Revue d'Evidence-Based Medicine
Evaluation gériatrique globale : disposons-nous d’instruments de mesure et de méthodes d’investigation adéquats ?
Le “ Comprehensive geriatric assessment ” est une démarche diagnostique tentant d’évaluer les possibilités médicales, psychologiques et fonctionnelles des personnes âgées fragilisées pour pouvoir proposer, en fonction de ces données, un planning à long terme pour un traitement au sens large de ces personnes âgées. Cette évaluation prend en compte la morbidité, les activités de la vie quotidienne, les capacités d’autonomie (téléphoner, faire ses emplettes, ses opérations financières, etc.), les capacités cognitives, la dépression et l’anxiété, l’état de nutrition et l’intégration sociale.
En analysant une recherche évaluant l’application d’un tel modèle, nous pouvons distinguer différents points de vue. Les patients pris en charge dans un service gériatrique offrant des soins multidisciplinaires présentent-ils de meilleurs résultats que des patients devant se contenter de soins courants ? Une récente méta-analyse (1) ne peut montrer pour une telle intervention versus soins courants qu’une moindre perte fonctionnelle à la fin du séjour et, un an après ce séjour, une proportion moindre de patients repris dans des dispositifs de soins.
Quel est l’effet de l’application d’un tel modèle chez des sujets en ambulatoire en termes de survie ? Une méta-analyse de bonne qualité ne montre aucune différence versus soins courants (2). Une question plus proche de la pratique de la médecine générale est de savoir si les visites au domicile de personnes fragilisées, effectuées par des médecins ou des infirmières, avec application du “Comprehensive geriatric assessment” ont un impact sur des critères tels que l’autonomie, la morbidité et la mortalité. Une méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre que des programmes avec offre multifonctionnelle ralentissent la régression fonctionnelle. Il est étonnant de constater que cet effet est observé dans le groupe présentant le risque le moins élevé de décès. Des visites au domicile ne retardent pas une institutionnalisation, et ne diminuent pas la mortalité, sauf dans le tertile des plus jeunes (3). Une synthèse méthodique récente conclut même à l’absence d’efficacité de visites intensives au domicile de personnes fragilisées en termes de santé, d’hospitalisation ou d’institutionnalisation (4). Les données issues de la littérature ne sont guère encourageantes. Des chercheurs catalans ont cependant osé tester encore ce modèle en première ligne de soins pour tenter de montrer qu’un suivi intensif des personnes âgées fragilisées pouvait réduire leur morbi-mortalité (5). Ils n’ont inclus que des patients pouvant se déplacer chez leur médecin généraliste et âgés de plus de 74 ans. Ils comparent des soins courants à des soins intensifs post mise au point systématique. Pour ce dernier traitement, les patients sont répartis soit dans un groupe de personnes non fragilisées recevant recommandations d’hygiène de vie et sessions de groupe, soit dans un groupe de sujets vulnérables avec visite individuelle chez un gériatre avec ensuite un programme individualisé. L’intervention englobe tous les aspects des soins gériatriques : médicaments, perte de sensibilité, troubles de la marche et risque de chutes, incontinence, mesures diététiques, programme d’exercices et soutien psychosocial. Aucune différence n’est observée en termes de mortalité ou de délai d’institutionnalisation 18 mois après inclusion dans l’étude. L’intervention apporte cependant un passage significatif du status de fragilisation à celui de non fragilisation en fonction des variables suivantes : âge moins élevé, pas de risque de dépression, recours faible à des médicaments et intervention elle-même.
Un essai de synthèse de ces études aboutit aux conclusions suivantes : les instruments d’évaluation des capacités d’autonomie et de fragilité des personnes âgées sont nombreux et leur validité peut être mise en question parce que le groupe testé est fort hétérogène. Avons-nous des données suffisantes sur les déterminants des capacités d’autonomie et de fragilité des personnes âgées ? Le but des différentes interventions est-il le même, c’est-à-dire la diminution de la mortalité, des pathologies, des hospitalisations et institutionnalisations ? Le contenu des interventions est fort différent comme l’implication de personnel formé et de moyens investis. La plupart des méta-analyses soulignent outre le problème de l’hétérogénéité (clinique, évaluation, intervention), une faible qualité méthodologique de nombreuses études.
Est-il possible, grâce à des recherches scientifiques, d’aider des personnes à bien vieillir (6,7) ? Bien vieillir ne signifie pas uniquement prévenir ou reporter des maladies ou un décès. Il s’agit de prévenir les limitations dans les capacités fonctionnelles, les capacités d’autonomie et le bien-être. Vivre plus longtemps signifie souvent vivre plus longtemps avec plusieurs maladies chroniques, troubles physiques, cognitifs et fonctionnels. Des facteurs personnels interviennent également, tels que le style de vie, les capacités à gérer la maladie et les motivations pour rester socialement actif. L’habitat, une vie réussie, les relations avec les enfants, des moyens financiers limités ou importants sont également déterminants pour les capacités de rester autonome. La multitude des déterminants explique l’hétérogénéité entre personnes âgées. D’une part les personnes âgées aisées actives, d’autre part le spectre des personnes âgées fragilisées comprenant différents profils de poids de maladie, de capacité d’autonomie et de fragilisation, avec la complexité de demande de soins qui y est liée. Un instrument de mesure validé et cohérent de cet ensemble n’existe pas. Nous ne disposons que d’instruments de mesure partiels. Des soins permettant de bien vieillir doivent être conçus en fonction d’une personne ou d’un groupe cible. Chez des personnes saines actives, il faut viser le maintien de la santé et de l’implication sociale. Chez des personnes âgées fragilisées, un bien-être et un confort seront ciblés. Ceci reste un défi pour les recherches étant donné que l’efficacité d’interventions préventives reste connue de manière fragmentaire, hétérogène et inconnue dans différents domaines. En tant que médecins généralistes, nous sommes quotidiennement confrontés à la complexité des soins dispensés aux personnes âgées. Il est donc logique que les médecins généralistes relèvent aussi le défi, en collaboration avec d’autres disciplines, de développer d’autres protocoles de recherche et instruments de mesure pouvant apporter la lumière sur l’efficacité d’interventions complexes dans les soins aux personnes âgées.
Références
- Van Craen K, Braes T, Wellens N, et al. The effectiveness of inpatient geriatric evaluation and management units: a systematic review and meta-analysis. J Am Geriatr Soc 2010;58:83-92.
- Kuo H, Scandrett KG, Dave J, Mitchell SL. The influence of outpatient comprehensive assessment on survival: a meta-analysis. Arch Gerontol Geriatr 2004;39:245-54.
- Stuck AE, Egger M, Hammer A, et al. Home visits to prevent nursing home admission and functional decline in elderly people: systematic review and meta-analysis. JAMA 2002;287:1022-8.
- Boumans A, Rossum van E, Nelemans P, et al. Effects of intensive home visiting programs for older people with poor health status: a systematic review. BMC Health Serv Res 2008;8:74.
- Monteserin R, Brotons C, Moral I, et al. Effectiveness of a geriatric intervention in primary care: a randomised clinical trial. Fam Pract 2010;27:239-45
- Gussekloo J. Preventie bij ouderen: focus op zelfredzaamheid. Huisarts Wet 2009:52;426-7.
- Preventie bij ouderen: focus op zelfredzaamheid. Den Haag: Gezondheidsraad, 2009; publicatienr. 2009/07.
Auteurs
Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
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