détection : 9 études sur 14 ne décrivent pas dans quelle mesure l’évaluation de l’effet a été réalisée en aveugle. Les critères de jugement étant partiellement subjectifs, cela pose un risque important pour la validité interne des résultats.
En outre, les études incluses présentent une importante hétérogénéité clinique en termes de populations étudiées (âge des participants, gravité du phimosis), d’interventions (type de corticoïde et durée du traitement) et de critères de jugement. Cette hétérogénéité clinique réduit la pertinence directe des résultats. Le GRADE est globalement faible étant donné le risque de biais des différentes études, les résultats incohérents dus à une hétérogénéité statistique souvent élevée, l’imprécision et le biais de publication.
Évaluation des résultats
Les résultats ont montré que la probabilité de résolution complète du phimosis était presque trois fois plus élevée (RR de 2,73) avec des corticoïdes en application locale qu’avec une pommade placebo. En chiffres absolus, cela représente une différence absolue d’environ 35% (60% - 25%), ce qui est beaucoup plus élevé que la différence minimale cliniquement pertinente de 5% suggérée initialement par les auteurs de la revue. Les chercheurs ont ensuite calculé qu’avec une probabilité de base de 25% de résolution dans le groupe placebo, 436* (avec IC à 95% 199 à 796) patients supplémentaires sur 1000 traités par corticoïdes topiques obtiendraient une guérison. Étant donné que l’autre traitement actif implique une intervention chirurgicale, nous pouvons considérer ce résultat comme cliniquement pertinent pour de nombreux patients. Ce traitement pourrait donc être systématiquement recommandé comme première étape, avant d’envisager une intervention chirurgicale, pour les garçons dont le phimosis ne se résout pas. Toutefois, ce résultat positif après 4 à 8 semaines de traitement n’exclut pas la nécessité d’un traitement plus invasif par la suite. La résolution à long terme est donc au moins aussi importante. Les corticoïdes en application topique se sont avérés clairement avantageux à cet égard également. Les chercheurs ont calculé qu’avec une probabilité de base de 17% de rétablissement dans le groupe placebo, le nombre de patients supplémentaires qui seront rétablis six mois après le traitement est de 529 (avec IC à 95% 308 à 850) sur 1000. Les effets indésirables étaient légers et plutôt rares. La prudence est néanmoins de rigueur en raison de la notification incomplète des effets indésirables dans les études incluses, ce qui peut favoriser la sous-estimation des risques que le traitement peut comporter. Même si le rapport risques-bénéfices semble favorable, il faut encore souligner ici le faible niveau de preuve des effets calculés.
La population hétérogène de l’étude, composée de patients nécessitant un traitement actif pour le phimosis, est certainement conforme à ce que l’on observe en pratique clinique, ce qui autorise une extrapolation aux soins de première ligne. L’intervention est facilement applicable, peu coûteuse, non invasive et donc réalisable dans un contexte de soins de première ligne. La comparaison avec un placebo ou avec l’absence de traitement est également pertinente car la résolution spontanée est fréquente dans un pourcentage important de cas de phimosis physiologique. En raison de l’importante hétérogénéité clinique, aucune intervention (type de corticoïde, durée du traitement) ne peut être clairement recommandée.
- Probabilité de rétablissement dans le groupe traitement = RR x probabilité de rétablissement dans le groupe témoin = 2,73 x 0,25 = 0,68
- Différence absolue de probabilité de rétablissement entre les deux groupes = 0,68 – 0,25 = 0,43.
- Nombre de cas supplémentaires de rétablissement pour 1 000 personnes dans le groupe traitement = 0,43 x 1 000 = 436.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations de l’Association européenne d’urologie (European Association of Urology, EAU) sont les plus récentes sur ce sujet (5). Le site ebpracticenet.be ne contient pas de guide de pratique clinique belge clair pour la première ligne. Les recommandations de l’EAU soulignent l’importance d’une bonne hygiène, le gland ne devant pas être décalotté tant que cela n’est pas possible en douceur. En outre, en cas de phimosis pathologique, l’application de corticoïdes très puissants peut être recommandée dans un premier temps. Il est préférable de les appliquer sur l’anneau phimotique deux fois par jour pendant quatre à huit semaines. Dès que le décalottage est possible, il doit être effectué régulièrement pour éviter une rechute du phimosis. L’application locale de corticoïdes est sans danger, mais il y a un risque de problèmes cutanés en cas d’utilisation trop fréquente ou pendant trop longtemps. En cas de phimosis réfractaire ou d’inflammation du gland et du prépuce (balanoposthite) récurrente due au phimosis, une intervention chirurgicale peut être envisagée.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique Cochrane avec méta-analyse montre que l’utilisation de corticoïdes topiques pendant 4 à 8 semaines peut accroître la probabilité d’obtenir une résolution partielle ou complète du phimosis, par comparaison avec un placebo ou avec l’absence de traitement. Cette revue systématique avec méta-analyse est de bonne qualité méthodologique, mais elle se base sur des études originales présentant une hétérogénéité clinique et de nombreuses limitations méthodologiques, ce qui réduit considérablement la fiabilité des résultats rapportés.
- Morris BJ, Matthews JG, Krieger JN. Prevalence of phimosis in males of all ages: systematic review. Urology 2020;135:124-32. DOI: 10.1016/j.urology.2019.10.003
- Rickwood AM. Medical indications for circumcision. BJU Int 1999;83(Suppl 1):45-51. DOI: 10.1046/j.1464-410x.1999.0830s1045.x
- Moreno G, Corbalán J, Peñaloza B, et al. Topical corticosteroids for treating phimosis in boys. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD008973.PUB2
- Moreno G, Ramirez C, Corbalán J, et al. Topical corticosteroids for treating phimosis in boys. Cochrane Database Syst Rev 2024, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD008973.pub3
- Bujons A, Burgu B, Castagnetti M, et al. Paediatric Urology. EAU Guidelines. Published online 2025. À consulter sur le site web: uroweb.org
Auteurs
Spinoit A-F.
Kinder- en reconstructieve uroloog, UZ Gent; KinderUrologie, UGent
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Dullaert L.
student Geneeskunde, UGent
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
N47
Y81
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