Revue d'Evidence-Based Medicine
Le mirage du médicament innovant
La publication, dans ce numéro de la revue Minerva, de deux analyses de l’intérêt d’un quatrième nouvel anticoagulant oral (NAO) introduit sur la marché belge, nous donne l’occasion de rappeler les limites importantes de l’information initiale concernant les médicaments réputés innovants lors de leur enregistrement/évaluation… avec une alternative plus intéressante pour le clinicien d’une évaluation initiale qui nous vient d’Allemagne.
Médicament innovant : correctement évalué ?
Pour connaître l’intérêt d’un nouveau médicament (souvent annoncé comme « innovant »), les sources accessibles à tout public sont les rapports publiés par les Agences comme l’EMA ou la FDA et les rapports d’enregistrement des études (par exemple sur ClinicalTrials.gov). Les rapports d’études cliniques publiés sont également accessibles, généralement moyennant paiement, ainsi que les analyses faites par des organismes indépendants (par exemple par les membres de l’International Society of Drug Bulletins (ISDB) comme la revue Prescrire) moyennant abonnement. Parmi ces sources, seules les Agences peuvent avoir accès aux rapports complets des études cliniques, privilège qui a permis de montrer les nombreux biais de mention dans les publications des résultats d’étude (1,2).
En Allemagne, depuis 2011, des directives officielles AMNOG (Arzneimittelmarktneuordnungsgesetz) imposent pour l’évaluation initiale de tout nouveau médicament, que celle-ci repose sur l’analyse d’un dossier complet remis par la firme demandeuse, dossier contenant toutes les preuves disponibles concernant une plus-value du nouveau médicament versus traitement de comparaison approprié (et pas uniquement placebo comme à l’EMA par exemple). C’est l’IQWiG (Institute for Quality and Efficiency in Health Care) qui est chargé de cette analyse. Si la population cible dans le RCP (document officiel de l’enregistrement) ne correspond pas à la population globale des études cliniques réalisées, la firme doit fournir des analyses précises des sous-populations ciblées, sur base des données individuelles de ces patients.
L’IQWiG publie en 2015 dans le BMJ (3) une analyse comparative de la qualité de 15 de ses dossiers publiés au 28 février 2013 versus celle des documents accessibles publiquement (dossiers de l’EMA, études publiées dans les revues médicales, rapports d’enregistrement d’études). Les critères de jugement de la qualité de l’information repose tant sur la méthodologie (8 critères) que sur les résultats (11 critères) selon un consensus international (4).
Mirage : une chimère
L’analyse de Köhler et al. nous montre de manière détaillée que les documents établis en Allemagne depuis la réforme AMNOG apportent nettement plus d’informations concernant les méthodes utilisées et les critères de jugement cliniquement pertinents pour les patients que toutes les sources officielles d’information, particulièrement quand le médicament est approuvé (enregistré) pour une sous-population par rapport à la population globale des études. En considérant la population globale, si les documents AMNOG ont un score de 90% pour les 2 séries de critères, les documents non AMNOG ont des scores de 75% pour les critères méthodologiques et de 52% pour les critères de résultats ; le score est particulièrement faible pour l’EMA, respectivement de 54% et de 29%. En ce qui concerne les sous-populations visées dans le RCP, si la performance est similaire à celle donnée ci-dessus pour les critères méthodologiques, pour les critères de résultats, les documents AMNOG ont un score de 70% et ceux non-AMNOG de 11% (moins de 10% pour l’EMA). La mention des effets indésirables est particulièrement limitée dans les rapports de l’EMA analysés et notamment nulle dans les sous-populations approuvées/enregistrées.
Un des dossiers repris dans cette analyse est celui de l’apixaban dans l’indication « traitement initial d’une TVP ou d’une EP et traitement préventif d’une récidive à moyen terme et préventif à long terme (après 6 mois de traitement anticoagulant) ». L’IQWiG conclut à une absence de preuve d’un bénéfice de l’apixaban versus HBPM suivi d’un AVK (1ère indication) ou AVK (2ème indication) sauf pour les patients avec IMC > 28 kg/m2 uniquement dans la 1ère indication. L’EMA quant à elle avait suivi les auteurs de l’étude AMPLIFY (5,6) dans leurs conclusions. Or ceux-ci concluaient à une non infériorité en efficacité mais à une supériorité au point de vue sécurité (nombre d’hémorragies moindre). L’EMA avait également suivi les conclusions de l’importante étude AMPLIFY- extent concernant un traitement prolongé (2ème indication) (7,8) qui ne donnait qu’une comparaison versus placebo, avec effet favorable. Ceci montre bien tout l’intérêt, pour pouvoir formuler un jugement sur l’utilité d’un médicament, de l’exigence d’AMNOG de disposer d’un dossier complet avec comparaison versus traitement approprié, pour les (sous-)populations ciblées précises. A défaut, l’évaluation concerne une chimère. D’autres chimères sont les analyses de coût-efficacité basées sur des modèles avec des comparaisons indirectes : affirmer en conclusion que le dabigatran est économiquement dominant versus rivaroxaban et apixaban (9) est écrire dans le vide de l’ignorance.
