Revue d'Evidence-Based Medicine
Dans quelle mesure les guides de bonne pratique aident-ils le médecin généraliste dans sa pratique médicale ?
Contexte
Les guides de bonne pratique aident les médecins à perfectionner leurs connaissances médicales de manière continue et à les appliquer dans leur pratique. Cependant, la mise en œuvre des guides de bonne pratique dans la pratique de médecine générale (1,2) reste difficile parce que les médecins généralistes traitent souvent des patients présentant des affections complexes et des problèmes de santé multiples, tandis que les guides de bonne pratique disponibles sont axés sur le traitement de diagnostics clairement définis. On ne sera donc pas étonné qu’une étude antérieure ait montré une différence considérable entre la pratique clinique, de terrain, des médecins, et ce que les guides de bonne pratique préconisent comme traitements et comme objectifs (1-5).
Résumé
Population étudiée
- 132 médecins généralistes travaillant dans 14 centres de santé de première ligne dans la partie nord-ouest de Stockholm (Suède) ayant déjà montré auparavant leur intérêt pour le développement des guides de bonne pratique, ont été invités par courrier électronique à participer à l’étude
- inclusion finale de 22 médecins généralistes, dont 16 femmes, provenant de 7 centres ; leur expérience médiane était de 7 ans (avec intervalle interquartile - IQR - de 3 à 14 ans) ; 6 étaient en formation.
Protocole de l’étude
- étude qualitative
- 4 entretiens semi-structurés sous forme de focus groupes d’une durée d’une heure et demie à deux heures, avec chaque fois un groupe de 3 à 8 médecins généralistes, au cours desquels les deux mêmes investigateurs menaient l’entretien; 3 questions ouvertes concernant 3 domaines importants ont été posées : comment utiliser les guides de bonne pratique dans le processus décisionnel ? quels sont les facteurs qui influencent la décision d’utiliser ou non un guide de bonne pratique déterminé ? dans quelle mesure les guides de bonne pratique peuvent-ils favoriser le processus d’apprentissage dans la pratique quotidienne ?
- traitement des données au moyen d’une analyse qualitative :
- identification des différents éléments cités qui veulent dire la même chose
- regroupement des éléments cités en catégories
- attribution de thèmes, après analyse abstraite et interprétative du contenu des catégories.
Résultats
Les investigateurs arrivent finalement à 3 thèmes qui décrivent la manière dont les médecins généralistes approchent et utilisent les guides de bonne pratique en première ligne (voir tableau en-dessous ):
- « utiliser les guides de bonne pratique par le biais de dialogues contextualisés interactifs » : les catégories qui sous-tendent ce thème sont : l’importance d’un feed-back de la part des confrères au cours de fréquents dialogues en groupes structurés favorisant l’apprentissage ; l’importance d’une collaboration et d’un bon dialogue dans le respect mutuel entre la première et la deuxième ligne dans le but de cet apprentissage mutuel.
- « apprentissage qui établit la confiance pour prodiguer des soins de grande qualité » ; les catégories qui sous-tendent ce thème de la confiance sont : confiance par la confirmation des connaissances déjà présentes ; confiance en la fiabilité ; confiance en l’évaluation de ses propres résultats
- « apprentissage par l’utilisation d’éléments de preuve pertinents à la prise de décisions » : 2 catégories sous-tendent ce thème : guides de bonne pratique brefs et concis ; présentation pédagogique et accessible.
Tableau. Citations en fonction des thèmes et catégories.
