Analyse


Symptômes physiques multiples et persistants : efficacité de consultations spécifiques par des médecins généralistes ?


19 09 2025

Professions de santé

Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Burton C, Mooney C, Sutton L, et al. Effectiveness of a symptom-clinic intervention delivered by general practitioners with an extended role for people with multiple and persistent physical symptoms in England: the Multiple Symptoms Study 3 pragmatic, multicentre, parallel-group, individually randomised controlled trial. Lancet 2024;403:2619-29. DOI: 10.1016/S0140-6736(24)00700-1


Question clinique
Chez des patients adultes présentant des symptômes physiques multiples et persistants, quelle est l’efficacité, comparée aux soins usuels, de l’ajout de consultations menées par un médecin généraliste, dans une clinique dédiée, en termes de réduction de la gêne occasionnée par ces symptômes ?


Conclusion
Cet essai contrôlé randomisé pragmatique de bonne qualité méthodologique montre que la gêne occasionnée par des symptômes physiques multiples et persistants peut être diminuée par de consultations dédiées, menées par un médecin généraliste, visant notamment à expliquer les symptômes aux patients. Il semble néanmoins que le seuil de pertinence clinique ne soit pas atteint. L’applicabilité de cette approche en Belgique serait à étudier.


Contexte

Minerva s’est penché à deux reprises sur la question des « symptômes non expliqués médicalement » : en 2008, au travers d’un essai randomisé montrant un effet positif à court terme de la thérapie cognitivo-comportementale (1,2), et, en 2016, au travers d’une étude qualitative mettant en avant le désarroi des étudiants en médecine dans ces situations (3,4). En Angleterre, les autrement nommés « troubles fonctionnels » représenteraient 30% des références vers les spécialistes (5). Comme on le voit, la nosologie des ces conditions reste assez mouvante, avec également le terme Mesh équivalent « troubles somatoformes » et, au vu du développement de la compréhension physiopathologique des phénomènes douloureux, des auteurs qui défendent plutôt l’appellation « symptômes physiques multiples et persistants » (6). Toujours en Angleterre, 2% de la population souffrirait de ces derniers, avec un impact considérable sur leur qualité de vie (7). Une étude rigoureuse et pragmatique en soin primaire, avec un suivi plus long, était la bienvenue sur ce sujet (8). 

 

 

Résumé 

 

Population étudiée 

  • recrutement effectué via 108 cabinets de médecine générale dans quatre régions d’Angleterre (Yorkshire et Humber, Greater Manchester, Newcastle et Gateshead, et nord-ouest de Londres) en utilisant une recherche structurée dans les dossiers électroniques, suivi de l’avis du médecin traitant sur la présence d’une situation de “ symptômes physiques multiples et persistants ” (absence de pathologies bien identifiées sous-jacentes à l’origine des symptômes douloureux) et finalement d’une invitation par lettre
  • critères d'inclusion : 
    • adultes âgés de 18 à 69 ans avec un score PHQ-15 compris entre 10 et 20, la présence d’au moins un code correspondant à un syndrome douloureux défini, et au moins deux renvois à des spécialistes au cours des 36 à 42 derniers mois
  • critères d'exclusion :
    • patients présentant un score PHQ-15 supérieur à 20, antécédents de maladies organiques majeures pouvant expliquer les douleurs, des difficultés importantes d’autonomie, des idées suicidaires, une barrière linguistique (difficulté à suivre une consultation en anglais sans aide), une grossesse dans les 6 derniers mois ou un suivi en cours en rééducation spécialisée ou chez le psychologue
  • au total, 354 participants ont été recrutés (178 dans le groupe intervention et 176 dans le groupe soins usuels), dont environ 82% de femmes ; l’âge médian était de 47 ans (écart interquartile 36–56 ans) ; 25 (7%) ont déclaré appartenir à un groupe ethnique minoritaire ; 136 (38%) n'avoir aucune qualification académique après l'âge de 16 ans, et 119 (34%) avoir obtenu au moins un diplôme universitaire.

