Revue d'Evidence-Based Medicine
Qu'est-ce qu'un placebo ? (deuxième partie)
Malgré une réflexion sur le placebo proposée par Barbara Michiels dans Minerva en 2009 (1), nous avons été régulièrement contactés par des lecteurs à propos de la définition et des effets des placebos. Nous avons dès lors décidé de demander à Isabelle Dagneaux intéressée à ce concept tant par sa formation de médecin généraliste que par sa formation en philosophie de nous éclairer sur ce sujet. Elle nous offre un regard large sur la question, nous permettant d’appréhender le concept du placebo sous différentes facettes. Nous poursuivons dès lors avec ce numéro la série de 3 articles de méthodologie, quelque peu inhabituels dans leurs formes, qui permettent d’aborder tant l’effet placebo que son opposé, l’effet lessebo. Après avoir parcouru la définition et la réponse placebo (en juin 2016), nous nous penchons plus particulièrement dans ce numéro aux hypothèses de modes d’action et à l’imagerie cérébrale associées au placebo. Nous terminerons notre parcours début 2017 avec un article sur l’effet lessebo. |
Hypothèses de modes d'action du placebo
Les hypothèses avancées pour rendre compte de l'effet placebo ne répondent que partiellement à nos interrogations. Elles sont classiquement de trois types : le conditionnement, l'attente, les endorphines ; McMillan (2) y ajoute le contact humain dans le cas de l'effet placebo observé chez les animaux. Il faut aujourd'hui élargir la troisième hypothèse à d'autres médiateurs cérébraux que les endorphines, comme nous le verrons ci-dessous. Ces mécanismes ne sont pas mutuellement exclusifs : on pourrait parler « des » effets placebos car plusieurs mécanismes peuvent entrer en ligne de compte (3). Ainsi, l'analgésie induite par un placebo de type médicamenteux est levée par l'injection de naloxone, comme l'analgésie obtenue par morphiniques, alors que la naloxone ne modifie pas l'analgésie obtenue par hypnose : les chemins d'obtention de l'effet antalgique doivent être différents. Les expériences aujourd'hui menées avec l'aide de l'imagerie cérébrale permettent d'observer les sièges potentiels de l'activité placebo. Il faut cependant veiller à ne pas reproduire « l'erreur de Beecher » : « De façon surprenante, les études utilisant les techniques d’imagerie moderne comme la tomographie à émission de positons, qui utilisent le placebo pour mettre en évidence des modifications anatomiques et fonctionnelles dans le cerveau, n’intègrent pas nécessairement de groupe contrôle « non traité » » (4).
Le conditionnement
L’association d’un stimulus neutre avec un stimulus spécifique produisant une réponse permet, lorsqu’elle est répétée, d’obtenir la réponse en présence du stimulus neutre seul. Ce phénomène mis en évidence par Pavlov est appliqué à l’effet placebo en expliquant la réponse conditionnée (guérison ou amélioration) au stimulus neutre (le placebo) par le contexte thérapeutique ou expérimental : des « situations bénéfiques sont mémorisées et sont ensuite restituées dans les mêmes conditions sauf une, par exemple le produit actif. On pourrait expliquer ainsi l’effet placebo et surtout le phénomène inverse bien connu du placebo-sag (affaissement du placebo) qui fait que l’accumulation d’expériences décevantes avec différentes thérapies « inhibe l’effet du placebo » (5). Si cette hypothèse permet d’expliquer certaines situations, elle ne permet pas de rendre compte d’un effet placebo à la première rencontre d’une situation, ou d’un médecin. Par ailleurs, l’effet placebo peut montrer une tachyphylaxie, avec une réponse moindre en cas de prise chronique (6), alors que cela devrait être l’inverse dans la théorie du conditionnement.
L’attente
On peut considérer dans un premier temps qu’il s'agit là de l'approche cognitiviste du problème : « L’attente du patient, son espoir et son envie de guérir peuvent déclencher la survenue de l’effet placebo » (5). Il faut une conscience réflexive, et une part d'intentionnalité pour expliquer ce phénomène. Il ne peut donc être invoqué pour des nouveau-nés ou des animaux, comme nous l’avons montré pour invalider la nécessité de fonctions intellectuelles supérieures. Une autre objection consiste dans « le fait que le placebo fonctionne même quand il est dévoilé » (6) : l’exemple cité est celui de l’utilisation d’un placebo à la place d’un produit actif dans le cadre de « fenêtres thérapeutiques » qui permettent d’éviter la toxicité de médicaments pris sur le long cours. Ceci illustre bien selon nous le phénomène du conditionnement. D’autres exemples peuvent être donnés comme les infections respiratoires et la prise de vitamine C dans les états grippaux. A l’attente du patient, s'ajoutent l'investissement et l’attente du médecin, sa conviction, qui exercent une influence et peuvent conditionner le résultat thérapeutique.
