Revue d'Evidence-Based Medicine
Fiabilité des recommandations des Guides de Pratique Clinique (GPC)
Merci Pierre ! En juin 2014, Pierre Chevalier, figure historique de Minerva, a mis fin à sa fonction de rédacteur en chef. En 2002, il a créé la version francophone de Minerva tout en assumant la tâche de rédacteur en chef. Son éditorial ci-dessous sur la fiabilité des recommandations est un exemple typique du travail critique et scientifique qu'il a accompli. Il a largement contribué au développement de l'Evidence Based Medicine en Belgique et aux soins dispensés au patient de par son souci d'objectivité, de fiabilité, de rigueur scientifique et d'honnêteté intellectuelle. Merci Pierre pour ton expertise, la qualité remarquable de ton travail, la grandeur de la tâche accomplie et les montagnes abattues. |
Eté meurtrier pour les GPC
Durant l’été 2013, plusieurs publications ont sérieusement ébranlé la confiance à accorder à différents guides de pratique. Des chercheurs de l’Université du Michigan (1) ont évalué 122 GPC (et 47 déclarations de consensus) publiés de 2005 à 2010 concernant les 4 principales causes de décès par cancer aux USA (poumon, sein, prostate et colorectal). Ils ont évalué le respect par les auteurs d’une méthodologie de référence pour l’élaboration de ces GPC, méthodologie de référence fixée par l’Institute of Medicine. Leur conclusion est sans appel : une large majorité des GPC (internationaux (94) ou étatsuniens (75)) ne répondent pas aux critères de référence permettant d’être digne de confiance. Un autre groupe d’auteurs (2), international, a évalué le respect des directives dans la formulation des recommandations des GPC publiés par la société d’endocrinologie étatsunienne. Selon la méthodologie GRADE, baser une recommandation forte sur un niveau de preuve faible ou très faible doit rester l’exception et être bien argumenté. Dans les GPC publiés de 2005 à 2011 par cette société savante, sur les 357 recommandations fortes, 59% étaient basées sur un niveau de preuve faible à très faible ; un peu plus d’1/4 de celles-ci ne comportaient aucune justification.
Conflits d’intérêt dans les GPC
Une enquête auprès d’experts de sociétés scientifiques ayant participé à la rédaction de guides de pratique clinique (N=37) en Amérique du Nord ou en Europe a montré que 87% des répondeurs signalaient avoir divers liens avec l’industrie pharmaceutique (3). Ces liens sont des subsides de recherche, des honoraires de consultance ou comme orateurs, des remboursements de frais divers. Certains éditorialistes vont jusqu’à considérer que les guides de pratique sont souvent devenus des outils de marketing pour les fabricants de dispositifs médicaux et de médicaments (4).
Certaines organisations professionnelles avaient répondu à ces critiques et suspicions par une réglementation plus rigoureuse des conflits d'intérêt. Le comité exécutif du guide de pratique de l'American College of Chest Physicians a proposé une stratégie dans ce domaine, stratégie comprenant 3 aspects innovants (5). Il s’agit tout d’abord d’insister tant sur les conflits intellectuels que sur les conflits financiers en fixant des critères précis pour les 2 types de conflit. En deuxième lieu, ce comité propose qu’un méthodologiste sans conflit d’intérêt important ait la responsabilité première de chaque chapitre. En troisième lieu, des experts ayant des conflits d’intérêt intellectuels ou financiers importants peuvent collecter et interprêter les preuves mais seuls les membres du panel sans conflits importants peuvent être impliqués dans l’élaboration des recommandations pour une question spécifique.
Constats de coûts
Fin de l’été 2013, le British Medical Journal a publié un manifeste pour les guides de pratique, outil destiné à protéger les patients (6). Les auteurs estiment que des GPC biaisés peuvent nuire fortement aux patients, ne privilégient pas l’intérêt des patients mais protègent au contraire des intérêts particuliers et certaines idéologies. Ils publient un Guideline Panel Review (GPR) destiné aux auteurs d’un GPC pour argumenter la fiabilité de celui-ci. Ce manifeste est certainement aussi utile pour les lecteurs d’un GPC. Les auteurs reprennent une liste de 8 « reds flags » devant susciter le scepticisme des lecteurs d’un GPC (ou d’une revue médicale) :
- le sponsor est une société professionnelle qui reçoit un financement important de l'industrie
- le sponsor est une compagnie propriétaire, ou non déclarée, ou masquée
- le(s) président(s) du comité a (ont) un conflit financier (personne ayant une relation financière avec une compagnie propriétaire dans les soins de santé et/ou dont la pratique/spécialité clinique a recours à des tests ou interventions concernés par le GPC
- plusieurs membres du panel ont un conflit financier (voir ci-dessus)
- toute suspicion « d’empilement » du comité permettant de pré-décréter une recommandation concernant un sujet controversé (voir ci-dessous)
- absence ou implication faible d'un expert en méthodologie pour l’évaluation des preuves
- absence de revue externe
- absence d’inclusion d'experts non-médecins, de représentants des patients, de stakeholders de la communauté.
En se servant de cet outil, les auteurs de ce manifeste évaluent plusieurs GPC ayant conduit à des modifications de pratique dans le domaine du dépistage du cancer de la prostate par le PSA, le traitement de l’hypercholestérolémie, le traitement de l’AVC aigu avec de l’altéplase, le traitement de la dépression chez l’adulte, la revascularisation coronaire. Dans tous les GPC concernés, des drapeaux rouges sont agités pour les conflits d’intérêt. Les auteurs sont particulièrement concernés par le processus « d’empilement » du comité : le président et co-présidents qui ont des conflits d’intérêt (71% des présidents et 90,5% des co-présidents selon une enquête citée) choisissent/acceptent préférentiellement certains membres dans le comité, en excluant les personnes « critiques ».
Ce manifeste est une incitation supplémentaire à une lecture critique de la littérature qui nous est proposée, de l’étude clinique au guide de pratique clinique.
Références
- Reames BN, Krell RW, Ponto SN, Wong SL. Critical evaluation of oncology clinical practice guidelines. J Clin Oncol 2013;31:2563-8.
- Brito JP, Domecq JP, Murad MH, et al. The Endocrine Society guidelines: when the confidence cart goes before the evidence horse. J Clin Endocrinol Metab 2013;98:3246-52.
- Choudhry NK, Stelfox HT, Detsky AS. Relationships between authors of clinical practice guidelines and the pharmaceutical industry. JAMA 2002;6;287:612-7.
- Shaneyfelt TM, Centor RM. Reassessment of clinical practice guidelines: go gently into that good night. [Editorial] JAMA 2009;301:868-9.
- Guyatt G, Akl EA, Hirsh J, et al. The vexing problem of guidelines and conflict of interest: a potential solution. Ann Intern Med 2010;152:738-41.
- Lenzer J, Hoffman J, Furberg C, et al. Ensuring the integrity of clinical practice guidelines: a tool for protecting patients. BMJ 2013;347:f5535.
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