Revue d'Evidence-Based Medicine
Qu’en est-il de l’utilité de la vitamine D et des acides gras oméga 3 dans les maladies auto-immunitaires ?
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 2 Page 30 - 33
Professions de santé
Diététicien, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, PharmacienContexte
Minerva a déjà discuté à plusieurs reprises de la vitamine D et des acides gras polyinsaturés. Une synthèse méthodique avec méta-analyse a montré que la prise de vitamine D3 pouvait, à court terme, entraîner une légère diminution de la mortalité par cancer (1,2). Deux autres synthèses méthodiques avec méta-analyses ont montré que, chez les personnes présentant une carence en vitamine D, l’administration systématique de vitamine D, par comparaison avec un placebo, pouvait réduire le nombre d’exacerbations modérées à sévères chez les patients atteints de BPCO (3,4) et prévenir les infections respiratoires aiguës (5,6). Les acides gras polyinsaturés, associés ou non à la vitamine D, semblent n’avoir eu aucun effet sur la tension artérielle, les performances physiques, les fonctions cognitives ou l’incidence des fractures non vertébrales et des infections chez les personnes en bonne santé ayant 70 ans et plus (7,8). Les acides gras polyinsaturés, eux non plus, n’ont pas eu d’influence positive sur la mortalité cardiovasculaire ni sur la survenue des événements cardiovasculaires et cérébrovasculaires (9,10). De nombreuses incertitudes subsistent également quant à l’utilité des acides gras oméga 3 chez les patients atteints de maladies cardiovasculaires ou de diabète (11,12) ou chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque symptomatique (13,14). Plusieurs études ont montré des résultats contradictoires sur l’utilité de la vitamine D ou des acides gras oméga 3 dans le traitement des maladies auto-immunes. En outre, les recherches sur le rôle préventif de ces molécules dans le cadre des maladies auto-immunes font défaut (15).
Résumé
Population étudiée
- large recrutement (notamment au moyen de courriers électroniques envoyés à des listes de diffusion et par le biais de publicités), aux États-Unis, d’adultes (hommes ≥ 50 ans et femmes ≥ 55 ans) qui ne prenaient pas plus de 800 UI de supplément de vitamine D par jour et ne prenaient pas de suppléments d’huile de poisson
- critères d’exclusion : insuffisance rénale ou dialyse, cirrhose du foie, hypercalcémie, cancer (sauf cancer de la peau autre que le mélanome), maladie cardiovasculaire, autres affections graves
- finalement, inclusion de 25871 participants ; 12786 hommes (âge moyen : 67,1 ans) et 13 085 femmes (âge moyen : 67,1 ans) ; 20,2% de Noirs et 8,5% d’autres non-Blancs ; 42,6% prenaient moins de 800 UI de supplément de vitamine D par jour ; le taux sérique moyen de 25-OH-vitamine D était de 30,7 ng/ml (ET : 10 ng/ml) ; 12,9% avaient un taux sérique de 25-OH-vitamine D < 20 ng/ml ; l’indice oméga 3 (somme des taux sériques d’acide eicosapentaénoïque et d’acide docosahexaénoïque exprimée en pourcentage du taux de lipides) était en moyenne de 2,6 (ET : 0,9) ; le BMI moyen était de 28,1 (ET 5,7) kg/m² ; il y avait 7,2% de fumeurs ; 34,1% des participants avaient des antécédents familiaux de maladies auto-immunes.
