Revue d'Evidence-Based Medicine



Mesure de la PA au domicile : efficacité sur le contrôle de la PA



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 2 Page 15 - 16

Professions de santé


Analyse de
Godwin M, Lam M, Birtwhistle R, et al. A primary care pragmatic cluster randomized trial of the use of home blood pressure monitoring on blood pressure levels in hypertensive patients with above target blood pressure. Fam Pract 2010;27:135-42.


Question clinique
Chez des patients dont l’hypertension artérielle est mal contrôlée, quelle est la plus-value d’une mesure de la PA au domicile versus mesure conventionnelle sur le contrôle des chiffres ?


Conclusion
Cette étude effectuée dans le cadre de la médecine générale montre que le suivi d’un traitement de l’hypertension artérielle avec l’automesure au domicile permet, versus mesure conventionnelle, de diminuer la pression diastolique moyenne de 24 heures chez des hommes avec hypertension non contrôlée. Ce résultat peut être lié au hasard. Les éventuelles modifications de traitement par le médecin généraliste ne sont pas décrites ni pour leur nombre ni pour leurs caractéristiques.


 

Contexte

La mesure de la pression artérielle (PA) au domicile est un procédé courant et valide, ayant une meilleure corrélation que la mesure traditionnelle avec les lésions des organes cibles et avec la mortalité cardiovasculaire (1). La mesure de la PA est-elle utile pour le traitement et le suivi d’une hypertension et favorise-t-elle l’observance thérapeutique ? Ces questions font l’objet d’études actuelles. Ce processus de mesure en première ligne de soins repose actuellement sur un consensus (2,3). Les études réalisées divergent fortement pour la question de recherche, le contexte, le protocole de recherche, les critères de jugement et les résultats.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 552 patients âgés d’au moins 18 ans (âge moyen de 68 ans) recrutés dans 55 pratiques de médecine générale au Canada, présentant une hypertension artérielle insuffisamment contrôlée (≥140/90 mmHg durant les 3 dernières consultations et en moyenne quotidienne≥135/85 mmHg pour une mesure de 24h) ; environ 90% des participants présentent une HTA depuis plus d’un an et plus de 90% sont sous antihypertenseurs
  • critères d’exclusion : hypertension secondaire, maladie terminale, incapacité de mesure de la PA pour raison physique, sans exclusion pour comorbidité.

 

Protocole d’étude

  • étude avec randomisation par grappes (1 grappe = 1 médecin avec ses patients)
  • intervention (n = 285) : mesure de la PA avec un tensiomètre électronique validé fourni avec les instructions données par un(e) assistant(e) de recherche ; demande de mesure au moins une fois par semaine pour toute la durée d’étude, mesure à noter dans un journalier à présenter à chaque consultation ; directive pour le médecin généraliste de prendre en compte ce journalier dans le cadre du suivi
  • groupe contrôle (n = 267) : suivi des chiffres de pression artérielle suivant les processus courants ; demande au patient de ne pas mesurer sa PA au domicile et au médecin généraliste d’adapter le traitement en fonction de valeurs cibles < 140/90 mmHg durant une mesure traditionnelle de la PA et suivant le récent guide de pratique canadien.

 

Mesure des résultats

  • critère primaire : moyenne de la mesure de PA ambulatoire à l’état de veille sur 24 heures après 12 mois
  • critères secondaires : PA moyenne sur 24 heures, en état de veille et durant le sommeil, PA mesurée automatiquement (à 5 reprises) patient assis et seul dans le cabinet de consultation (BpTRU) à 6 et 12 mois
  • analyse en intention de traiter avec imputation pour les données manquantes.

