Revue d'Evidence-Based Medicine
Tramadol pour la douleur neuropathique
Minerva 2007 Volume 6 Numéro 7 Page 100 - 101
Professions de santé
Résumé
Contexte
- douleur neuropathique : symptôme fréquent difficile à traiter
- multiples affections neurologiques périphériques causales (1).
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- Cochrane Neuromuscular Disease Group Trials Register, MEDLINE, EMBASE, LILACS (jusqu’en juin 2005)
- listes de références des publications.
Etudes sélectionnées
- études randomisées et quasi-randomisées incluant des patients avec douleur neuropathique
- tramadol versus placebo, autre analgésique ou absence de traitement
- six études incluses.
Population étudiée
- 21 à 131 participants par étude
- neuropathie post-herpétique (2 études), polyneuropathie diabétique (2 études), douleur cancéreuse (1 étude), polyneuropathie non spécifiée (1 étude).
Mesure des résultats
- critère primaire : diminution de la douleur ≥ 50%
- critère secondaire : diminution de l’allodynie ≥ 50% après au moins 2 semaines et survenue d’effet indésirable entraînant une sortie d’étude, fatal, à pronostic vital ou motivant une hospitalisation.
Résultats
Tramadol versus placebo
- aucune des 4 études versus placebo ne reprend le critère diminution de la douleur ≥ 50% comme critère primaire
- calcul possible pour 3 études et seuil de 40% choisi pour la 4ème
- bénéfice relatif sommé pour le tramadol : 1,8 (IC à 95% 1,4 à 2,3) ; NST 3,8 (2,8 à 6,3).
Tramadol versus clomipramine
- 1 étude non en aveugle : 21 patients ; taux de sorties d’étude de 40%
- pas de différence d’efficacité significative.
Tramadol versus morphine
- 1 étude ; 40 patients avec syndrome douloureux nociceptif ou neuropathique
- supériorité en efficacité de la morphine versus tramadol durant la première semaine, disparaissant pendant les 4 semaines suivantes.
Effets indésirables
- dans les groupes tramadol de toutes les études, sorties plus fréquentes (9 à 41%) motivées par des effets indésirables
- pas de mention d’effet indésirable fatal, à pronostic vital ou motivant une hospitalisation.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que le tramadol constitue un traitement efficace de la douleur neuropathique.
Financement : non mentionné
Conflits d’intérêt : un des auteurs est lui-même co-auteur de deux études incluses et consultant pour une firme commercialisant du tramadol (Ortho-McNeil).
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Malgré un bon protocole d’étude, cette méta-analyse présente des limites. Les critères d’inclusion sont mal précisés, ce qui entraîne la sélection d’études incluant des populations hétérogènes avec des syndromes neuropathiques douloureux divers. L’étude évaluant l’efficacité du tramadol versus morphine chez des patients cancéreux ne spécifie pas s’il s’agit d’une douleur neuropathique ou plutôt nociceptive (par lésion tissulaire). Heureusement, les auteurs se limitent à des études concernant les syndromes neuropathiques douloureux périphériques. Nous ne pouvons donc rien en conclure pour les syndromes douloureux neuropathiques centraux (tels accident vasculaire cérébral ou sclérose multiple) (2). Toutes les études incluses montrent, en outre des limites méthodologiques :nombre restreint de patients, taux important de sorties d’étude, insu non évident, utilisation d’échelles de la douleur différentes (sans justification du choix d’un instrument précis). Tout ceci rend les résultats de cette méta-analyse peu cohérents. Les études cliniques ne nous livrent aucun détail quant à la sévérité et à la durée des syndromes douloureux neuropathiques.
Pertinence des résultats
Le traitement de la douleur neuropathique reste particulièrement complexe. Une approche thérapeutique basée sur le mécanisme a été récemment élaborée afin d’optimaliser les possibilités thérapeutiques : elle associe de manière progressive les analgésiques à des « adjuvants »tels qu’antidépresseurs (tricycliques) ou antiépileptiques (3). Dans cette optique, l’activité duale du tramadol pourrait, théoriquement, être intéressante (4). La présente méta-analyse, en se limitant au tramadol en monothérapie, ne peut nous apporter d’élément permettant d’évaluer le tramadol dans de telles stratégies.
