Revue d'Evidence-Based Medicine



Calmer la douleur à l’aide d’opioïdes : une prise en charge est souhaitable !



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 6 Page 113 - 114

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Conclusion
Une collaboration transparente entre le patient, le médecin et le pharmacien conditionne le contrôle du traitement et le sevrage progressif des opiacés sur le terrain. En attendant l’élaboration et la mise en place d’instruments facilitateurs, il est quasiment impossible de maîtriser ce problème.


Chaque patient a droit à un soulagement efficace de la douleur, qu’elle soit aiguë ou chronique. Lorsque l’effet du paracétamol et des AINS est insuffisant, on peut envisager de passer aux opioïdes. Par exemple, le tramadol est particulièrement apprécié comme analgésique narcotique dans les situations les plus diverses. L’obligation de prescription n’en ralentit nullement l’utilisation. Cependant, Minerva a souligné à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves scientifiques de l’efficacité des opioïdes (y compris le tramadol) par rapport à d’autres analgésiques dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses telles que les douleurs neuropathiques (1-4), les lombalgies (5,6), les douleurs arthrosiques (7-10) et la neuropathie diabétique (11,12).

Un récent guide de pratique européen contient des recommandations concrètes sur le rôle des opioïdes dans la douleur chronique non cancéreuse (13,14). Le choix d’une préparation dépend du profil de la douleur et du profil pharmacocinétique du médicament. Si la douleur varie sur 24 heures, il est préférable de ne pas opter pour une préparation d’une durée de 24 heures, comme les patchs thérapeutiques. On choisira, en fonction du profil de la douleur, une préparation à libération immédiate (immediate release) ou à libération prolongée (sustained release). Une préparation à action rapide (sublinguale, sous forme de gouttes) a l’avantage de soulager plus rapidement la douleur, mais le risque d’abus est accru. L’instauration d’un traitement se fait non seulement dans un souci de contrôle de la douleur, mais aussi dans une perspective d’avenir. On évitera autant que possible un traitement concomitant avec des benzodiazépines, de la gabapentine et de la prégabaline, car il y a un risque d’effets indésirables sédatifs, de dépression respiratoire et de surdosage d’opioïdes. Le patient et l’environnement de soins jouent un rôle important dans l’approche thérapeutique. Outre les médicaments, il est important de surveiller aussi la consommation d’alcool. Les experts mettent aussi en garde contre l’utilisation concomitante d’antidépresseurs (risque accru de syndrome sérotoninergique) et de médicaments à effet anticholinergique (risque accru de tachycardie, d’hypertension, d’agressivité et d’hallucinations). Certains opioïdes, comme le tramadol et l’oxycodone, peuvent également allonger l’intervalle QT en monothérapie. Plus l’âge du patient est élevé, plus il est important d’ajuster lentement la dose en fonction de l’effet thérapeutique et des effets indésirables. Les analgésiques opioïdes ne sont jamais indiqués chez l’enfant et l’adolescent, ni en cas de grossesse ou d’allaitement.

Le Service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM) de l’INAMI a constaté que la consommation de cinq opioïdes a considérablement augmenté en dix ans. Il s’agit du tramadol, de l’oxycodone, de la tilidine (qui a depuis été retirée du marché), des patchs de fentanyl et du piritramide. En 2016, 30300 patients ont consommé en moyenne plus d’une dose journalière d’analgésique narcotique. Plus de 7300 patients prenaient même plus de deux doses journalières. Ils sont aujourd’hui plus de 8000 dans ce cas. Plus de 20% des patients avec un usage élevé et chronique étaient âgés de moins de 50 ans (15).

Des schémas de sevrage progressif sont mis à disposition par le Centre belge d’information pharmacothérapeutique (CBIP). Le rythme de sevrage (extrêmement progressif (slowest), progressif (slower), assez rapide (faster), rapide (rapid)) dépend de la situation (16). Malgré les instructions détaillées et méritoires pour le sevrage progressif, nous devons toutefois faire encore quelques observations critiques. Le sevrage progressif s’accompagne d’effets indésirables. Minerva a déjà abordé ce thème dans le contexte des mesures non médicamenteuses d’aide au sevrage progressif (17,18). Dans une analyse que vous trouverez plus loin dans ce numéro, nous examinons de plus près les aides médicamenteuses pour le sevrage progressif (19,20).

