Revue d'Evidence-Based Medicine



En prévention primaire, qui bénéficie le plus d'un traitement par aspirine?



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 7 Page 115 - 117

Professions de santé


Analyse de
Meade TW, Brennan PJ. On behalf of the MRC General Practice Research Framework. Determination of who may derive most benefit from aspirin in primary prevention : subgroup results from a randomised control-led trial. BMJ 2000;321:13-17.


Conclusion
Cette analyse post hoc suggère que la pression artérielle joue probablement un rôle dans l’efficacité de l’aspirine en prévention primaire des pathologies cardiovasculaires. Des études prospectives sont indispensables pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.


 

Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.

 

Résumé

Cette étude post hoc (analyse a posteriori) d’un essai clinique randomisé a cherché à préciser si le bénéfice d’une faible dose quotidienne d’aspirine (75 mg) en terme de prévention d’un premier accident coronarien ou cérébral diffère en fonction des facteurs de risque classiques (âge, tabagisme, pression artérielle, taux de cholestérol, …).

Les 5 499 patients (hommes âgés de 40 à 69 ans) ont été inclus et suivis par leur médecin généraliste durant une moyenne de 6,9 ans. Le traitement (aspirine versus placebo) a été établi de façon aléatoire (randomisation). Au total, 410 accidents cardiovasculaires ont été observés.

Le risque relatif (RR) d’accident coronarien (critère de jugement primaire) ou d’accident cérébral (critère de jugement secondaire) diffère nettement selon le niveau de pression artérielle systolique (PAS) mesurée au début de l’étude (voir tableau).

En analyse multivariée, une interaction significative a été trouvée entre le bénéfice clinique sous aspirine et la valeur de PAS (p < 0,01).

Les auteurs concluent, tout en reconnaissant les limites d’une analyse post-hoc, que l’aspirine 75 mg pourrait n’être bénéfique que chez les patients normotendus. Ils suggèrent que le rapport risque-bénéfice pourrait être défavorable chez les patients à risque modéré dont la pression artérielle systolique dépasse 145 mm Hg.

 

Tableau : résultats pour les critères de jugement primaire, aspirine versus placebo.

 

 

 

PAS en mmHg

RR aspirine vs placebo

Accident coronarien

Risque global

 

0,80

 

Risque selon la PAS

< 130

130-145

> 145

0,55

0,75

0,94

Accident cérébral

Risque selon la PAS

< 130

230-145

> 145

0,41

0,21

1,42

Risque cardiovasculaire (coronarien ou cérébral)

Risque selon la PAS

< 130

130-145

> 145

0,59

0,68

1,08

Discussion

Analyse post hoc

De par sa méthodologie (analyse a posteriori) cette étude ne prouve rien mais suggère des hypothèses. En l’occurrence qu’une pression artérielle élevée effacerait l’efficacité clinique de l’aspirine. Les données sur lesquelles cette étude est basée sont néanmoins fiables puisque obtenues selon la méthode d’un essai clinique randomisé mené en médecine générale britannique 1 qui a comparé l’efficacité de l’aspirine, d’un anticoagulant ou de l’association des deux traitements.

La population étudiée est issue de celle qui consulte en médecine générale en Grande-Bretagne, avec sélection des hommes dont le niveau de risque cardiovasculaire était dans le quintile supérieur (> percentile 80). La moitié des quelques 10 000 patients éligibles a participé, ce qui rend faible le biais de sélection. Puisque 410 accidents vasculaires ont été observés en près de 7 ans, le taux annuel dans cette cohorte a été de 1 % par an. Ce taux correspond à un niveau de risque modéré selon les définitions des Recommandations européennes pour la prévention de la maladie coronarienne en pratique clinique 2 .

Résultats contradictoires

 Le principal résultat est la suggestion de l’absence de bénéfice coronarien ou cérébral sous aspirine chez les patients dont la PAS est supérieure à 145 mm Hg. Une interaction significative a été trouvée entre la PAS et le risque relatif (RR) d’accident vasculaire sous aspirine. Ce résultat n’était pas attendu par les auteurs. En effet, ils désiraient confirmer, dans leur cohorte britannique, les interactions décrites dans une cohorte américaine (US Physician Health Study). Dans cette dernière 3 , 22 000 hommes (des médecins !) ont été suivis plusieurs années, après randomisation entre aspirine (325 mg un jour sur 2) et placebo. Dans ce groupe à risque bas (jusqu’à 0,3 % l’an), l’aspirine a été efficace (RR = 0,56) pour prévenir un premier accident coronarien, et ce d’autant plus que l’âge (40-80 ans) était avancé et que le cholestérol (moyenne 220 mg/dl) était bas, sans interaction par contre avec la PA. Tandis que dans la présente cohorte britannique, l’aspirine a été d’autant plus efficace que la PA était basse et l’âge avancé, sans influence du taux de cholestérol. Ces différences entre ces deux cohortes sont difficiles à expliquer, et doivent nous faire relativiser la conclusion du présent article.

