Revue d'Evidence-Based Medicine



Remettre en cause le paracétamol comme premier choix antalgique ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 9 Page 235 - 239

Professions de santé


Analyse de
Machado GC, Maher CG, Ferreira PH, et al. Efficacy and safety of paracetamol for spinal pain and osteoarthritis: systematic review and meta-analysis of randomised placebo controlled trials. BMJ 2015;350:h1225. DOI: 10.1136/bmj.h1225


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité du paracétamol dans les lombalgies, la coxarthrose et la gonarthrose versus placebo, immédiates (≤ 2 semaines) et à court terme (> 2 semaines et ≤ 3 mois) ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses de bonne qualité méthodologique ne permet pas aux cliniciens de conclure quant à la place du paracétamol versus placebo pour traiter les cervicalgies et les lombalgies chroniques (absence d’étude recensée). Dans la gonarthrose et la coxarthrose (études groupées), si l’intérêt à court terme du paracétamol versus placebo semble (très) faible, son intérêt versus d’autres traitements (non médicamenteux, AINS) n’est pas abordé.


Contexte

La majorité des guides de pratique clinique (GPC) et consensus recommandent le paracétamol comme analgésique de premier choix dans les douleurs nociceptives en général (1), les lombalgies (2), la gonarthrose (3) et la coxarthrose (4) en particulier.

En 2006, une méta-analyse de la Cochrane Collaboration (5) mentionnait une efficacité statistiquement supérieure du paracétamol versus placebo dans 5 RCTs sur 6 incluses pour soulager la douleur en cas d’arthrose (coxarthrose ou gonarthrose) mais la pertinence clinique de la différence observée (amélioration de 4 points sur une échelle de 100) était mise en cause. Lors de la mise à jour du GPC de NICE concernant l’arthrose en 2014 (6), une première version supprimant une recommandation du paracétamol en premier choix fut corrigée à la demande des Sociétés Scientifiques de médecins généralistes et de rhumatologues (7). Par crainte d’un recours accru aux AINS et aux opiacés en premier choix, le paracétamol fut finalement gardé comme premier choix. Une (nouvelle) méta-analyse fait le point sur son intérêt versus placebo pour traiter les lombalgies, la gonarthrose et la coxarthrose.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • bases de données : Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE, EMBASE, CINAHL, AMED, Web of Science, LILACS, International Pharmaceutical Abstracts des origines à décembre 2014
  • recherche d’études en cours ou non publiées dans les registres des études cliniques et sur les sites pertinents
  • consultation des listes de références des articles sélectionnés et des synthèses méthodiques pertinentes.

Etudes sélectionnées

  • études RCT versus placebo mentionnant des résultats pour au moins un des critères primaires choisis
  • exclusion des études incluant des patients présentant une pathologie rachidienne sérieuse, des études avec population mixte arthrose/arthrite rhumatoïde (sauf si données séparées disponibles), des études dans le postopératoire immédiat
  • absence de restriction de langue ou de date de publication
  • inclusion finale de 3 études concernant les lombalgies (1825 patients) et de 10 études concernant l’arthrose du genou et de la hanche (3541 patients).

Populations étudiées

  • patients se plaignant de douleurs vertébrales (cervicales ou lombaires), de coxarthrose ou de gonarthrose sans condition quant à l’intensité ou à la durée des symptômes
  • absence d’étude concernant les cervicalgies
  • 2 RCTs concernent les lombalgies aiguës (133 et 1652 patients) ; 1 seule RCT concerne les lombalgies chroniques ; elle n’inclut que 40 patients et est la seule étude de cette synthèse avec administration du paracétamol en IV
  • dose de paracétamol oral : 3,9 à 4 g/j dans toutes les études, sauf 2 (3 g/j).

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : intensité de la douleur, niveau de handicap, qualité de vie
  • critères de jugement secondaires : sécurité (effets indésirables), adhérence du patient, recours à d’autres médicaments
  • les termes d’évaluation ont été définis comme immédiat (≤ 2 semaines), court (> 2 semaines mais maximum 3 mois), intermédiaire (> 3 mois mais moins d’un an), long (> 12 mois)
  • conversion des données pour la douleur et le handicap sur des échelles de 0 à 100 ; une différence clinique minimale pertinente de 9 mm sur une VAS de 0 - 100 mm a été choisie sur base d’études dans l’arthrose
  • évaluation de la non concordance (inconsistency en anglais) entre les résultats par le test I² de Higgins
  • analyse des résultats par le modèle d’effets aléatoires en cas d’hétérogénéité statistique entre les résultats.

