Analyse


Le recours à la télémédecine pour des plaintes respiratoires et urinaires serait peut-être possible dans un système de santé organisé avec des plateformes électroniques adéquates


27 06 2022

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Entezarjou A, Sjöbeck M, Midlöv P, et al. Health care utilization following “digi-physical” assessment compared to physical assessment for infectious symptoms in primary care. BMC Prim Care 2022;23:4. DOI: 10.1186/s12875-021-01618-2


Question clinique
Déterminer en soins primaires dans la prise en charge initiale de symptômes respiratoires ou urinaires s'il y a des différences dans la fréquence des contacts avec les soins de santé entre la consultation médicale au cabinet et une prise en charge « digi-physique ».


Conclusion
Cette étude réalisée en Suède montre que la plupart des patients recourant aux soins primaires via la plateforme électronique eVisit (68,9%) pour des symptômes respiratoires et urinaires n'ont pas de visites ultérieures au cabinet médical. Au-delà d'une partie incontournable des patients nécessitant un examen physique urgent dans les 48 h, la prise en charge « digi-physique » des symptômes respiratoires et urinaires se traduit par un recours ultérieur aux soins comparable par rapport aux visites en cabinet. Les résultats de cette étude de qualité méthodologique faible devront être confirmés par de meilleures études. Ils n’ont pas d’application possible en Belgique faute d’un système de soins primaires organisé de façon adéquate pour ce genre de télémédecine.



 

Contexte

La pandémie au SARS-CoV-2, obligeant les médecins à adapter leurs pratiques afin de tenir compte au mieux des mesures barrières, a entraîné un développement de la télémédecine. Minerva a analysé une enquête néo-zélandaise en ligne sur l'avis des patients ayant eu recours à la télémédecine en médecine générale dans ce contexte (1,2). L’expérience s’est avérée positive et, à l'avenir, les patients veulent que le choix du type de consultation corresponde à leurs besoins, circonstances et préférences. En Suède, pays pionnier dans la télémédecine, plusieurs études ont été menées dans le domaine au cours des 20 dernières années (3), avec les encouragements du gouvernement ayant pour objectif que le pays devienne en 2025 le leader mondial de l'utilisation de la numérisation et de l'e-santé. Dans cette optique, une étude comparative, conduite avant la pandémie, avait pour objectif d’évaluer la prise en charge « digi-physique » des symptômes respiratoires et urinaires (4). Par « digi-physique », on entend la gestion du patient en soins primaires par un premier contact via une visite électronique, avec une prise en charge en présentiel urgente dans les 48 h si nécessaire.

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion :
    • patients résidant dans la région de Skåne (troisième plus grand comté de Suède) et affiliés au fournisseur de centres de soins de santé primaires Capio, qui a adopté le modèle « digi-physique » en mai 2017 avec la plateforme eVisit
    • consultation pour une plainte principale de mal de gorge, de toux, de symptômes de rhume/grippe ou de symptômes urinaires, tel que spécifié par un texte libre ou documenté par un code de la Classification internationale des maladies J030 (amygdalite streptococcique), J069 (infection aiguë des voies respiratoires supérieures) ou N300 (cystite)
    • première consultation médicale (visites index) datée de chaque patient (pour les principales plaintes incluses) entre le 30 mars 2016 et le 29 mars 2017 pour les visites en cabinet uniquement) ou entre le 30 mars 2018 et le 29 mars 2019 pour les visites électroniques et en cabinet (avant la pandémie de COVID-19)
    • consentement éclairé obligatoire pour tous les patients inclus
  • critères d'exclusion :
    • patients âgés de moins de 18 ans
    • résidence en dehors du comté de Skåne
    • patients de sexe masculin présentant des symptômes urinaires
    • visites identifiables pour des plaintes principales similaires au cours des 21 derniers jours.

 

Protocole d’étude

Etude observationnelle avec comparaison entre

  • intervention : visite via une plateforme électronique eVisit consultée via téléphone, tablette ou ordinateur, avec un questionnaire basé sur la plainte principale générant un rapport structuré présenté à un médecin envoyant une communication textuelle dans les 15 minutes sur la décision médicale : soit observation (attente vigilante), soit soins « digi-physiques » avec un rendez-vous chez un médecin dans un centre de soins de santé primaires dans les 48 h si nécessaire
  • comparateur :  visite classique au cabinet médical utilisant le même questionnaire que pour la consultation électronique initiale.

 

Critères de jugement

  • critère de jugement primaire : proportion de patients avec une ou plusieurs visites physiques chez un médecin dans les deux semaines suivant les 48 premières heures de leur visite index, car les « soins digi-physiques », par définition, impliquent une proportion de visites entraînant inévitablement un examen physique dans les 48 heures suivant leur évaluation eVisit
  • critères de jugement secondaires :
    • pour tous les patients : nombre de contacts téléphoniques ambulatoires avec une infirmière dans les deux semaines suivant la visite index ; proportion de visites physiques ambulatoires supplémentaires dans les 48 h de la visite index ; lieu de la visite (soins primaires, en dehors des heures de consultation, service d'urgence ou autre clinique externe) ; proportion de patients admis pour des soins hospitaliers
    • pour le groupe « digi-physique » : proportion de visites index dans lesquelles le patient s'est vu recommander des soins personnels, des soins numériques continus ou un suivi physique (incluant une visite urgente dans les 48 h, une visite de soins primaires non urgente et l'orientation vers d'autres prestataires de soins de santé).