Neuromédiateurs et imagerie cérébrale
L’effet placebo est particulièrement marqué dans les maladies ayant un lien avec l’anxiété, telle que la douleur, la dépression, mais aussi l’hypertension, l’hyperacidité gastrique, … C’est pourquoi l’hypothèse d’un mécanisme impliquant la production d’endorphines est assez vite apparue. L’expérience de Levine (7) l’a renforcée en montrant que la naloxone, antagoniste morphinique, annulait l’effet antalgique obtenu par placebo. L’activation de la neurotransmission médiée par des récepteurs µ-opioïdes grâce à l’administration d’un placebo a été mise en évidence par imagerie cérébrale (8). Les systèmes GABAergique et dopaminergique peuvent aussi intervenir, avec un rôle différent selon le neurotransmetteur : le système dopaminergique a un rôle dans le système de récompense et dans les attentes du patient, le système GABAergique provoque un apaisement dans les situations de peur (9). Le système dopaminergique est en particulier impliqué dans l’efficacité du placebo dans la maladie de Parkinson : l’administration d’un placebo induit la sécrétion endogène de dopamine dans le striatum (10). Or, si le striatum dorsal est impliqué dans le contrôle moteur (ce qui permet d’expliquer l’amélioration des symptômes de la maladie de Parkinson), le striatum ventral est impliqué dans les mécanismes cérébraux liés à la réponse (reward circuitry) : l’hypothèse faite est que l’attente (pas l’obtention) d’une récompense (une amélioration des symptômes) provoque la sécrétion de dopamine au niveau du striatum ventral. Selon les mêmes auteurs, le système dopaminergique peut être impliqué dans l’effet placebo dans la douleur, la dépression et sans doute dans d’autres tableaux cliniques. Ce modèle a été testé positivement chez des animaux. Cela nous fait donc sortir du cadre cognitiviste premièrement évoqué, sans rejeter le rôle de l’intention et sans la limiter à une réflexivité. La mise en évidence de la sécrétion de neurotransmetteurs par des études en imagerie cérébrale donne un fondement à l’hypothèse émise par I. Godfroid (11) d’une modification de la microarchitecture cérébrale, suite à un stimulus (situation, pensée, suggestion, …), et qui provoque à son tour la sécrétion de substances endogènes, médiateurs pour un effet somatique. Cette hypothèse a le mérite de rassembler les mécanismes proposés en termes d’attente, de conditionnement, et de neuromédiateurs.
Conclusion
Il reste beaucoup à comprendre des modes d’action des placebos. Les écrits concernant le placebo témoignent encore d’une conception de ce moyen comme une tromperie du patient alors que d’autres soulignent le potentiel à utiliser de la part de praticiens conscients du rôle du contexte, de la suggestion, des facteurs relationnels, et de patients qui voient là un moyen d’avoir plus de contrôle sur leur santé par une meilleure conscience des mécanismes corporels en jeu (12). Il importe pour la pratique de garder à l'esprit que le placebo est présent dans toute relation thérapeutique et s'ajoute à l'effet d'un médicament réputé actif. En termes de recherche sur le placebo, il faut insister sur la nécessité de comparer un groupe traité par placebo à un groupe non traité si l’on veut effectivement mesurer l’effet placebo. Il en est de même pour ce qui concerne sa visualisation en imagerie cérébrale.
Références
- Michiels B. Puissance ou inutilité des placebos ? Entre croyants et incrédules ? [Editorial] MinervaF 2009;8(9):117.
- McMillan FD. The placebo effect in animals. J Am Vet Med Assoc 1999;215:992-9.
- Philipon P. L'effet placebo pris sur le fait. La Recherche 2003;366:54-7.
- Boussageon R. Placebo et effet placebo. Quatrième partie : la difficile mesure de l’effet placebo « L’erreur de Beecher ». Médecine 2013;9:128-31.
- Tilmans-Cabiaux C. Effet placebo ou la subjectivité à l'œuvre dans la guérison. In: Ravez L, Tilmans C (editors). La médecine, autrement ! Pour une éthique de la subjectivité médicale. Presses universitaires de Namur, 2011:273-96.
- Peck C, Coleman G. Implications of placebo theory for clinical research and practice in pain management. Theor Med 1991;12:247-70.
- Levine JD, Gordon NC, Fields HL. The mechanism of placebo analgesia. Lancet 1978;2:654-7.
- Zubieta JK, Bueller JA, Jackson LR, et al. Placebo effects mediated by endogenous opioid activity on mu-opioid receptors. J Neurosci 2005;25:7754-62.
- Bardot V, Charvy P, Airagnes G, et al. L’origine du placebo. Perspectives Psy 2013;52:314-20.
- de la Fuente-Fernández R, Schulzer M, Stoessl AJ. Placebo mechanisms and reward circuitry: clues from Parkinson's disease. Biol Psychiatry 2004;56:67-71.
- Godfroid IO. L'effet placebo. Un voyage à la frontière du corps et de l'esprit. Socrate Editions Promarex, 2003.
- Benedetti F, Mayberg HS, Wager TD, et al. Neurobiological mechanisms of the placebo effect. J Neurosci 2005;25:10390-402.
Auteurs
Dagneaux I.
Médecin généraliste, Centre de Bioéthique de l'Université de Namur (CBUN)
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Commentaires
Pierre Rimbaud 26/09/2016 11:54