Résultats

  • critères de jugement primaires
    • pour les lombalgies : pas d’efficacité du paracétamol versus placebo ni pour la douleur ni pour le handicap, ni immédiatement ni à court terme (GRADE : qualité élevée pour tous les items, sauf pour la douleur : qualité modérée)
    • pour la gonarthrose et la coxarthrose :
      • effets immédiats
        • sur la douleur (N = 5, n = 1741) : moyenne pondérée" data-content="En mettant en commun les résultats individuels d’études dans une méta-analyse, une pondération statistique peut être attribuée aux résultats des études incluses. En attribuant ce facteur de pondération, il est possible d’attribuer dans l’analyse plus de poids aux études réalisées auprès de populations numériquement plus importantes ou de meilleure qualité méthodologique. La Différence Moyenne Pondérée est le résultat d’une méta-analyse incluant des études dont les résultats sont exprimés en variables continues (rapportées avec moyenne et écart type) pondérées et mises en commun.">DMP à -3,3 (IC à 95% de -5,8 à -0,8) (GRADE : qualité élevée)
        • sur le handicap (N = 3, n = 1378) : pas d’efficacité significative (GRADE : qualité modérée)
      • effets à court terme :
        • sur la douleur (N = 7, n = 3153) : DMP à -3,7 (avec IC à 95% de -5,5 à -1,9) (GRADE : qualité élevée)
        • sur le handicap (N = 7, n = 3153) : DMP à -2,9 (avec IC à 95% de -4,9 à -0,9) (GRADE : qualité élevée)
  • critères de jugement secondaires
    • effets indésirables : pas de différence versus placebo pour le nombre de patients rapportant un effet indésirable ni pour un effet indésirable sérieux (GRADE : qualité modérée), ni pour les arrêts d’étude pour effet indésirable (GRADE : qualité élevée)
    • perturbation des tests hépatiques (ALAT/ASAT) au-delà de 1,5 x la valeur supérieure (N = 3, n = 1237) : RR de 3,8 (avec IC à 95% de 1,9 à 7,4) pour le paracétamol versus placebo (GRADE : qualité élevée)
    • pas de différence au point de vue adhérence thérapeutique (GRADE : qualité modérée) ni recours à d’autres médicaments (AINS) (GRADE : qualité élevée).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le paracétamol est inefficace pour traiter les lombalgies et apporte un bénéfice minimal à court terme chez les personnes souffrant d’arthrose. Ces résultats invitent à reconsidérer les recommandations des guides de pratique clinique de recourir au paracétamol pour les patients souffrant de lombalgies, de coxarthrose et de gonarthrose.

Financement de l’étude

Cette recherche n’a bénéficié d’aucun financement spécifique ; les différents auteurs ont bénéficié de bourses du gouvernement australien, d’une fondation médicale, d’une université, ou sont investigateurs d’un centre d’excellence.

Conflits d’intérêts des auteurs

4 auteurs déclarent avoir reçu un financement de la firme GlaxoSmithKline dans un autre contexte que cette recherche, un parmi eux a également reçu une bourse d’étude.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses repose sur une méthodologie rigoureuse : recherche exhaustive dans la littérature, extraction indépendante (2 auteurs) des caractéristiques des études et des résultats chiffrés, avec contact si nécessaire avec les auteurs des articles originaux. Le risque de biaisa été analysé selon les recommandations de la Cochrane Collaboration ; une seule étude est jugée à faible risque dans tous les domaines explorés. Quatre études ont un risque élevé de biais dans au moins un domaine. La qualité de preuve a été mentionnée selon le score GRADE. Un biais de publication a été recherché (mais non identifié). Une hétérogénéité a été recherchée au moyen du test I² de Higgins et des valeurs supérieures à 50% ont été qualifiées de forte hétérogénéité. Les analyses ont été faites en modèle d’effets aléatoires. Des analyses de sensibilité ont été faites en fonction des risques de biais (pas d’effet observé) et de la taille des échantillons d’étude (sans effet « petites études » observé au test de Egger). Les auteurs ont évalué l’impact possible d’une nouvelle publication sur leurs résultats et ont conclu que cet ajout ne modifierait pas les résultats de la méta-analyse.

