Revue d'Evidence-Based Medicine
(Dés)information par les firmes pharmaceutiques
Des données belges
En 2007, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) a évalué de manière rigoureuse la qualité de l’information écrite fournie par l’industrie pharmaceutique aux médecins généralistes belges ainsi que l’appréciation par ceux-ci de cette information (1). La plupart des informations écrites reçues par les médecins ne sont que parcellaires : nom seul du médicament, slogan ou images jouant sur l’émotif. Seuls 17% de l’information sont basés sur des preuves scientifiques ou sur le texte du Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP), les autres assertions restant vagues et non scientifiquement fondées. Certaines affirmations sont fausses (2%) et en contradiction avec les données scientifiques actuelles. La manière de présenter les informations ne permet pas de distinguer ce qui est publicitaire de ce qui est information d’origine scientifique, non commerciale. Lors des interviews de groupes focaux constitués en collaboration avec Domus Medica et la Société Scientifique de Médecine Générale, les chercheurs ont mis en évidence une résistance des médecins généralistes consultés vis-à-vis d’une telle information utilisant parfois des arguments dits EBM. Cette méfiance des médecins interrogés, qui soulignaient parallèlement la nécessité d’une information scientifique et indépendante des firmes pharmaceutiques, est-elle plus largement partagée par le corps médical, de telle sorte que cette information ne modifie pas les prescriptions des médecins « informés » ?
Une synthèse de la littérature
Une synthèse méthodique s’est penchée sur cette question (2). L’information prise en compte est beaucoup plus large que dans l’enquête précitée du KCE. Elle concerne les visites des délégués médicaux, les annonces dans les journaux, la participation à des réunions sponsorisées par l’industrie du médicament, l’information par mail, les logiciels de prescription, la participation à des études cliniques sponsorisées. Une recherche exhaustive et rigoureuse a été faite dans la littérature pour plusieurs types d’études (RCTs (mais 2 seules trouvées, avec randomisation en grappes), études avant-après, de cohorte, de séries, cas-contrôle, écologiques, transversales (les plus fréquentes, 41%)). Les auteurs ont sélectionné 58 études. Ils voulaient (méta-)analyser l’effet de ce type d’information par les firmes (nommée « information » plus loin dans notre texte) sur la qualité, la quantité et les coûts des prescriptions des médecins concernés. Au vu de l’hétérogénéité des études évaluant ces critères, seule une synthèse narrative a pu être faite pour les trois critères, avec une comparaison en forest-plot (sans sommation possible vu l’hétérogénéité également) des études avec analyse en modèle d’effets aléatoires pour la fréquence des prescriptions (7 études). La qualité de la prescription, évaluée dans 10 études, est moindre après « information » dans 5 études, non influencée dans 4 études, améliorée ou détériorée dans une seule dernière étude. Pour l’influence sur le coût des prescriptions, 5 études montrent une augmentation des coûts après « information », 4 ne montrent pas d’association et 1 seule observe un coût moindre. Pour la fréquence des prescriptions en fonction de la visite de délégués médicaux (29 études), 17 montrent clairement une augmentation de la prescription du médicament promotionné ainsi qu’une diminution de prescription des produits concurrents.
Partenariat utile ?
Un partenariat entre l’industrie pharmaceutique et d’autres instances améliore-t-il les critères évalués ? Les 2 seules RCTs isolées évaluaient l’intérêt d’un partenariat des autorités ou académique avec l’industrie pharmaceutique. Elles ne montrent pas de résultat favorable en termes de coût ou de qualité.
Dépôt de bilan
Globalement, 66% des études montrent un lien entre une exposition à l’ « information » des firmes et une modification (péjorative) de la qualité, de la fréquence et du coût de la prescription. Les auteurs admettent qu’il n’est pas possible de tirer de conclusions définitives fermes en fonction des limites des études et de leur synthèse, sauf une seule : il n’y a pas de preuve que l’ « information » fournie aux médecins par l’industrie pharmaceutique améliore leur prescription. La part financière que représente cette information de promotion dans le coût du médicament est très élevée. En 2004 aux E.-U., 57,5 milliards de dollars ont été consacrés à la promotion des médicaments (2). En France, 23% du chiffre d'affaire au niveau mondial sont destinés à la promotion des médicaments (pour 17% pour la recherche et le développement) (3). Le temps que cette information consomme dans l’horaire souvent chargé des médecins est également à prendre en considération. Au vu des résultats observés, le bilan n’est guère favorable. Une information dispensée par des sources indépendantes et scientifiquement validée est l’alternative. Nous avions déjà abordé ce débat dans la revue Minerva (4). Plusieurs sources belges, membres de l’International Society of Drugs Bulletin, fournissent, comme Minerva, une information pharmacothérapeutique indépendante : le Centre Belge d’information Pharmacothérapeutique Indépendante, le projet Farmaka (FormulR/info et Formulaire pour les Maisons de Repos et de Soins) et le Groupe de Recherche et d’Action pour la Santé. L’ASBL « Projet Farmaka » a également formé des visiteurs indépendants, processus analysé récemment par le KCE (5).
Ces différentes sources offrent, en complémentarité, une information complète, suffisante et indépendante d’intérêts commerciaux, mais exigent des professionnels de santé une démarche plus active.
Références
- Van Linden A, Carbonnelle S, Kohn L, et al. Valeur en termes de données probantes des informations écrites de l’industrie pharmaceutique destinées aux médecins généralistes. KCE reports 55B, 2007.
- Spurling GK, Mansfield PR, Montgomery BD, et al. Information from pharmaceutical companies and the quality, quantity, and cost of physicians’ prescribing: a systematic review. PLoS Med 2010;7: e1000352.
- Dépenses marketing des firmes : encore plus. Rev Prescr 2009;29:457.
- De Meyere M. Du «House of Commons» britannique au parlement belge. [Editorial] MinervaF 2005;4(10):147.
- Borgermans L, Dubois C, Rieppi S, et al. Impact du visiteur médical indépendant sur la pratique des médecins de première ligne. KCE reports 125B, 2010.
- GRAS http://www.grouperechercheactionsante.com/ K
Auteurs
Chevalier P.
médecin généraliste
COI :
Semaille P.
Département de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :
Glossaire
Code
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