 

Protocole d'étude

Essai clinique contrôlé randomisé, pragmatique ; randomisation individuelle avec allocation centralisée

  • intervention : 
    • série d’un maximum de quatre consultations individuelles, assurées dans un centre dédié (= une “clinique des symptômes”), par des médecins généralistes spécialement recrutés pour l’étude et supervisés par l’équipe de recherche ; la première consultation durait environ 50 minutes, suivie de maximum trois consultations de 15 à 20 minutes chacune, étalées sur 6 à 12 semaines 
    • les participants recevaient un SMS de rappel la veille de chaque consultation et se voyaient proposer un autre rendez-vous s'ils en manquaient un
    • l’intervention reposait sur le modèle REAL (pour “Recognition, Explanation, Action, and Learning”), visant à écouter activement le patient, à co-construire une explication des symptômes basée sur les données scientifiques les plus récentes et à élaborer des stratégies de gestion adaptées
  • comparateur : soins usuels
  • étude menée entre le 6 décembre 2018 et le 30 juin 2023 ; initialement menée en présentiel pour le recrutement et la mise en œuvre de l'intervention, l‘étude a toutefois été interrompue entre le 14 mars et le 24 août 2020 en raison de la pandémie de covid19 et s’est poursuivie grâce à la mise en place de visioconférences ou d’appels téléphoniques.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : amélioration des symptômes multiples via le score auto-déclaré sur le « Patient Health Questionnaire » (PHQ-15) à 52 semaines
  • critères de jugement secondaires : diverses mesures incluant la qualité de vie (EQ-5D-5L, SF-6D, ICECAP-A), la sévérité des symptômes dépressifs (PHQ-9) et anxieux (GAD-7), la capacité à participer aux rôles sociaux (PROMIS-APS), l’impression globale du changement (PGIC), ainsi que l’utilisation des soins (via questionnaire auto-complété).
  • analyses en ITT + analyses de sensibilité prédéfinies ont été réalisées pour le critère d'évaluation principal
  • les analyses ont été réalisées à l’aide de modèles de régression à effets mixtes, tenant compte de l’hétéroscédasticité et d’une structure partiellement imbriquée ; ces modèles ont donc pris en compte à la fois des effets fixes (variables prédictives) tels que les scores initiaux des participants, leur sexe, leur âge et leur répartition, ainsi que le fait  que certains participants avaient le même médecin généraliste (et n'étaient donc pas totalement indépendants) ; cet « effet de grappe » des médecins généralistes a été modélisé comme un effet aléatoire, mais uniquement pour le groupe d'intervention, dans lequel les médecins généralistes jouaient un rôle actif.

 

Résultats 

  • sur les 178 participants assignés au groupe d'intervention, 165 (93%) ont assisté à la consultation initiale, 156 (88%) ont assisté à la consultation initiale plus au moins une session de suivi, 143 (80%) ont assisté à la consultation initiale plus au moins deux sessions de suivi et 122 (69%) ont assisté à toutes les sessions
  • les résultats ont montré :
    • critère de jugement primaire : à 52 semaines, le score moyen PHQ-15 était de 12,2 dans le groupe intervention versus 14,1 dans le groupe soins habituels, avec une différence ajustée de -1,82 (avec IC à 95% de -2,67 à -0,97 ; p < 0,0001), soit statistiquement significative en faveur de l’intervention
    • critères de jugement secondaires : 
      • des tendances vers une amélioration de la qualité de vie, des symptômes dépressifs et anxieux ont été observées dans le groupe intervention, bien qu’aucune des mesures secondaires n’ait atteint la significativité statistique
      • pas de différence en termes d’effets indésirables (par exemple anxiété ou retard diagnostique avec préjudices) entre les deux groupes ; aucun effet indésirable grave lié à l’intervention n’a été rapporté.

 

Conclusion des auteurs 
Les auteurs concluent que « Notre intervention clinique des symptômes, qui consistait à expliquer aux participants leurs symptômes persistants afin de les aider à mieux se prendre en charge, a permis d'améliorer durablement leurs symptômes physiques multiples et persistants ».

