Revue d'Evidence-Based Medicine
Apixaban pour le traitement de la thromboembolie veineuse
Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone
Contexte
En cas de thrombose veineuse profonde (TVP) proximale ou d’embolie pulmonaire (EP), c’est classiquement une Héparine de Bas Poids Moléculaire (HBPM) en SC qui est recommandée (ou du fondaparinux mais non remboursé hors hôpital en Belgique) plutôt qu’une héparine non fractionnée en IV ou en SC (1). Une anticoagulation par un nouvel anticoagulant oral non antagoniste de la vitamine K a été plus récemment proposée comme alternative. L’apixaban est le troisième (après le rivaroxaban et le dabigatran) à avoir été évalué pour le traitement aigu et la prévention des récidives d’une thromboembolie veineuse.
Résumé
Population étudiée
- 5 395 adultes présentant une thromboembolie aiguë symptomatique documentée (thrombose veineuse proximale (à partir du creux poplité) ou une embolie pulmonaire (avec ou sans TVP)); âge moyen de 57 (± 16) ans, 59 % d’hommes, 64,5 % avec clairance de créatinine > 80 ml/min, recrutés dans 358 centres dans 28 pays
- critères d’exclusion : saignement actif, haut risque de saignement, cancer et traitement HBPM au long cours prévu, TEV provoquée en absence d’un risque persistant de récidive, traitement anticoagulant prévu pour moins de 6 mois, autre indication pour un traitement anticoagulant prolongé, antiagrégant double, avec aspirine > 165 mg/j, avec un inhibiteur puissant du cytochrome P-450 3A4, déjà traité > 2 jours avec une HBPM ou de la warfarine, avec anémie Hb< 9 mg/dl, plaquettes sanguines < 100 000/mm³, créatinine > 2,5 mg/dl ou clairance de créatinine < 25 ml/min.
Protocole d’étude
- étude randomisée, contrôlée versus traitement actif, en double-aveugle, de non infériorité
- traitement par apixaban (dose initiale de 10 mg 2 x/j pendant 7 jours puis 5 mg 2 x/j pendant 6 mois (n = 2 691) ou par énoxaparine 1 mg/kg/12 h pendant au moins 5 jours et par warfarine titrée puis poursuivie et adaptée pendant 6 mois (n = 2 704)
- INR déterminé au moins 1x/mois, réel ou factice
- borne de non infériorité fixée à < 1,80 pour le risque relatif, c’est-à-dire une préservation d’au moins 70 % de l’effet du traitement conventionnel, et < 3,5 pour la différence de risque.
Mesure des résultats
- critère primaire composite d’efficacité : récidive symptomatique de thromboembolie veineuse (embolie pulmonaire fatale ou non, thrombose veineuse profonde) ou décès lié à une thromboembolie veineuse (adjudication centrale)
- critères secondaires : différentes composantes du critère primaire ; critères composites de récidive de thromboembolie symptomatique (TES) et de décès cardiovasculaire, de TES et de décès de toutes causes, de TES, de décès lié à la TEV et de saignement majeur
- critère primaire de sécurité : saignement majeur (adjudication centrale)
- critère secondaire de sécurité composite : saignement majeur, saignement non majeur mais cliniquement pertinent
- durée de l’étude : 6 mois de traitement plus surveillance dans les 30 jours post arrêt
- analyse en ITTm (status à 6 mois connu).
Résultats
- sorties d’étude : 14 % sous apixaban, 15 % sous warfarine
- critère primaire d’efficacité : 2,3 % sous apixaban, 2,7 % sous warfarine ; différence de risque de -0,4 avec IC à 95 % de -1,3 à 0,4 et p < 0,001 pour la non infériorité ; non modifié en analyse « worst case » (tous les patients avec données manquantes auraient présenté une TEV)
- critères secondaires d’efficacité : différence significative uniquement pour le critère composite TEV, décès lié à une TEV et saignement majeur (RR de 0,62 avec IC à 95% de 0,47 à 0,83 ; p = 0,001)
- critère primaire de sécurité : 0,6 % versus 1,8 % soit une différence de risque de 1,1% (IC à 95 % de -1,7 à -0,6) en faveur de l’apixaban.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’un schéma posologique fixe d’apixaban seul est non inférieur à un traitement conventionnel pour le traitement d’une thromboembolie veineuse aiguë et est associé à significativement moins de saignements.
