Analyse
Consommation prolongée de cannabis : risque de psychose ?
28 10 2011
Professions de santé
Les estimations de l’incidence de schizophrénie varient. La prévalence au cours d’une vie de survenue d’un syndrome psychotique (dont la schizophrénie) est estimée à 2-3 pour cent (1,2). Par contre, des symptômes psychotiques subcliniques sont plus fréquents, particulièrement chez les adolescents. Ils s’amendent généralement spontanément dans le temps (75-90%) (1,3). Un syndrome psychotique cliniquement bien franc ne représente que le sommet d’un iceberg. En 2008, la revue Minerva a analysé une synthèse méthodique évaluant la relation entre l’usage de cannabis et la survenue de troubles psychotiques chroniques. L’Odds Ratio corrigé était de 1,41 (IC à 95% de 1,20 à 1,65) pour les consommateurs de cannabis au moins une fois versus jamais et de 2,09 (IC à 95% de 1,54 à 2,84) pour les consommations très fréquentes versus inexistantes. En raison de l’incidence faible de la schizophrénie dans la population générale (voir ci-dessus), Minerva concluait en relativisant ces chiffres et en demandant d’autres études d’observation pour pouvoir montrer un lien de causalité entre l’usage de cannabis et des troubles psychotiques (4).
Une étude d’observation récente (5) prolonge l’évaluation d’un lien temporel entre la consommation de cannabis et la survenue de symptômes psychotiques (5) dans une cohorte suivie prospectivement. Elle inclut 3 021 adolescents âgés de 14 à 24 ans, suivis en moyenne pendant 3,5 à 8,4 ans, par questionnaires complétés par des chercheurs expérimentés, questionnaires concernant la consommation de cannabis et la survenue de symptômes psychotiques. Un suivi sur la période complète fut possible pour 2 020 adolescents. Durant les 3,5 premières années, l’incidence totale de symptômes psychotiques est de 31% chez les consommateurs de cannabis et de 20% chez les non utilisateurs. Aprè s 8,4 ans, l’incidence est diminuée de moitié dans les 2 groupes. Les adolescents consommant occasionnellement du cannabis à l’évaluation à 3,5 ans présentent un risque accru d’avoir des symptômes psychotiques au terme de 8,4 ans d’observation : OR de 1,5 (IC à 95% de 1,1 à 2,1, p=0,018). Après exclusion des adolescents ne consommant pas de cannabis à l’initiation de l’observation et au terme de 3,5 ans, le risque à 8,4 ans est encore plus important : OR de 1,9 (IC à 95% de 1,1 à 3,1, p=0,021). Cette étude montre donc que la consommation occasionnelle de cannabis durant une période prolongée (plus de 8 ans) représente un facteur de risque important de survenue de symptômes psychotiques chez des adolescents pour lesquels un risque de psychose n’était pas initialement identifié. Les adolescents consommant du cannabis aussi bien initialement qu’à 3,5 ans, ceux poursuivant leur consommation, ont un risque encore accru à 8,4 ans de survenue de symptômes psychotiques : OR de 2,2 (IC à 95% de 1,2 à 4,2, p=0,016). Comme pour d’autres études, les résultats de celle-ci argumentent les précautions à formuler aux adolescents sur le risque de développer au cours de la vie un trouble psychotique en consommant du cannabis. En pratique de médecine générale, il faudrait être aussi attentif à la consommation de cannabis qu’à celle d’alcool ou de tabac (5). Un counselling à propos de la consommation de cannabis est nécessaire chez tous les adolescents et pas seulement ceux qui sont identifiés comme plus à risque de troubles psychotiques.
Conclusion
La consommation aiguë de cannabis est un facteur de risque de présenter des symptômes psychotiques passagers. Une consommation prolongée peut augmenter le risque de survenue d’un trouble psychotique. Les adolescents doivent être avertis de ce risque.
Références
- van Os J, Kenis G, Rutten BP. The environment and schizophrenia. Nature 2010;468:203-12.
- Perälä J, Suvisaari J, Saarni SI, et al. Lifetime prevalence of psychotic and bipolar I disorders in a general population. Arch Gen Psychiatry 2007; 64:19-28.
- van Os J, Linscott RJ, Myin-Germeys I, et al. A systematic review and meta-analysis of the psychosis continuum: evidence for a psychosis proneness-persistence-impairment model of psychotic disorder. Psychol Med 2009;39:179-95.
- Avonts D. L’usage de cannabis cause-t-il psychose et dépression ? MinervaF 2008;7(8):116-7.
- Kuepper R, van Os J, Lieb R, et al. Continued cannabis use and risk of incidence and persistence of psychotic symptoms: 10 year follow-up cohort study. BMJ 2011;342:d738.
Auteurs
Remmen R.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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