Rapport risque-bénéfic

Cet article ne fournit pas de taux d’épisodes hémorragiques, sans doute parce que, par design, la moitié des patients recevaient un AVK, dont la présence induit des hémorragies. Le risque hémorragique sous aspirine à faible dose est proche de 2 accidents pour 1 000 années de traitement, selon la méta-analyse de l’Antithrombotic Trialists’ Collaboration 4 , résumée dans ce numéro de Minerva. Il faut garder à l’esprit que la réduction des accidents ischémiques sous aspirine (–30 %) est d’autant plus faible en termes absolus que le risque est faible : dans cette cohorte britannique à risque modéré (1 % par an), le nombre annuel d’accidents cardiovasculaires ischémiques a diminué de 10 à 7, donc de 3 accidents pour 1 000 patients traités. D’où le rapport risque-bénéfice peu favorable (2 hémorragies extra-crâniennes en plus pour 3 infarctus non-mortels en moins), qui doit aussi tenir compte de la gravité accordée à un accident hémorragique iatrogène et à un accident ischémique évité. Les Guidelines américains de l’USPSTF 5 concluent que le rapport risque-bénéficie est favorable chez les patients dont le risque est supérieur à 3 % à 5 ans (soit 6 % à 10 ans), et rappellent que ce rapport est d’autant plus favorable que le risque coronarien est élevé. Rappelons que le risque (absolu) du groupe de patients inclus dans la présente étude était d’environ 5 % à 5 ans. Les Guidelines de la British Hypertension Society 6 recommandent un traitement par aspirine chez les patients hypertendus dont la PA est inférieure à 150/90 mmHg. En risque relatif, dans l’étude HOT, menée chez 20 000 patients hypertendus traités pour atteindre diverses cibles tensionnelles 7,8 , le traitement par aspirine 75 mg/j a diminué en prévention primaire le risque d’infarctus de 36 % et d’AVC (ischémiques ou hémorragiques) de 2 % 9 .

 

Conclusion

Cette analyse post hoc suggère que la pression artérielle joue probablement un rôle dans l’efficacité de l’aspirine en prévention primaire des pathologies cardiovasculaires. Des études prospectives sont indispensables pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Conflits d’intérêt/financements

L’étude est financée par le « Medical Research Council », la « British Heart Foundation » et les firmes DuPont Pharma et Bayer. Le premier auteur a également reçu un soutien financier des deux firmes.

 

Références

  1. General Practice Research Framework. Thrombosis Prevention Trial : Randomised trial of low-intensity oral anticoagulation with warfarin and low-dose aspirin in the primary prevention of ischæmic heart disease in men at increased risk. Lancet 1998;351:233-41.
  2. Wood D. et al. Task force report : Prevention of coronary heart disease in clinical practice. Eur Heart J 1998;19:1434-503.
  3. Steering Committee of the Physicians’ Study Research Group. Final report on the aspirin component of the ongoing physicians study. N Engl J Med 1989;321:129-35.
  4. Antithrombotic Trialists’ Collaboration. Collaborative meta-analysis of randomised trials of antiplatelet therapy for prevention of death, myocardial infarction and stroke in high risk patients. BMJ 2002;324:71-86.
  5.   US Preventive Services Task Force. Aspirin for the primary prevention of cardiovascular events. http://www.ahcpr.gov/clinic/uspstf/uspsasmi.htm
  6. Ramsay LE, Williams B, Johnston GD et al. British Hypertension Society guidelines for hypertension management 1999 : summary. BMJ 1999;319:630-5.
  7. Hannsson L, Zanchetti A, Carruthers SG, et al., for the HOT Study Group. Effect of intensive blood-pressure lowering and low-dose aspirin in patients with hypertension. Lancet 1998;351:1755-62.
  8. De Cort P. Behandeling van hypertensie. Huisarts Nu (Minerva) 1998;27(3):322-5.
  9. Clinical Evidence Writers on Primary Prevention. Primary Prevention. Clin Evid 2002;8:95-128.
En prévention primaire, qui bénéficie le plus d'un traitement par aspirine?

Auteurs

Boland B.
Service de Gériatrie, Cliniques Universitaires Saint-Luc, UCL
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