Thème |
Catégorie |
Citation |
Thème 1. Apprentissage de l’utilisation des guides de bonne pratique au moyen d’un dialogue interactif contextualisé |
Feed-back grâce à l’apprentissage avec des confrères Feed-back grâce à la collaboration, l’apprentissage commun et l’égalité entre les spécialités |
Stimulation des médecins grâce à des réunions structurées en groupe ; possibilité de réflexion : « … introduit de manière structurée dans notre concertation : Que dois-je faire une fois que j’ai diagnostiqué une hypertension ?... Nous avons fait un tour de table, et chacun a pu dire quelque chose… Il y avait aussi tout à coup du temps pour y réfléchir ensemble. » - Femme Collaboration entre la première ligne et la deuxième ligne à propos du développement des nouveaux guides de bonne pratique : « Lorsque le guide de bonne pratique a dû être mis à jour, tous les médecins généralistes ont été invités pour une concertation… Il y a eu une brève présentation, suivie par un long dialogue… » - Femme |
Thème 2. Procédé sur lequel on compte pour prodiguer des soins de grande qualité
|
Confiance grâce à la confirmation Confiance grâce à la fiabilité Confiance grâce à l’évaluation de ses propres résultats |
La confirmation des connaissances favorise la qualité des soins : « Après quelques années, j’avais l’impression que… je savais comment faire et que je n’avais pas besoin de consulter les guides de bonne pratique… jusqu’à ce quelque chose se passe mal... J’ai eu peur, et je me suis remis à les consulter. » - Homme Confiance grâce à la consultation de confrères compétents et que l’on connaît bien : « Je travaille depuis longtemps sur l’île de Gotland, et, lorsqu’il y a quelque chose, je téléphone à l’hôpital, où je connais tout le monde… Je connais toujours bien la personne que j’ai en ligne… » - Femme L’évaluation d’une amélioration de la qualité des soins encourage à se conformer aux guides de bonne pratique : « J’aimerais bien voir les résultats… Je souhaite un suivi, un suivi personnel… On ne me fait jamais de commentaires sur ce que je fais, alors pourquoi devrais-je m’inquiéter ? » - Femme |
Thème 3. Apprentissage en utilisant les preuves pertinentes lors de la prise de décision |
Design et mise en pages (visualisation des preuves) L’acceptabilité est adaptée à la prise de décision clinique |
Mise en pages pédagogique : « Il ne faut pas non plus que ce soit trop concis… mais ordonné de manière à ce que l’on puisse rapidement trouver ce que l’on cherche. » - Femme Les mauvaises fonctionnalités de recherche prennent beaucoup de temps : « Le plus gros problème est d’être pressé par le temps… Il y a tellement d’informations, je ne saurais pas par où commencer mes recherches. » - Femme |
Conclusion
Les auteurs concluent que la prise de décision en matière de soins de santé de première ligne est un processus double, avec une utilisation équilibrée de la pensée tant intuitive qu’analytique dans le but de fournir des soins de grande qualité. Les aspects essentiels d’un apprentissage efficace dans ce processus décisionnel sont les suivants : un dialogue contextualisé basé sur sa propre expérience de médecin généraliste, un feed-back sur ses propres résultats et un accès aisé à des guides de bonne pratique concis et fiables perçus comme dignes de confiance.
Discussion
Méthodologie
L’étude qualitative par le biais d’entretiens semi-structurés en focus groupes avec des personnes ayant une même formation convient très bien pour rechercher les facteurs qui encouragent ou freinent l’utilisation des guides de bonne pratique en médecine générale. Après le quatrième entretien, les investigateurs avaient atteint la saturation. Les entretiens ont tous été réalisés en 7 mois afin de maintenir la cohérence. Ils ont été enregistrés et retranscrits par l’un des auteurs, puis examinés avec les enregistrements audio pour en contrôler l’exactitude. L’analyse qualitative a également été bien décrite et a aussi été réalisée de manière fiable par trois investigateurs qui, en respectant un consensus, ont recherché les bonnes catégories et les bons thèmes. On ignore toutefois si les éléments cités l’ont été dans tous les focus groupes ou seulement dans quelques-uns voire dans un seul. Un tableau permet de comprendre comment plusieurs citations ont été rassemblées en une catégorie et comment ces catégories ont formé les thèmes. Ces derniers sont cependant très, voire trop abstraits.
Interprétation des résultats
Pour l’interprétation des données, les investigateurs utilisent un cadre théorique bien décrit, la théorie des deux processus (dual-process theory) (6). Selon cette théorie, pour solutionner un problème dans la pratique de médecine générale (comme une question diagnostique), le fait de reconnaître un tableau clinique immédiatement ou non active une manière de penser intuitive (rapide, mais sensible au biais) ou analytique (plus lente, mais plus fiable). Un des deux systèmes de pensée aura le dessus en fonction de la nature de la pathologie, du contexte dans lequel elle se développe et de l’expérience du médecin. Les auteurs intègrent à cette théorie les trois thèmes qui ressortent de l’analyse.
Le premier thème souligne l’importance du dialogue dans la prise de décision clinique. Tant l’apprentissage entre pairs que la collaboration entre la première et la deuxième ligne favoriseraient une approche répétée par la pensée analytique, ce qui aiderait à apprendre à reconnaître de nouveaux tableaux cliniques. Les organigrammes, laissant peu de place à la réflexion personnelle, favoriseraient uniquement la pensée intuitive, ce qui n’aide pas à reconnaître de nouveaux tableaux cliniques. L’importance de ce dialogue pour le processus décisionnel des médecins est étayée par une étude qui a montré que l’attitude des médecins à l’égard de l’EBM est fortement corrélée avec les réseaux professionnels dans lesquels ils sont impliqués (7). Les guides de bonne pratique de nature rigide sont plutôt considérés comme des ordres et non comme faisant partie d’une formation continue ; ils représentent donc un frein et non un encouragement dans la prise de décision (2,4,8).
