Revue d'Evidence-Based Medicine



Utilité d'une supplémentation en fer en cas de fatigue inexpliquée?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 7 Page 112 - 113

Professions de santé


Analyse de
Verdon F, Burnand B, Fallab Stubi C-L et al. Iron Supplementation for unexplained fatigue in non-anaemic women: double blind randomised placebo controlled trial. BMJ 2003;326:1124-7.


Question clinique
Quel est l’effet d’une supplémentation en fer chez les femmes qui présentent une fatigue inexpliquée, sans anémie?


Conclusion
Chez les femmes âgées de 25 à 45 ans, souffrant de fatigue inexpliquée avec un taux de ferritine bas (<50 µg/l), un supplément en fer peut être envisagé. Cependant, il est prématuré de recommander la détermination systématique du status ferrique et un traitement éventuel par supplémentation en fer. Une étude contrôlée versus placebo, à grande échelle, de longue durée, avec des scores de santé générale, est nécessaire pour définir quelles femmes tireraient le plus de bénéfice d'une prise de fer.


 

Résumé

Contexte

La fatigue est souvent attribuée à une anémie ferriprive. Il y a peu de preuve pour une relation entre la fatigue et un déficit en fer en l’absence d’anémie.

Population étudiée

Cette étude a inclu 144 femmes, âgées de 18 à 55 ans (âge moyen de 34 ans) qui consultaient leur généraliste pour fatigue. Les femmes avec une anémie définie par un taux d’hémoglobine <11,7g/dl, avec une cause évidente physique ou psychiatrique de fatigue ou avec un syndrome de fatigue chronique ont été exclues.

Protocole d’étude

Dans cette étude randomisée, en double aveugle, le groupe intervention (n=75) reçoit, durant une période de 4 semaines du sulfate de fer à libération prolongée à la dose de 80 mg par jour per os. Le groupe placebo (n=69) reçoit une préparation de même aspect et de même goût.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la sévérité de la fatigue exprimée par les patientes sur une échelle visuelle analogique, gradée de 1 (pas de fatigue) à 10 (très forte fatigue). Les participantes étaient également interrogées au moyen de 24 questions sur la fatigue, l’anxiété et la dépression auxquelles elles ont attribué un score sur une échelle analogique visuelle de 1 à 5. La différence entre le début et la fin de l’étude est analysée en intention de traiter.

Résultats

Dans chaque groupe, quatre femmes ont arrêté l'étude. La compliance a varié de 95% dans le groupe intervention à 98% dans le groupe placebo (p=0,25). La sévérité de la fatigue après un mois a chuté de 1,82 points (ET 1,7) sur 10 dans le groupe recevant un supplément en fer et de 0,85 points (ET 2,1) dans le groupe recevant le placebo, soit une différence dans la diminution de 0,95 points (IC à 95% de 0,32 à 1,62; p=0,004). En analyse par sous-groupes, la différence ne semble significative que dans le groupe qui avait un taux de ferritine sérique <50µg/l à l'initiation de l'étude.

Sur base des réponses à la liste des questions, une diminution de 7,5 (ET 8,0) points sur 40 pour le groupe intervention versus 4,6 (ET 7,5) points pour le groupe placebo, soit une différence de diminution de trois points (IC à 95% 0,3 à 5,6; p=0,03) est montrée. Les symptômes dépressifs ont été améliorés dans les deux groupes (-2,1 versus –1; p=0,31) et les symptômes d’anxiété sont moindres dans le groupe intervention (-1,7 versus 1,3; p=0,003). En variable à partir de l’autre variable. Par exemple, dans une maternité, on étudie les facteurs qui influencent le poids de l’enfant à la naissance. On observe une relation entre le poids à la naissance et la taille de la mère. Dans l’analyse de régression, cette relation est décrite par l’équation y = a + bx (où y représente le poids à la naissance de l’enfant et x la taille de la mère). Dans la régression linéaire, la relation entre ces deux variables continues est représentée par une ligne droite. En mesurant d’autres variables, comme l’âge de la mère, la parité et le revenu du ménage, on observe une association entre par exemple l’âge de la mère et le revenu du ménage. Pour estimer la relation entre ces deux variables continues et le poids à la naissance, leur interaction doit être prise en compte dans une analyse de régression multiple. La régression multiple peut (en théorie) inclure un nombre illimité de variables continues. Toutefois, plus le nombre de variables en interaction est important, plus le risque d’association entre variables indépendantes est élevé («multicolinéarité»). De ce fait les résultats de l’analyse peuvent être peu fiables. L’analyse de régression logistique est utilisée pour étudier l’effet de plusieurs variables (facteurs) sur un critère dichotomique, comme par exemple «décédé» ou «non décédé».">analyse de régression multiple, après correction pour l’âge, le grade initial de dépression, l’angoisse et la concentration en ferritine, la supplémentation en fer est la variable la plus importante en association avec la diminution de fatigue.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les femmes souffrant d’une fatigue inexpliquée, sans anémie, peuvent bénéficier d’un supplément en fer. Il est possible que cet effet bénéfique soit limité aux femmes présentant un taux de ferritine sérique bas ou limite bas.