Pour éviter une consommation excessive, il est avant tout nécessaire d’assurer une surveillance, et ce dès le début du traitement, tant à l’hôpital qu’en ambulatoire. Les patients peuvent obtenir des prescriptions d’opioïdes presque sans limite. En pharmacie, refuser d’exécuter une prescription valide est loin d’être évident. Le pharmacien peut toutefois constater une utilisation excessive. Le dossier pharmaceutique partagé (DPP) donne aux pharmaciens un aperçu de la nature et de la quantité des emballages fournis, mais ne nomme pas les prescripteurs ni n’indique les dates de prescription. Cela devient encore plus difficile lorsque le patient refuse la lecture de sa carte d’identité. Dans ce cas, le médecin n’a pas la possibilité de créer une ordonnance électronique, ou le pharmacien ne peut pas la récupérer de l’ordinateur. Les médecins et les pharmaciens subissent alors souvent des pressions, et il peut malheureusement arriver que le patient en vienne à des violences physiques.

Si le médecin généraliste constate un usage excessif d’opioïdes, un accord de soins peut être proposé en concertation avec le patient (21). Malheureusement, l’accord de soins n’a qu’une valeur limitée s’il n’y a pas de transparence entre le ou les médecins prescripteurs et le ou les pharmaciens dispensateurs. Contrairement à l’usage contrôlé de la méthadone dans la toxicomanie, le patient peut toujours « faire ses achats » à l’insu du médecin avec qui l’accord de soins a été conclu. C’est pourquoi il est important que la conclusion de l’accord de soins associe également le pharmacien de référence. Il s’agit du pharmacien à qui le patient confie le suivi de ses antécédents médicamenteux. Ce suivi se concrétise notamment par un schéma thérapeutique établi en concertation avec le patient et son médecin généraliste (22). Par ailleurs, l’INAMI et le SPF Santé Publique travaillent sur le projet VIDIS (Virtual Integrated Drug Information System) (23). Ce système doit fournir des informations transparentes sur la prescription et la délivrance des médicaments. Le projet VIDIS doit donc permettre un accompagnement personnalisé du patient par son médecin et son pharmacien. À ce jour, VIDIS n’a toutefois pas encore vu le jour. Des travaux sont en cours pour rendre le système opérationnel d’ici 2023.

 

Conclusion

Une collaboration transparente entre le patient, le médecin et le pharmacien conditionne le contrôle du traitement et le sevrage progressif des opiacés sur le terrain. En attendant l’élaboration et la mise en place d’instruments facilitateurs, il est quasiment impossible de maîtriser ce problème.

 

 