Interprétation des résultats

L’analyse des résultats de cette intéressante méta-analyse peut bénéficier de différents éclairages.

L’absence d’études ou leur rareté dans d’autres indications pose question. Nous ne disposons d’aucune étude (paracétamol versus placebo) concernant les cervicalgies. Pour les lombalgies, deux études concernent les lombalgies aiguës. Une seule petite étude, incluant 40 patients, analyse l’efficacité d’une administration unique d’une dose d’1 g de paracétamol IV (8). L’auteur principal de la présente synthèse méthodique signale, dans une autre publication (9) que cette étude a été retirée de la publication. Donc, pas de conclusion possible ni pour les cervicalgies, ni pour les lombalgies chroniques, par manque d’études.

Pour la gonarthrose et la coxarthrose, un effet du paracétamol est observé dans les 2 semaines sur la douleur mais non sur le handicap, et dans les 3 mois sur la douleur et le handicap, sans effet indésirable ou arrêt plus fréquent qu’avec un placebo. La pertinence clinique est jugée incertaine (n’atteignant pas la différence clinique pertinente minimale), ce qui est correct.

Notons aussi les altérations biologiques hépatiques (ASAT/ALAT)  mentionnées dans 3 études : une élévation de 1,5 x la norme supérieure est observée (mais non de 4 x comme référence souvent prise dans d’autres études), avec un risque 4 fois supérieur à celui des groupes placebo. Comme le reconnaissent les auteurs de cette synthèse, nous ignorons cependant l’impact de cette élévation sur des critères (évènements) cliniques pertinents.

Aucune étude incluse ne rapporte des résultats à long terme (au-delà de 3 mois), ce qui est interpellant pour des pathologies qui sont chroniques.

Mise en perspective des résultats

Comme mentionné dans l’introduction de cet article, en 2006, une méta-analyse de la Cochrane Collaboration (5) mentionnait une efficacité statistiquement supérieure du paracétamol versus placebo dans 5 RCTs sur 6 incluses pour soulager la douleur en cas d’arthrose (coxarthrose ou gonarthrose) mais la pertinence clinique de la différence observée (amélioration de 4 points sur une échelle de 100) était mise en cause par les auteurs qui concluaient à une efficacité supérieure des AINS versus paracétamol en cas d’arthrose, tout en mentionnant que l’ampleur des effets correspondait à un effet thérapeutique faible à modeste. Ils mentionnaient aussi les effets indésirables gastro-intestinaux plus fréquents sous AINS que sous paracétamol : RR à 1,47 (avec IC à 95% de 1,08 à 2,00).

Une synthèse publiée en 2011 (10) incluant 15 RCTs (21 comparaisons entre AINS et paracétamol en cas de gonarthrose ou de coxarthrose) apporte des conclusions semblables tout en soulignant que les comparaisons entre AINS et paracétamol pourraient donner des résultats différents suivant le site d’arthrose.

Pour la gonarthrose, une méta-analyse en réseau de 2015 (11) montrait une efficacité en termes de soulagement de la douleur à 3 mois des AlNS versus placebo, avec une efficacité supérieure à celle du paracétamol en termes de soulagement de la douleur, de critères fonctionnels, de raideur articulaire.

Une RCT publiée en 2015 concernant la gonarthrose (12), n’a pas montré de supériorité du diclofénac versus paracétamol sur 12 semaines de suivi, pour soulager la douleur et améliorer les capacités fonctionnelles.

Une synthèse de la littérature publiée en 2014 (13) concernant la douleur chronique (la majorité des études concernant l’arthrose) chez les personnes âgées d’au moins 65 ans, conclut que les preuves actuelles justifient  une approche par étapes avec le paracétamol en premier choix.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses de bonne qualité méthodologique ne permet pas aux cliniciens de conclure quant à la place du paracétamol versus placebo pour traiter les cervicalgies et les lombalgies chroniques (absence d’étude recensée). Dans la gonarthrose et la coxarthrose (études groupées), si l’intérêt à court terme du paracétamol versus placebo semble (très) faible, son intérêt versus d’autres traitements (non médicamenteux, AINS) n’est pas abordé.