 

Résultats

  • sorties d’étude : 33 patients (12%) dans le groupe intervention et 55 (21%) dans le groupe contrôle
  • moyenne de la mesure de PA ambulatoire à l’état de veille sur 24 h après 12 mois : pas de différence significative entre les 2 groupes : 1,7 mmHg (IC à 95% de -0,6 à 4,0 ; p=0,314) pour la PAS et 0,7 mmHg (IC à 95% de -7,7 à 9,1 ; p=0,398) pour la PAD
  • moyenne de la mesure de PA ambulatoire sur 24 h après 12 mois : PAD significativement moindre dans le groupe intervention versus contrôle : différence moyenne de 2,0 mmHg (IC à 95% de 0,7 à 3,3 ; p=0,031)
  • BpTRU à 12 mois : différence moyenne en faveur de l’intervention : 3,2 mmHg (IC à 95% de 1,5 à 4,9 ; p=0,012)
  • pour ces deux derniers critères, la différence n’est significative que pour les hommes.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le suivi de la pression artérielle au domicile peut améliorer le contrôle de la PA chez des hommes hypertendus.

 

Financement

Heart and Stroke Foundation de l’Ontario (Canada) ; A&D/Lifesource a fourni les tensiomètres automatiques.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Dans cette étude pragmatique avec randomisation en grappes, c’est chaque médecin avec ses propres patients qui constitue une « grappe ». Il s’agit d’une population hétérogène de patients. En ajoutant comme critère d’inclusion une pression artérielle moyenne sur 24 heures ≥135/85 mmHg, les patients avec « hypertension de la blouse blanche » ont été a priori exclus. La puissance d’étude et le nombre de patients à inclure sont décrits pour le critère de pression moyenne de 24 heures à l’état vigile sur 12 mois. Le nombre nécessaire n’est pas atteint dans le groupe contrôle. La randomisation est effectuée à l’aveugle par un des chercheurs mais l’étude elle-même se déroule en protocole ouvert. La stratégie d’adaptation du traitement antihypertenseur est peu précise : les médecins ont comme instruction de viser les valeurs cibles recommandées dans le guide pratique canadien, en consultant, dans le groupe intervention, les mesures au domicile (par le patient). Le nombre et la nature des adaptations effectuées ne sont pas mentionnés. Ces mesures au domicile ne se font pas en suivant un protocole standardisé : « au moins » une fois par semaine, quand et comment ? La précision et l’observance de ces mesures ne sont pas rapportées. La technique BpTRU de mesure automatique de la PA au cabinet du médecin généraliste (critère secondaire) n’est pas conventionnelle et n’a été évaluée que par le groupe des auteurs (4).

 

Mise en perspective des résultats

Une approche scientifique de la mesure de la PA doit distinguer : 1) la phase diagnostique ; 2) la mise au point du traitement ; 3) le suivi d’un traitement en cas d’HTA avérée.

Pour la phase diagnostique, la mesure de la pression au domicile, les preuves sont suffisantes qu’elle permet de montrer ou d’exclure une hypertension de la blouse blanche et/ou une hypertension masquée (5).

Pour la mise au point du traitement, la controverse persiste. Nous avons précédemment analysé dans Minerva (6) la méta-analyse de Cappuccio (7). Cette étude montrait que la mesure de PA au domicile présente un bénéfice faible mais significatif pour le contrôle des chiffres versus mesure conventionnelle par le médecin. Nous soulignions cependant l’hétérogénéité entre les études, entre autres en raison d’une absence de standardisation de l’automesure, de différences dans les populations d’étude, pour les valeurs cibles de PA, les protocoles de mesures et les stratégies médicamenteuses. L’étude de Godwin présente ces mêmes lacunes de standardisation. En contraste avec l’étude de Godwin, d’autres études évaluant l’effet de la mesure au domicile sur l’efficacité du traitement incluent des patients avec « hypertension de la blouse blanche ». Ces patients sont traités à tort ce qui peut conduire à une diminution inappropriée des chiffres tensionnels et à une interprétation imprécise du bénéfice net du traitement. L’étude de Staessen (8,9) et plus récemment la RCT de Verberck (10) et une étude de télémonitoring (11) en sont des exemples. Elles montrent un contrôle de la PA au moins aussi bon grâce aux automesures qu’avec les mesures conventionnelles mais avec un recours moindre à des médicaments avec la mesure au domicile. Dans le groupe contrôle de ces études, l’hypertension de la blouse blanche est traitée (à tort), ce qui n’est pas le cas dans l’étude de Godwin et diminue peut-être ainsi l’ampleur du bénéfice du traitement. D’autre part, les auteurs reconnaissent que la différence significative pour les chiffres diastoliques après 12 mois peut être liée au hasard des tests multiples.