Mirage : moyen de défense ou d’attaque ?
Un autre exemple plus récent peut illustrer l’inquiétante insuffisance d’information d’un dossier d’enregistrement réalisé par l’EMA pour un médicament réputé innovant, l’évolocumab, un anticorps monoclonal humain indiqué pour le traitement de l’hypercholestérolémie et de la dyslipidémie mixte (et de l’hypercholestérolémie familiale homozygote). Dans le dossier de l’EMA (10) sont référencées des études sur 12 semaines, une étude d’efficacité (toujours sur critères lipidiques) sur 52 semaines et des études en cours, à plus long terme, pour la sécurité. Le rapport mentionne comme effets indésirables, une allergie saisonnière, une hypersensibilité, l’apparition d’auto-anticorps sans effet indésirable lié. Il précise aussi, pour la surveillance post-commercialisation (Risk Management Plan – RMP), des risques potentiels importants : hypersensibilité, immunogénicité et qu’une information fait défaut pour une longue liste de sous-populations (les femmes enceintes/allaitantes, les enfants, les personnes âgées ≥ 75 ans, les patients en insuffisance rénale sévère, en insuffisance hépatique sévère, atteints d’une hépatite-C, d’un diabète de type 1, d’une infection à VIH) et pour une utilisation à long-terme y compris les effets d’un LDL-C < 40 mg/dl.
Souvenons-nous des premiers anticorps monoclonaux humains, les anti-TNF α pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde. Les études initiales montraient un risque accru d’infections, celles-ci se limitant à des infections respiratoires hautes (11). Des études sur une plus longue durée de traitement ont ensuite montré la survenue d’infections graves, de cas de tuberculose, de syndromes lupiques liés à la présence d’auto-anticorps (12).
Ne serait-il pas plus sage, avant d’exposer nos patients à ce médicament innovant, d’en connaître plus sur sa plus-value réelle et sa sécurité en attendant les résultats des études en cours et une évaluation complète pour les populations-cibles ? Le choix entre défendre les soins aux meilleures preuves pour le patient et une attaque (prématurée) d’une part de marché ?
Références
- Song F, Parekh S, Hooper L, et al. Dissemination and publication of research findings: an updated review of related biases. Health Technol Assess 2010;14:1-220.
- Dwan K, Gamble C, Williamson PR, et al; Reporting Bias Group. Systematic review of the empirical evidence of study publication bias and outcome reporting bias: an updated review. PLoS One 2013;8:e66844.
- Köhler M, Haag S, Biester K, et al. Information on new drugs at market entry : retrospective analysis of health technology assessment reports versus regulatory reports, journal publications, and registry reports. BMJ 2015;350:h796.
- Moher D, Hopewell S, Schulz KF, et al. CONSORT 2010 explanation and elaboration: updated guidelines for reporting parallel group randomised trials. BMJ 2010;340:c869.
- Agnelli G, Buller HR, Cohen A, et al; AMPLIFY Investigators. Oral apixaban for the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl Med 2013;369:799-808.
- Chevalier P. Apixaban pour le traitement de la thromboembolie veineuse. MinervaF 2013;12(9):114-5.
- Agnelli G, Buller H, Cohen A, et al; AMPLIFY-EXT Investigators. Apixaban for extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;368:699-708.
- LRM. Apixaban pour prolonger un traitement préventif secondaire d’une thromboembolie veineuse ? Minerva bref 28/05/2013.
- Zheng Y, Sorensen SV, Gonschior AK, et al. Comparison of the cost-effectiveness of new oral anticoagulants for the prevention of stroke and systemic embolism in atrial fibrillation in a UK setting. Clin Ther 2014;36:2015-28.
- EMA/CHMP. Assessment report Repatha International non-proprietary name: evolocumab. EMA/CHMP/222019/2015. 21 May 2015.
- Rédaction LRP. Infliximab et polyarthrite rhumatoïde. Utile en cas d’échec du méthotrexate. Revue Prescr 2000;20:817-20.
- Rédaction LRP. Adalimumab (Humira°). Polyarthrite rhumatoïde : pas de progrès thérapeutique. Revue Prescr 2004;24:416-21.
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