Le deuxième thème souligne l’importance de la confiance à avoir en ses compétences propres. En soi, cela peut favoriser une attitude positive vis-à-vis des guides de bonne pratique. Que cette confiance, d’après les médecins interrogés, puisse s’appuyer aussi bien sur des confrères compétents que sur des guides de bonne pratique fiables est un résultat qui demande un complément de recherche.
Le troisième thème souligne l’importance d’une accessibilité facile aux guides de bonne pratique et de la clarté de leur lay-out pour favoriser les processus cognitifs. Si ces conditions ne sont pas remplies, les médecins, par manque de temps, prendront leurs décisions en se basant sur leur intuition, ce qui entraînera plus d’écarts par rapport au contenu des guides de bonne pratique.
Conclusion
Les résultats de cette étude qualitative montrent que les guides de bonne pratique doivent s’appuyer sur la propre expérience du médecin et sur les spécificités, y compris contextuelles, de la pratique en première ligne. Les guides de bonne pratique doivent aussi comporter des méthodes d’apprentissage actives qui encouragent le dialogue et la réflexion. Un accès facile à des guides de bonne pratique concis et la possibilité de recevoir un feed-back concernant ses propres résultats sont des facteurs favorisants.
Pour la pratique
Les guides de bonne pratique actuels ne sont habituellement pas interactifs. Il s’agit de textes écrits, dont on espère que les médecins généralistes les liront, en retiendront quelque chose et les utiliseront dans leur pratique quotidienne. La littérature scientifique montre pourtant que les méthodes interactives améliorent les connaissances et les compétences et sont bénéfiques pour la pratique (9). Lors de sessions de formation avec des confrères, certains problèmes d’organisation au niveau local, comme par exemple la capacité à appliquer les guides de bonne pratique, peuvent être discutés. Les résultats de cette étude qualitative soulignent l’importance de l’utilisation des guides de bonne pratique dans la prise de décision des médecins généralistes. Pour les médecins généralistes, il est justifié que les guides de bonne pratique favorisent une interaction avec leur propre expérience et le contexte spécifique de la pratique de médecine générale. Les médecins généralistes aiment apprendre en utilisant des techniques d’apprentissage actives qui incitent au dialogue et à la réflexion. L’accès facile à des guides de bonne pratique concis et fiables ainsi que la possibilité d’avoir un feed-back sur ses prescriptions sont des éléments qui stimulent la promotion de la qualité des soins.
Références
- Grimshaw JM, Thomas RE, MacLennan G, et al. Effectiveness and efficiency of guideline dissemination and implementation strategies. Health Technol Assess 2004;8:1-72.
- Cabana MD, Rand CS, Powe NR, et al. Why don’t physicians follow clinical practice guidelines? A framework for improvement. JAMA 1999;282:1458-65.
- Bero LA, Grilli R, Grimshaw JM, et al. Closing the gap between research and practice: an overview of systematic reviews of interventions to promote the implementation of research findings. The Cochrane Effective Practice and Organization of Care Review Group. BMJ 1998;317:465-468.
- Lugtenberg M, Zegers-van Schaick JM, Westert GP, Burgers JS. Why don't physicians adhere to guideline recommendations in practice? An analysis of barriers among Dutch general practitioners. Implement Sci 2009;4:54.
- Carlsen B, Glenton C, Pope C. Thou shalt versus thou shalt not: a meta-synthesis of GPs’ attitudes to clinical practice guidelines. Br J Gen Pract 2007;57:971-8.
- Croskerry P. Clinical cognition and diagnostic error: applications of a dual process model of reasoning. Adv Health Sci Educ Theory Pract 2009;14(Suppl 1):27-35.
- Mascia D, Cicchetti A, Damiani G. “Us and Them”: a social network analysis of physicians’ professional networks and their attitudes towards EBM. BMC Health Serv Res 2013;13:429.
- Carlsen B, Kjellberg PK. Guidelines; from foe to friend? Comparative interviews with GPs in Norway and Denmark. BMC Health Serv Res 2010;10:17.
- Forsetlund L, Bjørndal A, Rashidian A, et al. Continuing education meetings and workshops: effects on professional practice and health care outcomes. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 2.
Auteurs
Anthierens S.
eerstelijnssocioloog, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, vakgroep ELIZA, Universiteit Antwerpen
COI :
Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :
Glossaire
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