Références 

  1. Hans G. Tramadol bij neuropathische pijn. MinervaF 2007;6(7):100-1.
  2. Hollingshead J, Dühmke RM, Cornblath DR. Tramadol for neuropathic pain. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD003726.pub3
  3. Dequiedt C. , Henrard G. Tramadol dans les douleurs neuropathiques : toujours pas de preuves de bonne qualité disponibles. Minerva Analyse 15/11/2018.
  4. Duehmke RM, Derry S, Wiffen PJ, et al. Tramadol for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD003726.pub4
  5. Chevalier P, Le Polain B. Opioïdes et lombalgies chroniques : efficacité et sécurité. MinervaF 2007;6(7):98-9.
  6. Martell BA, O’Connor PG, Kerns RD, et al. Systematic review: opioid treatment for chronic back pain: prevalence, efficacy, and association with addiction. Ann Intern Med 2007;146:116-27. DOI: 10.7326/0003-4819-146-2-200701160-00006
  7. Feron J-M. Efficacité des médicaments opioïdes versus non opioïdes pour la fonction et la douleur chez les patients douloureux chroniques au niveau du dos, de la hanche ou du genou. Minerva Analyse 15/09/2019.
  8. Krebs EE, Gravely A, Nugent S, et al. Effect of opioid vs nonopioid medications on pain-related function in patients with chronic back pain or hip or knee osteoarthritis pain: the SPACE randomized clinical trial. JAMA 2018;319:872-82. DOI: 10.1001/jama.2018.0899
  9. Crismer A. Efficacité et sécurité des opioïdes oraux ou transdermiques dans le traitement des douleurs de l’appareil locomoteur chez les patients âgés. Minerva Analyse 15/06/2019.
  10. Megale R, Deveza L, Blyth F, et al. Efficacy and safety of oral and transdermal opioid analgesics for musculoskeletal pain in older adults: a systematic review of randomized, placebo-controlled trials. J Pain 2018;19:475.e1-475.e24. DOI: 10.1016/j.jpain.2017.12.001
  11. Devulder J. L'oxycodone efficace pour traiter la neuropathie diabétique. MinervaF 2004;3(8):124-5.
  12. Gimbel JS, Richards P, Portenoy RK. Controlled-release oxycodone for pain in diabetic neuropathy. A randomised controlled trial. Neurology 2003;60:927-34. DOI: 10.1212/01.wnl.0000057720.36503.2c
  13. Häuser W, Morlion B, Vowles KE, et al. European clinical practice recommendations on opioids for chronic noncancer pain – part 1: role of opioids in the management of chronic noncancer pain. Eur J Pain 2021; 25:949-68. DOI: 10.1002/ejp.1736
  14. Krcevski-Škvarc N, Morlion B, Vowles KE, et al. European clinical practice recommendations on opioids for chronic noncancer pain – part 2: special situations. Eur J Pain 2021;25:969-85. DOI: 10.1002/ejp.1744
  15. Antidouleurs : Notre analyse à propos de l’usage inquiétant de 5 opioïdes (hors hospitalisation). Dernière mise à jour 09 juillet 2018. URL: https://www.riziv.fgov.be/fr/publications/ra2017/themes/Pages/antidouleurs.aspx : site consulté le 3 avril 2022.
  16. CBIP. Sevrage progressif des opioïdes dans le cadre de douleurs chroniques. Folia Pharmacotherapeutica juin 2021.
  17. Sculier J.P. Un petit rôle pour un traitement psychosocial dans la prise en charge de la douleur chronique dans un contexte d’addiction aux opioïdes : à confirmer. Minerva Analyse 15/06/2021.
  18. Ilgen MA, Coughlin LN, Bohnert AS, et al. Efficacy of a psychosocial pain management intervention for men and women with substance use disorders and chronic pain: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2020;77:1225-34. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2020.2369
  19. Laekeman G. Quelle est l’utilité des agonistes des opioïdes en cas de dépendance aux opioïdes ? MinervaF 2022:21(6):115-8.
  20. Santo TJ, Clark B, Hickman M, et al. Association of opioid agonist treatment with all-cause mortality and specific causes of death among people with opioid dependence: a systematic review and meta-analysis. JAMA Psychiatry 2021;78:979-93. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2021.0976
  21. Ordre des médecins. Accord de soins entre médecin-patient sur l’utilisation d’opioïdes. URL: https://ordomedic.be/fr/advices/pdf/52828 , site consulté le 1/07/2022.
  22. APB. Pharmacien de référence. URL: https://www.apb.be/fr/corp/l-association-pharmaceutique-belge/le-fil-de-l-actualite/Actualites/Pages/Pharmacien-de-reference_un-nouveau-service-en-pharmacie.aspx , site consulté le 1/07/2022.
  23. INAMI. Projet VIDIS : Partager les données sur les médicaments de façon électronique. URL:  https://www.riziv.fgov.be/fr/themes/esante/Pages/projet-vidis.aspx , site consulté le 1/07/2022.

 


Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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