 

Financement de l’étude

L’étude a été financée par le UK National Institute for Health and Care Research (NIHR) ; selon les auteurs, il n’y a pas eu d’influence sur la collecte, l’analyse ou l’interprétation des données ; l’auteur principal a reçu des royalties de l’éditeur Wiley.

 

Discussion 

 

Évaluation de la méthodologie

L’article est agréable à lire et le protocole de l’étude est assez bien décrit. Le calcul de la taille d’échantillon a été basé sur une puissance statistique de 90% et un niveau de signification α de 5%, en supposant une perte de suivi de 25% et une variabilité potentielle entre centres de 6%. Cela a conduit à une estimation initiale de 376 participants. Toutefois, au cours des six derniers mois du protocole, ce nombre a été réduit à 350 après concertation avec le comité de pilotage et le financeur, la perte de suivi observée étant inférieure à celle anticipée, ce qui permettait de maintenir la puissance statistique prévue. Le processus de recrutement des participants comportait plusieurs étapes susceptibles d’introduire un biais de sélection. Les patients potentiels ont été identifiés par une recherche structurée dans les dossiers électroniques des cabinets de médecine générale, puis filtrés par un médecin généraliste du cabinet afin d’exclure ceux dont les symptômes étaient jugés plus probablement attribuables à une pathologie organique. Cette étape de jugement clinique, bien que nécessaire, introduit une part de subjectivité, d’autant plus que la définition des “ symptômes physiques multiples et persistants ” reste évolutive et imprécise. Par ailleurs, les invitations à participer ont été envoyées par voie postale, une méthode connue pour entraîner de faibles taux de réponse. Les auteurs ont mesuré le niveau de littératie en santé des participants inclus à l’aide du questionnaire HLS-EU6, et ont constaté que celui-ci était équivalent, voire inférieur, à celui de la population générale, ce qui rassure partiellement sur le risque de biais de sélection lié à l’accessibilité de l’information.  La randomisation étant individuelle et pas “en grappe” (au niveau du centre de santé), un risque de “contamination” (des participants du groupe intervention communiquant avec ceux du groupe contrôle) n’est pas exclu mais minimisé par le fait que l’intervention se réalisait en dehors du lieu de soin habituel. Le choix de l’évaluation du critère principal à 52 semaines, soit environ 9 à 10 mois après le dernier contact avec la clinique des symptômes, visait à limiter l’influence d’effets non spécifiques liés à l’attention portée aux participants ou à un biais de désirabilité sociale dans les réponses autodéclarées. Par ailleurs, la mise en œuvre de l’intervention a fait l’objet d’un suivi rigoureux, avec une évaluation de la fidélité au protocole jugée satisfaisante selon les critères du modèle REAL. Les auteurs affirment une analyse des résultats en intention de traiter mais indiquent dans leur diagramme de flux ne pas y avoir inclus les participants qui se sont retirés de l’étude et ceux perdus de vue. 

 

Évaluation des résultats

Les résultats sont donc statistiquement significatifs en faveur de l’intervention pour le critère primaires. Malgré les 70 pages d’annexes référencées, le lecteur manque peut-être d’éléments de contexte (par exemple sur l’organisation concrète de cette “clinique des symptômes”, sur la formation complémentaire des médecins généralistes qui y tenaient les consultations, ou encore l’intensité des soins usuels), ce qui est essentiel dans l’interprétation des résultats d’une intervention complexes. Une différence moyenne de points a été calculée comme seuil de pertinence clinique sur bases d’études antérieures. À la décharge des auteurs, la publication définissant ce seuil à 2,3 points n’a été disponible qu’après le début de cette étude. L’intervention semble sûre mais la pertinence globale de l’intervention pose question, notamment en termes de délégation à un second médecin généraliste en dehors du centre de santé habituel. Il y a là un risque de perte de globalité et d’intégration des soins (9) mais aussi de manque de main d’œuvre. Plus globalement, est-ce bien le médecin généraliste qui est le plus à même de réaliser ce genre d’intervention ? 
Cette recherche a le grand mérite, dans une démarche EBP pêchant parfois par son “empirisme naif”, de mettre en avant l’importance de l’explication des causes des symptômes ainsi que des mécanismes par lesquelles nos interventions pourraient fonctionner. Comme le disent très bien Claude Richard et Holly Witteman, parfois : “le raisonnement permet de rétablir l’harmonie entre l’observation (le vécu du patient) et le risque calculé (par la démarche EBP et communiqué par le médecin)" (10). C’est toute la richesse de la médecine dite “narrative” (11).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Une mise à jour récente du guide WOREL sur la douleur chronique (12) recommande, sur base d’un consensus d’expert, d’intégrer l’éducation à la douleur dans les différentes phases du traitement. Les auteurs ajoutent dans l'explication sous-jacente que : “Les patients ont souvent une théorie de leur maladie et de son traitement. La volonté de se libérer d'une croyance spécifique n'apparaît que lorsqu'une alternative convaincante est proposée.” 