Protocole de l’étude
Étude randomisée, menée en double aveugle, contrôlée par placebo
- après une période de pré-inclusion de 3 mois avec placebo, les participants ont été randomisés en quatre groupes selon un plan factoriel 2 x 2 :
- vitamine D3 (cholécalciférol 2000 UI/jour) + acides gras oméga 3 (1 g d’huile de poisson/jour, comportant 460 mg d’acide eicosapentaénoïque et 380 mg d’acide docosahexaénoïque) (n = 6463)
- vitamine D3 + placebo d’acides gras oméga 3 (n = 6464)
- acides gras oméga 3 + placebo de vitamine D3 (n = 6470)
- placebo d’acides gras oméga 3 + placebo de vitamine D3 (n = 6474)
- par le biais d’un questionnaire annuel, les participants ont été invités à signaler l’observance, les effets indésirables et les nouveaux diagnostics de maladies auto-immunes (diagnostiquées par un médecin) ; chaque nouveau diagnostic a été confirmé ou infirmé par deux médecins agissant en aveugle sur la base du dossier médical du participant.
Mesure des résultats
- principal critère de jugement : incidence des maladies auto-immunes confirmées, notamment la polyarthrite rhumatoïde, la polymyalgie rhumatismale, les maladies thyroïdiennes auto-immunes, le psoriasis
- modèle à risques proportionnels de Cox corrigé pour tenir compte de l’âge, du sexe et des origines ethniques
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- la supplémentation en vitamine D a entraîné moins de cas de maladies auto-immunes confirmées, par comparaison avec le placebo de vitamine D, et ce de manière statistiquement significative (respectivement 123 participants sur 12 927 et 155 sur 12 944 ; HR de 0,78 avec IC à 95% de 0,61 à 0,99 ; p = 0,05)
- il n’y avait pas de différence statistiquement significative dans l’incidence des maladies auto-immunes confirmées entre la supplémentation en acides gras oméga 3 et le placebo d’acides gras oméga 3 (respectivement 130 participants sur 12 933 et 148 sur 12 938 ; HR de 0,85 avec IC à 95% de 0,67 à 1,08 ; p = 0,19)
- par rapport au groupe ayant reçu uniquement un placebo, il y avait, de manière statistiquement significative, moins de maladies auto-immunes confirmées dans le groupe ayant reçu une supplémentation en vitamine D, avec ou sans administration simultanée d’acides gras oméga 3 (respectivement HR 0,69 avec IC à 95% de 0,49 à 0,96 ; p = 0,03 ; HR 0,68 avec IC à 95% de 0,48 à 0,94 ; p = 0,02), mais pas dans le groupe ayant seulement reçu un supplément d’acides gras oméga 3 (et pas de vitamine D).
Conclusion des auteurs
Une supplémentation en vitamine D pendant 5 ans, avec ou sans acides gras oméga 3, a réduit de 22% l’incidence des maladies auto-immunes. La supplémentation en acides gras oméga 3, avec ou sans vitamine D, a également réduit de 15% l’incidence des maladies auto-immunes, mais cette diminution n’était pas statistiquement significative. L’effet était plus important dans les deux bras de traitement que dans le bras témoin (placebo de vitamine D et placebo d’acides gras oméga 3).
Financement de l’étude
Subventions des National Institutes of Health ; les promoteurs n’ont joué aucun rôle dans la conception de l’étude, la collecte et l’analyse des données, l’interprétation des données, la rédaction du rapport d’étude et la décision de publier ou non.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aide financière pour cette étude ; pour le reste, pas de conflits d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Les chercheurs ont recruté une population d’étude vaste et diversifiée. Une puissance de 80% aurait permis de montrer une différence de 30% dans l’incidence des maladies auto-immunes entre les groupes. Cependant, il n’est pas clairement indiqué combien de participants cela a nécessité ni comment a été déterminé l’objectif d’une diminution de 30%.
L’utilisation de pilules placebo pour la vitamine D d’une part et pour les acides gras oméga 3 d’autre part a permis la réalisation de cette étude randomisée contrôlée menée en double aveugle. Les médecins chargés de confirmer les maladies auto-immunes ne savaient pas non plus à quel groupe appartenaient les patients. Dans certains cas (notamment les maladies thyroïdiennes), les données du dossier ne suffisaient pas pour confirmer s’il s’agissait d’une maladie auto-immune. Une analyse de sensibilité a calculé l’effet de la supplémentation sur les maladies auto-immunes confirmées et suspectées.
