Revue d'Evidence-Based Medicine
Randomisation en grappes (collective)
Formation médicale continue ~ Concepts et outils en EBM
La rédaction consacre une rubrique ‘Formation médicale continue’ (FMC) à l’explicitation de concepts et outils en Evidence-Based Medicine (EBM) |
Nous avons analysé dans la revue Minerva plusieurs RCTs dont l’unité de randomisation n’est pas un individu mais un groupe d’individus : ce type de randomisation est dite collective ou en grappes (clusters) (voir figure en annexe).
Ce type de randomisation collective est utilisé dans des situations ou l’intervention ne s’applique pas à un niveau individuel (par exemple le traitement de l’eau (de distribution), où il existe un risque important de « contamination » entre les bras d’étude (par exemple un effet barrière des vaccinations)), en cas de randomisation individuelle difficile en fonction de l’intervention étudiée (par exemple des régimes diététiques différents au sein d’une même famille).
Nous vous avons par exemple présenté dans Minerva une étude (1,2) randomisant par patientèle d’un médecin comme unité, pour évaluer l’intérêt d’un monitoring au domicile de la pression artérielle. Nous avons analysé l’intérêt de la promotion de l’allaitement maternel sur le risque de survenue d’asthme ou d’allergie (3,4) dans une étude dont l’unité de randomisation était une maternité. Ce type de randomisation doit-il conduire à un protocole et à une analyse/interprétation différents de ceux requis pour une randomisation individuelle ?
Quelques différences (5)
Une grappe est constituée de différents sujets qui se ressemblent très probablement plus que ceux de deux groupes différents, éloignés, dans un autre contexte éventuellement. Les résultats de deux personnes dans une même grappe ont tendance à être plus similaires que ceux de deux personnes appartenant à des grappes différentes. Si l’effet de l’intervention dépend de la personne qui l’applique, les réponses des personnes incluses dans une même grappe seront plus proches parce que l’intervention est faite par la même personne. Les données des essais en grappes sont donc dites corrélées et ceci doit être pris en compte lors du calcul de la taille de l’échantillon pour une puissance suffisante et lors du choix de l’analyse (analyse soit au niveau de la grappe, soit au niveau des individus constituant les grappes en utilisant alors des modèles spécifiques pour corriger cette « non indépendance » des sujets d’une même grappe). La non prise en compte de la corrélation des données constitue un risque d’erreur de type I, soit de conclure à tort à l’existence d’une différence significative d’efficacité de l’intervention. D’autre part, l’inclusion des sujets se fait parfois en ayant connaissance du bras dans lequel ils seront inclus, avec consentement à propos d’une intervention identifiée ; tous les sujets inclus dans cette grappe ne reçoivent alors pas l’intervention, ce qui peut constituer un biais. Pour des interventions non pharmacologiques, plus fréquentes dans ces études avec randomisation en grappes, l’insu est plus difficile à protocoler et à respecter, ce qui peut être une source de biais (observance différente).
Quelques règles…
Le groupe Consolidated Standards of Reporting trials (CONSORT) a établi en 1996 puis mis à jour plusieurs fois des guides de pratique pour les rapports de recherche, et donc indirectement pour leur protocole aussi. En 2004, ce groupe a publié des directives complémentaires pour les études avec randomisation en grappes (6) qui invitent à fournir des informations concernant : le rationnel du choix d’une randomisation en grappes, la prise en compte de l’effet « grappes » pour le calcul de l’échantillon et lors de l’analyse des résultats, le diagramme de flux des grappes et des individus en cours d’étude, de l’inclusion à l’analyse. La liste récapitulative des items à inclure insiste, entre autres, sur les éléments suivants. Au point de vue méthodologie, description précise de l’intervention, des objectifs et des critères de jugement en précisant bien s’ils concernent un niveau individuel, de grappe ou les deux, et pour la taille de l’échantillon, le mode de calcul de l’échantillon, le nombre de grappes, la taille des grappes, le coefficient de corrélation intragrappe. Pour la randomisation, la séquence et le secret d’attribution en mode grappes doivent être bien décrits. La prise en compte lors des analyses statistiques d’une randomisation en grappe doit être bien précisée. Pour les caractéristiques initiales comme pour les résultats, les mentions doivent être faites, selon les cas, à un niveau individuel et/ou de grappe. Dans la discussion les auteurs doivent bien mentionner si les résultats sont généralisables (validité externe) à des individus et/ou à des grappes d’individus.