 

 

Conclusion de Minerva

Cet essai contrôlé randomisé pragmatique de bonne qualité méthodologique montre que la gêne occasionnée par des symptômes physiques multiples et persistants peut être diminuée par de consultations dédiées, menées par un médecin généraliste, visant notamment à expliquer les symptômes aux patients. Il semble néanmoins que le seuil de pertinence clinique ne soit pas atteint. L’applicabilité de cette approche en Belgique serait à étudier.

 

 


Références 

  1. Van Mechelen W. Thérapie comportementale cognitive pour des plaintes médicales inexpliquées ? MinervaF 2008;7(4):54-5.
  2. Escobar JI, Gara MA, Diaz-Martinez AM, et al. Effectiveness of a time-limited cognitive behavior therapy-type intervention among primary care patients with medically unexplained symptoms. Ann Fam Med 2007;5:328-35. DOI: 10.1370/afm.702
  3. Henrard G. Symptômes non expliqués médicalement : le désarroi des étudiants en médecine en formation. MinervaF 2016;15(7):175-9
  4. Yon K, Nettleton S, Walters K, et al. Junior doctors’ experiences of managing patients with medically unexplained symptoms: a qualitative study. BMJ Open 2015;5:e009593. DOI: 10.1136/bmjopen-2015-009593
  5. Nimnuan C, Hotopf M, Wessely S. Medically unexplained symptoms: an epidemiological study in seven specialities. J Psychosom Res 2001;51:361-7. DOI: 10.1016/s0022-3999(01)00223-9
  6. Marks EM, Hunter MS. Medically unexplained symptoms: an acceptable term? Br J Pain 2015;9:109-14. DOI: 10.1177/2049463714535372
  7. Verhaak PF, Meijer SA, Visser AP, Wolters G. Persistent presentation of medically unexplained symptoms in general practice. Fam Pract 2006;23:414-20. DOI: 10.1093/fampra/cml016
  8. Burton C, Mooney C, Sutton L, et al. Effectiveness of a symptom-clinic intervention delivered by general practitioners with an extended role for people with multiple and persistent physical symptoms in England: the Multiple Symptoms Study 3 pragmatic, multicentre, parallel-group, individually randomised controlled trial. Lancet 2024;403:2619-29. DOI: 10.1016/S0140-6736(24)00700-1
  9. Belche J, Duchesnes C, Darras, C, et al. Would you care for some integrated care in your fragmented health system? A participatory action research to improve integration between levels of care in a Belgian urban setting. Int J Integr Care 2016;16:A73. DOI: 10.5334/ijic.2621
  10. Richard C, Witteman HO. La communication au sujet des risques. Chapitre 12 dans:  La communication professionnelle en santé, 2e édition, Pearson ERPI, 2016.
  11. Greenhalgh T. Narrative based medicine in an evidence based world.  BMJ 1999;318:323-5.  DOI: 10.1136/bmj.318.7179.323
  12. Van Cauwenbergh S, L. De Coninck L, S. Cordyn S, et al. Guide de pratique clinique Prise en charge multimodale de la douleur chronique primaire. WOREL, mise à jour 2024. 


Auteurs

Henrard G.
Département de Médecine générale, ULiège
COI :

Code


F45, R52
A01, P75


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