Pour l’automesure dans le suivi d’un traitement, il n’y a aucune étude sur plus d’un an. Dans cette étude-ci, l’efficacité après un an sur la réduction des chiffres est en tout cas inférieure à celle observée après 6 mois.

Des études en double aveugle sont attendues avec impatience. Elles doivent évaluer différents types de stratégies standardisées pour la mesure de la PA au domicile chez des patients avec HTA avérée et décrire avec rigueur l’adhérence dans le suivi du protocole fixé.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude effectuée dans le cadre de la médecine générale montre que le suivi d’un traitement de l’hypertension artérielle avec l’automesure au domicile permet, versus mesure conventionnelle, de diminuer la pression diastolique moyenne de 24 heures chez des hommes avec hypertension non contrôlée. Ce résultat peut être lié au hasard. Les éventuelles modifications de traitement par le médecin généraliste ne sont pas décrites ni pour leur nombre ni pour leurs caractéristiques.

 

Pour la pratique

Le document de consensus belge (2) et la RBP belge (3) recommandent au médecin généraliste de poser le diagnostic d’hypertension artérielle en se basant sur les chiffres moyens mesurés sur au moins 6 jours consécutifs par le patient lui-même (au moins 2 fois par jour). Pour la phase de mise au point du traitement, les recommandations sont de se baser sur le même type de mesure durant 14 jours. L’étude de Godwin analysée ici n’apporte pas d’élément neuf au vu de l’absence de standardisation de la méthode de mesure de la PA au domicile et des adaptations de traitement par le médecin généraliste.

 

  

Références

  1. Ohkubo T, Imai Y, Tsuji I, et al. Home blood pressure measurement has a stronger predictive power for mortality than does screening blood pressure measurement: a population-based observation in Ohasama, Japan. J Hypertens 1998;16:971-75.
  2. Persu A, Fagard R, De Cort P, et al. Over het goed gebruik van thuisbloeddrukmeting. Consensusdocument. Tijdschr Geneeskd 2009;65:109-12.
  3. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Hypertensie. Huisarts Nu 2009;38:340-61.
  4. Beckett L, Godwin M. The BpTRU automatic blood pressure monitor compared to 24 hour ambulatory blood pressure monitoring in the assessment of blood pressure in patients with hypertension. BMC Cardiovascular Disord 2005;5:18-25.
  5. Stergiou GS, Efstathiou SP, Argyraki CK, et al. White coat effect in treated versus untreated hypertensive individuals: a case-control study using ambulatory and home blood pressure monitoring. Am J Hypertens 2004;17:124-8.
  6. Cappuccio FP, Kerry SM, Forbes L, Donald A. Blood pressure control by home monitoring: meta-analysis of randomised trials. BMJ 2004;329:145-51.
  7. De Cort P. Effet de la mesure à domicile de la pression. MinervaF 2006;5(4):52-4.
  8. Staessen JA, Den Hond E, Celis H, et al; Treatment of Hypertension Based on Home or Office Blood Pressure (THOP) Trial Investigators. Antihypertensive treatment based on blood pressure measurement at home or in the physician's office: a randomized controlled trial. JAMA 2004;291:955-64.
  9. De Cort P. Peut-on baser le traitement de l'hypertension sur des mesures à domicile ? MinervaF 2005;4(6):94-6.
  10. Verberk WJ, Kroon AA, Lenders JW, et al; Home Versus Office Measurement, Reduction of Unnecessary Treatment Study Investigators. Self-measurement of blood pressure at home reduces the need for antihypertensive drugs. Hypertension 2007;50:1019-32.
  11. R McManus, Mant J, Bray EP, et al. Telemonitoring and self-management in the control of hypertension (TASMINH2): a randomised controlled trial. Lancet 2010;376:163-72.
Mesure de la PA au domicile : <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="efficacité" data-content="L'efficacité d'un médicament ou d'une intervention se réfère à l'effet favorable dans les circonstances optimales. Idéalement, l'efficacité est déterminée au cours d'études cliniques contrôlées (RCT). ">efficacité</a></strong> sur le contrôle de la PA



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