Des études comparatives dans les syndromes douloureux ont montré que l’efficacité analgésique du tramadol est équivalente à celle d’une faible dose de morphine mais supérieure à celle de la codéine (5). Nous ne possédons malheureusement que des connaissances insuffisantes quant à l’efficacité du tramadol dans des syndromes neuropathiques douloureux spécifiques tels que la polyneuropathie diabétique ou la névralgie post-herpétique.
Effets indésirables
Le mécanisme d’action multifactoriel du tramadol contribue à son activité analgésique spécifique, mais est, simultanément, responsable de plusieurs effets indésirables. Son activité sérotoninergique peut, en effet, souvent provoquer des effets gastro-intestinaux, tels que nausées et vomissements (6). Des effets indésirables neurologiques peuvent également apparaître, telle une épilepsie, lors d’utilisation de doses plus élevées ou lors d’associations avec d’autres médicaments à activité sérotoninergique. A doses thérapeutiques, le tramadol présente peu ou pas d’effets négatifs sur le système respiratoire, immunologique ou cardio-vasculaire Untitled(7) et peu de constipation (7,8). Une addiction et un comportement d’abus sont cependant décrits (9,10).
Conclusion de Minerva
Cette méta-analyse montre que le tramadol est efficace dans le traitement d’une douleur neuropathique, uniquement par rapport à un placebo et sans comparaison avec d’autres analgésiques. La qualité méthodologique des études est faible ainsi que le nombre de patients qui y sont inclus. Le tramadol présente des effets indésirables importants ainsi que des interactions médicamenteuses (11). Nous devons donc en conclure que la place du tramadol dans les différentes formes de douleur neuropathique est insuffisamment établie. Les antiépileptiques et les antidépresseurs (tricycliques) restent donc un premier choix.
Références
- Holden JE, Pizzi JA. The challenge of chronic pain. Adv Drug Deliv Rev 2003;55:935-48.
- Iannetti GD, Zambreanu L, Wise RG, et al. Pharmacological modulation of pain-related brain activity during normal and central sensitization states in humans. Proc Natl Acad Sci U S A 2005;102:18195-200.
- Finnerup NB, Jensen TS. Mechanisms of disease: mechanism-based classification of neu-ropathic pain - a critical analysis. Nat Clin Pract Neurol 2006;2:107-15.
- Desmeules JA, Piquet V, Collart L, Dayer P. Contribution of monoaminergic modulation to the analgesic effect of tramadol. Br J Clin Pharmacol 1996;41:7-12.
- Moore RA, McQuay HJ. Single-patient data meta-analysis of 3453 postoperative patients: oral tramadol versus placebo, codeine and combination analgesics. Pain 1997;69:287-94.
- Petrone D, Kamin M, Olson W. Slowing the titration rate of tramadol HCl reduces the inci-dence of discontinuation due to nausea and/or vomiting: a double-blind randomized trial. J Clin Pharm Ther 1999;24:115-23.
- Desmeules JA. The tramadol option. Eur J Pain 2000;4 Suppl A:15-21.
- Grond S, Sablotzki A. Clinical pharmacology of tramadol. Clin Pharmacokinet 2004;43:879-923.
- Toxicomanie au tramadol. Rev Prescr 2004;254:669.
- Epstein DH, Preston KL, Jasinski DR. Abuse liability, behavioral pharmacology, and phy-sical dependence potential of opioids in humans and laboratory animals: lessons from tra-madol. Biol Psychol 2006;73:90-9.
- Kabel JS, van Puijenbroeck EP. Bijwerkingen van tramadol: 12 jaar ervaring in Nederland. Ned Tijdschr Geneeskd 2005;149:754-7.
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