Financement de l’étude
Firmes Pfizer et Bristol-Myers Squibb.
Conflits d’intérêt des auteurs
5 auteurs sont employés par Pfizer ; 1 auteur est consultant pour différentes firmes dont les sponsors ; les 5 autres auteurs déclarent des conflits d’intérêt avec plusieurs firmes ; le premier auteur a été rémunéré par Pfizer pour préparer le manuscrit.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette RCT de non infériorité est bâtie sur un protocole correct. La randomisation est effectuée de façon centrale (système de réponse vocale) avec stratification selon le diagnostic initial. L’adjudication des évènements est également effectuée de façon centrale, sur base de définitions clairement énoncées. Une analyse des résultats en insu n’est pas mentionnée. La borne de non infériorité choisie (correspondant à une préservation d’au moins 70 % de l’effet du comparateur) nous semble correcte, avec concordance pour l’effet observé sous warfarine et celui observé dans d’autres études dans la même indication, ce qui est correct (2).
La plus importante limite au point de vue méthodologique pour cette étude est une limite déjà observée dans d’autres études avec les nouveaux anticoagulants (3). Par exemple, pour l’analyse du critère primaire d’efficacité, les résultats de 2 609 patients (sur les 2 691 randomisés dans ce bras) sont pris en compte, ce qui ne correspond à aucun des autres chiffres mentionnés (patients non traités, patients sortis d’étude) et donc manifestement pas à une analyse par protocole pourtant de rigueur dans une étude de non infériorité.
Mise en perspective des résultats
L’analyse des résultats de cette étude AMPLIFY montrent que la durée médiane de traitement par énoxaparine est de 6,5 jours (IQR de 5,0 à 8,0). L’INR est dans la cible thérapeutique (de 2 à 3) pendant 61 % du temps (23 % du temps < 2). 96 % des patients sous apixaban sont adhérents (≥ 80 % des prises). Une plus-value d’un traitement par apixaban versus traitement classique (HBPM puis warfarine) n’est donc observée que pour le critère sécurité. Si les résultats de cette étude sont favorables à l’apixaban versus HBPM puis warfarine pour un traitement préventif initial prolongé (6 mois), il faut souligner les très nombreux critères d’exclusion de patients pour cette étude. Il s’agit donc d’une population très sélectionnée de patients présentant une TVP proximale (ou une EP) symptomatique, non liée à un cancer (situation dans laquelle c’est une HBPM qui est recommandée (4)). Des patients présentant une TEV provoquée ont été inclus (10 % des patients) s’ils présentaient des facteurs de risque permanents. Le nombre moyen faible (quinze, avec des écarts de 118 à 1) de patients recrutés par centre est probablement l’illustration de cette (hyper)sélection des patients.
Les auteurs mentionnent dans leur discussion que des informations restent nécessaires chez les patients présentant un cancer, ceux avec un poids corporel faible ou une clairance de créatinine < 50 ml/min.
Le nombre très élevé de centres avec moins de 5 patients inclus fait également penser à une étude d’essaimage (5).
Une analyse en fonction du TTR montre que dans les centres avec une moyenne d’au moins 68% de maintien d’un INR entre 2 et 3, les résultats restent semblables.
Durant la période de suivi de 30 jours après l’arrêt du traitement, une récidive de TEV est observée chez 0,2 % des patients sous apixaban et 0,3 % des sujets sous warfarine.