Les patients ont respecté le protocole : 93,1% ont répondu aux questionnaires, et 81% ont pris au moins deux tiers des médicaments de l’étude. Cette observance remarquable a été confirmée par une augmentation des taux sériques de 40% en moyenne pour la 25-OH-vitamine D et de 55% en moyenne pour l’indice oméga 3 dans les groupes recevant les traitements actifs, par rapport à un taux sérique quasiment inchangé dans le groupe placebo.
En utilisant un plan factoriel 2 x 2, les auteurs ont également pu étudier l’effet synergique de la vitamine D et des acides gras oméga 3.
Évaluation des résultats
Une diminution statistiquement significative de l’incidence des maladies auto-immunes a été montrée avec la supplémentation en vitamine D. On n’a pas observé de diminution statistiquement significative des maladies auto-immunes avec les acides gras oméga 3. Selon les auteurs, cela est dû à un manque de puissance, car dans une analyse de sensibilité qui incluait les cas suspects, ils ont constaté un bénéfice statistiquement significatif avec les acides gras oméga-3 (HR 0,82 avec IC à 95% de 0,68 à 0,99 ; p=0,04). Des recherches supplémentaires pourraient donc s'avérer utiles.
Sur une durée médiane de 5,3 ans, 400 patients adultes doivent prendre un supplément de vitamine D pendant 5,3 ans pour éviter une maladie auto-immune confirmée. Si l’on inclut également les suspicions de troubles immunologiques, ce nombre de sujets à traiter (NST) tombe à 333. Aucune interaction multiplicative statistiquement significative entre la vitamine D et les acides gras oméga 3 n’a pu être établie.
Compte tenu de l’âge des patients, les résultats ne sont pas extrapolables à des patients plus jeunes. Par ailleurs, il convient de noter que le taux sérique moyen de 25-OH vitamine D était de 30,7 (SD10) ng/ml. Cette étude ne permettait pas d’examiner une relation dose-effet car une seule dose a été prise dans les deux groupes actifs. Les doses de vitamine D (2000 UI par jour) et d’acides gras oméga 3 (1 g d’huile de poisson par jour) sont relativement élevées. Ces doses restent toutefois dans la limite de la dose journalière maximale, telle que définie dans l’arrêté royal du 3 mars 1992 (16).
Que disent les guides pour la pratique clinique ?
La supplémentation en vitamine D n’est recommandée que pour certains groupes à risque. Par exemple, une dose quotidienne de vitamine D de 800 UI en association avec du calcium est recommandée pour prévenir les fractures osseuses chez les femmes de plus de 60 ans présentant un risque accru d’ostéoporose (17). Bien que l'apport d'AGPI oméga-3 ait considérablement amélioré le profil lipidique, y compris les taux de TG, de CT, de LDL et de HDL chez des sujets atteints de diabète de type 2, les données probantes pour la prévention ou le traitement du diabète de type 2 sont incertaines ; par conséquent, le jugement clinique est recommandé. (GRADE B) (18).
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée en double aveugle, contrôlée par placebo, correctement menée d’un point de vue méthodologique, avec un plan factoriel 2 x 2, indique une diminution statistiquement significative de l’incidence des maladies auto-immunes avec une supplémentation en vitamine D, avec ou sans acides gras oméga 3, chez les adultes après un suivi d’une durée d’au moins 5 ans. Cependant, on ne sait pas bien quelle est la pertinence clinique de cet effet.
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https://etaamb.openjustice.be/fr/arrete-royal-du-19-septembre-2017_n2017013412 - Utilisation clinique des vitamines. Ebpracticenet. Mis à jour par Duodecim Medical Publications; 19/03/2014. Screené par Ebpracticenet: 2018.
- Diabète de type 2: acides gras polyinsaturés oméga-3. Ebpracticenet. JBI 12/12/2022.
Auteurs
Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
E06, M35
L99, T99
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