Revue d'Evidence-Based Medicine



Une polymédication inéluctable en EBM?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 8 Page 115 - 116

Professions de santé


 

Polymédication: il n’existe pas (encore) de consensus sur la définition de ce terme. Certains proposent une norme et placent la barre à partir de cinq médicaments. D’autres ont une approche qualitative, insistant sur une utilisation d’un nombre de médicaments plus élevé que cliniquement indiqué 1.

Quels sont les effets néfastes possibles d’une polymédication? Les effets indésirables des médicaments sont devenus la cinquième cause de décès au Royaume Uni 2. Un lien est établi entre le nombre de médicaments ingérés et la survenue d’interactions et d’effets secondaires.La polymédication induit également un surcoût direct et indirect important 3. Il existe aussi un manque cruel d’études sur les effets précis, les effets indésirables et les interactions d’une polymédication: un train qui fonce dans le brouillard.

La polymédication est ancienne et le non respect de recommandations en est souvent la cause. Une prescription exagérée ou inappropriée est, entre autres, observée chez les personnes âgées. Les critères de Beers, qui déconseillent l’utilisation de nombreux médicaments dans ce groupe d’âge ont été récemment adaptés 4. Des méthodes ont été élaborées depuis des années pour supprimer définitivement la prescription de médicaments superflus et même dangereux, principalement les benzodiazépines et les neuroleptiques. Il faut souligner l’abord très limité de ce problème dans la formation médicale et dans la formation continuée.L’application de l’EBM peut freiner et même diminuer une polymédication 5,6.

De nombreux facteurs contribuent cependant à faire de la polypharmacie un des plus grands défis pour le médecin et pour le patient. Un vieillissement croissant de la population est évident, s’accompagnant d’une polypathologie. Il faut épingler l’augmentation de consommation de médicaments visant à modifier des facteurs de risque, comme les antihypertenseurs ou l’aspirine, ou la hausse des prescriptions pour des molécules hypolipidémiantes ou des inhibiteurs de l’enzyme de conversion à des personnes âgées, en bonne santé, asymptomatiques, en vue de diminuer leur risque cardiovasculaire. Cette démarche repose souvent sur des résultats d’études, conduites par l’industrie pharmaceutique, dans lesquelles certains médicaments ont une efficacité à peine supérieure à celle du placebo. Une plus value sur le moindre critère d’évaluation sert de motivation à une promotion pour un usage massif. Les effets sont cependant souvent limités, au prix d’investissements importants. Par exemple, dans l’étude PROSPER, il faut soigner 48 personnes de plus de septante ans et présentant un risque cardiovasculaire accru, par pravastatine, durant trois ans, pour éviter un «incident cardiovaculaire fatal ou non fatal» en plus 7. Ajouter du perindopril pendant plus de quatre ans, au traitement habituel de 54 sujets à risque accru, évitera à l’un d’eux un événement (infarctus non fatal, décès d’origine cardiaque ou brutal) 8.Un bénéfice en terme de mortalité totale n’est présent dans aucune de ces deux études.

Certains auteurs proposent d’administrer à toute personne âgée de plus de 55 ans un médicament associant diurétique thiazidé, IEC, ß-bloquant, aspirine, statine et acide folique, la «polypil» 9.Les études concernant la modification des facteurs de risque conduisent-elles effectivement à une polymédication et à, par exemple, une polypil? Un éditorial critique dans le British Medical Journal tente de répondre à cette question 10:«Quel bénéfice supplémentaire apporte un sixième médicament pour l’ischémie coronarienne? Peu: les recommandations doivent également prendre le rapport coût/efficacité en compte». Ce même éditorial discute de la plus value apportée par les médicaments dans la prise en charge du risque cardiovasculaire en cas d’hypertension artérielle 11. L’éditorialiste calcule le coût du traitement, durant cinq ans, de patients, présentant un risque coronarien de 10% à cinq ans, pour éviter un incident coronarien.Pour l’aspirine le coût est de 5 250 euro, pour les antihypertenseurs de 46 200 euro, pour le clopidogrel de 90 000 euro et pour la simvastatine de 92 100 euro. Aucun système de santé ne dispose des fonds nécessaires pour rembourser tout test ou médicament ayant quelqu’effet minimal. Le gain parfois très limité dans les études concernant la modification des facteurs de risque doit être recadré dans une discussion sur les choix dans les soins. Dans les limites des budgets serrés imposés également aux pays riches, le remboursement de tous les médicaments présentant une efficacité prouvée mais limitée est devenu une utopie. Minerva s’est fixé comme but de mettre les études en perspective et de permettre un choix en les analysant et en faisant des recommandations pour la pratique.L’EBM ne doit donc pas conduire automatiquement à une polymédication.

M. De Meyere,T. Christiaens, M. Bogaert

Remerciements à Tine Strobbe et Anneleen Tansens pour leur mémoire: Polyfarmacie bij bejaarden: een noodzakelijk kwaad? Universiteit Gent, 2005.

 

Références

  1. Veehof L, Haaijer-Ruskamp F, Meyboom-De Jong B. Polyfarmacie bij ouderen. Een probleem? Huisarts Wet 2001;44:446-9.
  2. Ferchichi S,Antoine V.Appropriate drug prescribing in the elderly. Review. Rev Med Interne 2004;25:582-90.
  3. Fu AZ, Liu GG, Christensen DB. Inappropriate medication use and health outcomes in the elderly. J Am Geriatr Soc 2004;52:1934-9.
  4. Fick DM, Cooper JW,Wade WE et al. Updating the Beers criteria for potentially inappropriate medication use in older adults. Arch Intern Med 2003;163:2716-24.
  5. Bogaert M, Maloteaux JM. Usage rationnel des benzodiazépines. Folia Pharmacotherapeutica 2002;29:82-90.
  6. Graves T, Hanlon J, Schmader K et al. Adverse events after discontinuing medications in elderly outpatients.Arch Intern Med 1997;157:2205-10.
  7. Lemiengre M. Traitement hypocholestérolémiant en 2004. MinervaF 2004;3(4):61-4.
  8. Etude EUROPA.Fiche de Transparence.Prise en charge de l’angor stable. CBIP, septembre 2004. www.cbip.be
  9. Fahey T, Brindle P, Ebrahim S. The polypill and cardiovascular disease. BMJ 2005;330:1035-6.
  10. Warburton R. What do we gain from the sixth coronary heart disease drug? BMJ 2003;327:1237-8.
  11. Marshall T. Coronary heart disease prevention: insights from modelling incremental cost effectiveness. BMJ 2003; 327:1264-8.
 
Une polymédication inéluctable en EBM?

Auteurs

Bogaert M.
emeritus hoogleraar Farmacotherapie, UGent
COI :

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :

De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Glossaire

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