Deux autres nouveaux anticoagulants oraux avaient été évalués dans cette indication. Le dabigatran s’était montré non inférieur à la warfarine (post HBPM) sur 6 mois de traitement, sans différence pour l’incidence d’hémorragies (6,7). Le rivaroxaban s’était également montré non inférieur à la warfarine durant 3, 6 ou 12 mois, sans différence pour les saignements majeurs ou non majeurs mais cliniquement pertinents, dans une étude au protocole ouvert (8,9).
Effets indésirables
Dans cette étude, les effets indésirables sérieux sont aussi fréquents sous apixaban (15,6 % des patients) que sous warfarine (15,2 %). Les arrêts de traitements pour effets indésirables sont respectivement de 6,1 et 7,4 %. Le risque de saignements a été décrit plus haut.
La différence entre la sécurité des NAOs observée dans le cadre d’études et les incidents observés dans la pratique est importante. Elle est, entre autres, manifeste dans les chiffres rapportés dans une méta-analyse (10,11).
Conclusion de Minerva
Cette RCT présentant d’importantes limites méthodologiques et avec forte intervention de la firme sponsor, semble montrer la non infériorité de l’apixaban versus HBPM puis warfarine pour traiter une thromboembolie veineuse (thrombose veineuse profonde proximale et/ou embolie pulmonaire) et pour en prévenir la récidive dans les 6 mois de traitement.
Pour la pratique
Les guidelines étatsuniens les plus récents (1,4) recommandent, en cas de thrombose veineuse profonde proximale ou d’embolie pulmonaire, l’administration en aigu d’une Héparine de Bas Poids Moléculaire (HBPM) en SC plutôt que celle d’une héparine non fractionnée en IV (GRADE 2C) ou d’une héparine non fractionnée en SC (GRADE 2B). Pour le traitement préventif à plus long terme, en l’absence de cancer, c’est un antagoniste de la vitamine K (AVK) qui est un premier choix devant une HBPM (GRADE 2C). Si un traitement par AVK n’est pas possible, les auteurs suggèrent de préférer une HBPM au dabigatran et au rivaroxaban (GRADE 2C, sur données disponibles en octobre 2011).
Au vu de ses limites méthodologiques importantes, l’étude AMPLIFY n’apporte pas d’argument suffisant pour remettre ces recommandations en cause.
Références
- Guyatt G, Akl E, Crowther M, et al, for the American College of Chest Physicians Antithrombotic Therapy and prevention of thrombosis panel. Executive summary: antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed : American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical practice Guidelines. Chest 2012;141:7S-47S.
- Chevalier P. Les bornes de non infériorité. MinervaF 2013;12(5);64.
- Chevalier P. FA et nouvel anticoagulant oral : le rivaroxaban utile ? MinervaF 2011;10(9);106-7.
- Kearon C, Akl E, Comerota AJ, et al; American College of Chest Physicians. Antithrombotic Therapy for VTE Disease. Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012;141(2)(Suppl):e419S-e494S.
- Chevalier P. Etudes pour rire mais pour prescrire. MinervaF 2009;8(1):1.
- Schulman S, Kearon C, Kakkar AK, et al; RE-COVER Study Group. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2009;361:2342-52.
- Chevalier P. Dabigatran pour la thromboembolie veineuse. Minerva online 28/08/2010.
- EINSTEIN Investigators, Bauersachs R, Berkowitz SD, Brenner B, et al. Oral rivaroxaban for symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2010;363:2499-510.
- Chevalier P. TVP : rivaroxaban ? MinervaF 2011;10(3);36-7.
- Adam SS, McDuffie JR, Ortel TL, Williams JW Jr. Comparative effectiveness of warfarin and new oral anticoagulants for the management of atrial fibrillation and venous thromboembolism. Ann Intern Med 2012;157:796-807
- Chevalier P. FA et TEV : efficacité comparative des NAO et de la warfarine. MinervaF 2013;12(3):28-9.
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