 

Pour la pratique

La majorité des GPC recommandent le paracétamol comme analgésique de premier choix dans les douleurs nociceptives en général (1), les lombalgies (2), la gonarthrose (3), et la coxarthrose (4) en particulier. Ce choix repose sur des comparaisons en termes d’efficacité et de sécurité des alternatives médicamenteuses disponibles, particulièrement chez les personnes âgées qui souffrent plus fréquemment des pathologies ici envisagées. Cette synthèse méthodique n’apporte pas d’argument suffisamment robuste pour mettre ce choix en cause, tout en nous rappelant une toxicité hépatique potentielle du paracétamol modulée par la dose administrée. Il ne faut également pas négliger l’intérêt potentiel des approches non médicamenteuses, par exemple la pratique d’exercices en cas de lombarthrose (14,15) ou en cas d’arthrose (6).

 

Références 

  1. De Jong L, Janssen PG, Keizer D, et al; NHG-Werkgroep Pijn. NHG-Standaard Pijn 2015.
  2. Chou R, Qaseem A, Snow V, et al. Diagnosis and treatment of low back pain: a joint clinical practice guideline from the American College of Physicians and the American Pain Society. Ann Intern Med 2007;147:478-91. DOI: 10.7326/0003-4819-147-7-200710020-00006
  3. Jordan KM, Arden NK, Doherty M, et al. EULAR Recommendations 2003: an evidence based approach to the management of knee osteoarthritis: report of a task force of the Standing Committee for International Clinical Studies Including Therapeutic Trials (ESCISIT). Ann Rheum Dis 2003;62:1145–55. DOI: 10.1136/ard.2003.011742
  4. Zhang W, Doherty M, Arden N, et al. EULAR evidence based recommendations for the management of hip osteoarthritis: report of a task force of the EULAR Standing Committee for International Clinical Studies Including Therapeutics (ESCISIT). Ann Rheum Dis 2005;64:669-81. DOI: 10.1136/ard.2004.028886
  5. Towheed TE, Maxwell L, Judd MG, et al. Acetaminophen for osteoarthritis. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD004257.pub2
  6. National Institute for Health and Care Excellence. Osteoarthritis: care and management. NICE guidelines 177. Published 2014.
  7. Wise J. NICE keeps paracetamol in UK guidelines on osteoarthritis. BMJ 2014;348:g1545. DOI: 10.1136/bmj.g1545
  8. Wetzel L, Zadrazil M, Paternostro-Sluga T, et al. Intravenous nonopioid analgesic drugs in chronic low back pain patients on chronic opioid treatment: a crossover, randomised, double-blinded, placebo-controlled study. Eur J Anaesthesiol 2014;31:35-40. DOI: 10.1097/EJA.0b013e328365ae28
  9. Saragiotto BT, Machado GC, Ferreira ML, et al. Paracetamol for low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD012230
  10. Verkleij SP, Luijsterburg PA, Bohnen AM, et al. NSAIDs vs acetaminophen in knee and hip osteoarthritis: a systematic review regarding heterogeneity influencing the outcomes. Osteoarthritis Cartilage 2011;19:921-9. DOI: 10.1016/j.joca.2011.04.013
  11. Bannuru RR, Schmid CH, Kent DM, et al. Comparative effectiveness of pharmacologic interventions for knee arthritis. A systematic review and network meta-analysis. Ann Intern Med 2015;162:46-54. DOI: 10.7326/M14-1231
  12. Verkleij SPJ, Luijsterburg PAJ, Willemsen SP, et al. Effectiveness of diclofenac versus paracetamol in knee osteoarthritis: a randomised controlled trial in primary care. Br J Gen Pract 2015;65:e530-7. DOI:10.3399/bjgp15X686101
  13. Makris UE, Abrams RC, Gurland B, Reid MC. Management of persistent pain in the older patient: a clinical review. JAMA 2014;312:825-36. DOI: 10.1001/jama.2014.9405
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  15. Van de Velde S. Programmes d’exercices pour l’arthrose des membres inférieurs. MinervaF 2014;13(4):43-4.

 




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