Financement

L’étude a été sponsorisée par la firme Robapharm.

Conflits d’intérêt

Les auteurs ont reçu un soutien financier de Robapharm.

 

Discussion

Fatigue inexpliquée?

Selon le Transitieproject aux Pays-Bas qui enregistre annuellement les contacts patients des médecins généralistes, il s’avère que 38% de toutes les femmes âgées de 15 à 64 ans déclarent avoir eu à se plaindre récemment de fatigue. Neuf pourcent d'entre elles consultent leur généraliste pour ce motif 1. Verdon et coll veulent, dans leur étude, limiter la population étudiée aux femmes souffrant de fatigue inexpliquée. A cette fin, ils utilisent de nombreux critères d’exclusion. Aucune définition des causes psychiatriques ou physiques de fatigue, ni de syndrome de fatigue chronique n’est cependant donnée. Un délai court ou plus important depuis le début de cette fatigue et le nombre de consultations pour fatigue inexpliquée ayant précédé ne sont guère précisés. Dans le Transitieproject, il semble notamment que 38% des épisodes de soins qui commençaient par la plainte «fatigue» ont débouché sur le diagnostic final de fatigue inexpliquée. Plus l’épisode de soins pour fatigue dure longtemps, au plus le diagnostic symptomatique change et trouve une explication dans une maladie chronique (insuffisance cardiaque, diabète sucré) ou dans un problème psychosocial (dépression, trouble somatique)1 . Pour exclure les causes somatiques de fatigue, les chercheurs ont effectué un bilan sanguin complet, alors qu'un bilan sanguin pour les plaintes de fatigue ne conduit a un diagnostic somatique que dans 2 à 16% des cas 2. La population incluse dans cette étude est donc moins bien cernée que dans les propositions des auteurs.

Mesure de la fatigue

Le talon d’Achille de cette étude sur l’effet d'un traitement de la fatigue est sans aucun doute la mesure de la fatigue. Quelle échelle peut mesurer l’effet d’un traitement de la manière la plus pertinente? Cette étude utilise une échelle analogique visuelle qui mesure la sévérité subjective de la fatigue, mais comment devons-nous interpréter une diminution d’environ 1 point sur une échelle de 10? En parallèle, une échelle multidimensionnelle de la fatigue a été utilisée, échelle qui mesure aussi bien la fatigue que l’anxiété et la dépression. Pour une plainte aussi complexe que la fatigue, cette approche est plus pertinente, mais l’effet d’un supplément en fer aurait été intéressant à évaluer sur une échelle de santé générale, comme l’échelle de santé générale SF-36 3.

Relation entre le déficit en fer et la fatigue?

Cette étude contrôlée, versus placebo est la première qui suggère qu’un manque de fer sans anémie peut entraîner de la fatigue et que le traitement avec du fer peut diminuer cette fatigue. La relation entre la fatigue et le déficit en fer n’est cependant pas encore suffisamment établie par des études épidémiologiques. Un déficit en fer sans anémie n’a par exemple pas été investigué chez les 38% de femmes souffrant de fatigue d’anémie inexpliquée dans le Transitieproject 1. La place de la ferritine comme meilleur indicateur d’une déficience en fer n'est pas reconnue. Aux Etats-Unis, la prévalence de la déficience en fer, arbitrairement définie par une ferritine <12µg/l est de 5 à 11% chez les femmes 4, mais le pourcentage de ces femmes se plaignant de fatigue n'est pas déterminé

.

Conclusion

Chez les femmes âgées de 25 à 45 ans, souffrant de fatigue inexpliquée avec un taux de ferritine bas (<50 µg/l), un supplément en fer peut être envisagé. Cependant, il est prématuré de recommander la détermination systématique du status ferrique et un traitement éventuel par supplémentation en fer. Une étude contrôlée versus placebo, à grande échelle, de longue durée, avec des scores de santé générale, est nécessaire pour définir quelles femmes tireraient le plus de bénéfice d'une prise de fer.

 

Références

  1. Kenter EGH, Okkes IM. Prevalentie en behandeling van vermoeide patiënten in de huisartspraktijk; gegevens uit het transitieproject. Ned Tijschr Geneeskd 1999;143:796- 801.
  2. de Vries H, Fechter MM, Koehoorn J, et al. Moeheid. Huisarts Wet 2002;45:27-31.
  3. Patterson AJ, Brown WJ, Roberts DCK. Dietary and supplement treatment of iron deficiency results in improvements in general health and fatigue in Australian women of childbearing age. J Am Coll Nutr 2001;20:337-42.
  4. Looker AC, Dallman PR, Carroll MD. Prevalence of iron deficiency in the United States. JAMA 1997;277:973-6.
Utilité d'une supplémentation en fer en cas de fatigue inexpliquée?

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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