… mal appliquées
En 2004, Bland (7) estimait que les études avec randomisation en grappes devenaient plus fréquentes, avec une qualité des mentions s’améliorant dans le BMJ. Cette conclusion semble bien optimiste puisqu’elle ne concernait qu’une seule revue et que Bland identifiait 6 autres synthèses, également narratives, d’études avec randomisation en grappes (de 1979 à 2002, 16 à 152 études par synthèse), concluant à une fréquence d’études prenant en compte la corrélation souvent proche ou inférieure à 50%.
Ivers et coll. (8) ont effectué une recherche plus large via MEDLINE des RCTs avec randomisation en grappes publiées en anglais de 2000 à 2008. Ils ont localisé 300 études et les ont évaluées pour 14 critères :
- identification d’une randomisation en grappes dans le titre ou le résumé
- mention du rationnel du choix de ce type de randomisation
- mention de critères de jugement primaires bien définis
- mention du calcul de la taille de l’échantillon
- mention de la personne recrutant les participants
- mention de l’insu des participants
- mention de l’insu du personnel traitant ou des évaluateurs ou des deux catégories
- mention d’une approche analytique claire
- mention du nombre de grappes randomisées dans chaque bras
- mention du nombre de grappes avec arrêt d’étude
- mention du nombre de grappes perdues de vue
- mention de la taille des grappes dans chaque bras
- mention du nombre d’individus perdus de vue
- mention de la corrélation intragrappe estimée.
Ils comparent les manuscrits publiés avant (2000-2004) le guide CONSORT et ceux publiés après (2005-2008) et ne constatent une amélioration que pour 5 des 14 critères étudiés. Ils concluent que la qualité de la méthodologie et de la publication de ce type d’étude restent suboptimales et doivent être améliorées.
La grille qu’ils ont utilisée peut être utile pour évaluer la qualité méthodologique et la qualité de la publication des RCTs avec randomisation en grappes.
Références
- De Cort P. Mesure de la PA au domicile : efficacité sur le contrôle de la PA. MinervaF 2011;10(2):15-6.
- Godwin M, Lam M, Birtwhistle R, et al. A primary care pragmatic cluster randomized trial of the use of home blood pressure monitoring on blood pressure levels in hypertensive patients with above target blood pressure. Fam Pract 2010;27:135-42.
- Van Winckel M. Allaitement maternel exclusif prolongé et risque d’asthme et d’allergie. MinervaF 2008;7(5):66-7.
- Kramer MS, Matush L, Vanilovich I, et al; Promotion of Breastfeeding Intervention Trial (PROBIT) Study Group. Effect of prolonged and exclusive breast feeding on risk of allergy and asthma: cluster randomised trial. BMJ 2007;335:815-8.
- Guittet L. Planification des essais à unité de randomisation collective : impact du coefficient de corrélation intraclasse et d’une inégalité de taille de grappes. Thèse pour le doctorat en Médecine. Faculté de Médecine René Descartes Paris 5. 22 sept 2006
- Campbell MK, Elbourne DR, Altman DG; CONSORT Group. CONSORT statement: extension to cluster randomized trials. BMJ 2004;328:702-8.
- Bland JM. Cluster randomised trials in the medical literature: two bibliometric surveys. BMC Med Res Methodol 2004;4:21.
- Ivers NM, Taljaard M, Dixon S, et al. Impact of CONSORT extension for cluster randomised trials on quality of reporting and study methodology: review of random sample of 300 trials, 2000-8. BMJ 2011;343:d5886.
Annexe
Figure: Comparaison entre le mode de recrutement des individus et de randomisation dans les essais à unité de randomisation individuelle et dans ceux à unité de randomisation collective. Source : Guittet L. Planification des essais à unité de randomisation collective : impact du coefficient de corrélation intraclasse et d’une inégalité de taille de grappes. Thèse pour le doctorat en Médecine. Faculté de Médecine René Descartes Paris 5. 22 sept 2006.
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