 

Résultats

  • il y a eu 1188 patients en consultation « digi-physique » (776 avec un symptôme respiratoire et 412 avec un symptôme urinaire ; âge moyen de 41,3 ans (+/-14,4) ; 77,8% de femmes) et 599 en consultation en cabinet (460 avec un symptôme respiratoire et 139 avec un symptôme urinaire ; âge moyen de 52,9 ans (+/- 19,0) ; 74,2% de femmes)
  • critères de jugement primaires : pas de différence significative dans la proportion de visites en cabinet après les 48 premières heures suivant la visite index dans les deux semaines lors de la comparaison des patients en consultation « digi-physique » aux patients en consultation en cabinet (18,0% contre 17,6% ; p = 0,854).
  • des critères de jugement secondaires :
    • nombre de contacts téléphoniques ambulatoires avec une infirmière dans les deux semaines suivant la visite index : pas de différence significative
    • proportion de visites physiques ambulatoires supplémentaires dans les 48 h de la visite index : plus grande dans le groupe digi-physique (16,1% contre 3,2% ; p < 0,001).
    • lieu de la visite (soins primaires, en dehors des heures de consultation, service d'urgence ou autre clinique externe) : non rapporté
    • proportion de patients admis pour des soins hospitaliers : non rapporté
    • proportion dans le groupe digi-physique de visites index dans lesquelles le patient s'est vu recommander des soins personnels ou un suivi physique : 16,1% se sont vu recommander une visite en cabinet et 11,1% un suivi.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la plupart des patients eVisit (68,9%) présentant des symptômes respiratoires et urinaires n'ont pas de visites physiques ultérieures. Au-delà d'une partie incontournable des patients nécessitant un examen physique urgent dans les 48 h, la prise en charge « digi-physique » des symptômes respiratoires et urinaires se traduit par un recours ultérieur aux soins comparable par rapport aux visites en cabinet. Les prestataires d'eVisit peuvent avoir besoin d'optimiser l'utilisation des ressources pour minimiser la proportion de patients évalués à la fois numériquement et physiquement dans les 48 h dans le cadre du concept "digi-physique".

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie

Il s’agit d’une étude comparative avec, pour le groupe testé (recours à une plateforme digitalisée pour une approche « digi-physique ») une cohorte prospective de patients et, pour groupe contrôle, une série rétrospective de patients (consultation au cabinet médicale), tous venant pour le même type de plaintes respiratoires ou urinaires. La comparaison est historique, les patients du groupe contrôle ayant été choisis dans une période antérieure. Il n’y a pas de pairage. Cette méthode est source de multiples biais potentiels, liés notamment à des différences de comorbidités, de gravité des symptômes et de contacts antérieurs avec les prestataires des soins de santé. Avoir associé plaintes urinaires et respiratoires comme motif de consultation est assez arbitraire de même que d’avoir mis un délai de 48 h pour analyser les visites en cabinet de « rattrapage ». De plus, la taille de l'échantillon n'est pas assez grande pour détecter des différences cliniquement significatives dans les visites subséquentes aux services d'urgence ou les admissions à l'hôpital. Tous les résultats de ces objectifs secondaires doivent donc être interprétés avec prudence. Le médecin qui évalue la plainte sur la plateforme électronique n’est pas celui qui examinera le patient au cabinet. Relevons qu’une exigence de la eVisit est que le patient qui envoie sa plainte électroniquement doit recevoir une réponse d’un médecin dans les 15 minutes. Cela semble ingérable en dehors d’un groupe organisé de généralistes ou d’une organisation spécifique des soins primaires. La gestion « digi-physique » pourrait peut-être être rendue plus efficace en permettant au même médecin d'effectuer un suivi avec une visite physique en cas de besoin plutôt qu'un médecin distinct. Mais ceci n’est qu’une hypothèse qui devrait être testée.

 

Évaluation des résultats

Les résultats rapportés en faveur de l’approche « digi-physique » ne sont pas applicables dans notre pratique. Pour ce, il faudrait développer une infrastructure adéquate avec une plateforme digitale et une organisation des soins primaires ad hoc comme le font les autorités suédoises qui ont placé au premier plan le développement de la médecine digitalisée en Suède. L’étude montre que la plupart des patients ayant recouru à la plateforme digitale (68,9%) pour des symptômes respiratoires et urinaires n'ont pas eu besoin de visites ultérieures au cabinet médical, même si ces visites ont été plus fréquentes qui si le patient avait été d’emblée vu en consultation. Ce bénéfice, à confirmer par des études de meilleure qualité méthodologique, est potentiellement intéressant. L’approche devra également être étudiée pour d’autres problèmes, notamment plus sévères. Ceux évalués ici – plaintes respiratoires et urinaires – sont en effet très souvent bénins et d’évolution spontanément favorable.

Un autre point important est d’évaluer l’apport en termes de santé globale d’une visite au cabinet du médecin. En effet, le médecin aborde avec son patient d’autres problèmes lors d’un examen clinique complet. Ceci n’est pas le cas avec la plateforme électronique où la tendance est de réduire l’anamnèse à un questionnaire (« digi- ») et l’examen éventuel au cabinet à un examen physique (« -physique »). Cela risque de conduire à une pratique simplifiée de la médecine et il faut en évaluer les conséquences par des études randomisées ad hoc.

 

Que disent les guides de pratique clinique?

Il n’y a pas encore de guide pratique concernant la télémédecine en médecine générale dans des revues référencées. Dans la littérature grise, on dispose de quelques documents intéressants comme nous l’avons rapporté récemment (1,2). En Belgique, le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), en plus du rapport sur la vidéo-consultation dans le suivi des patients atteints de maladies chroniques somatiques (5), vient de publier une synthèse sur le télémonitoring des patients covid-19 (6). Ceci est cependant loin de la problématique présentement analysée.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude réalisée en Suède montre que la plupart des patients recourant aux soins primaires via la plateforme électronique eVisit (68,9%) pour des symptômes respiratoires et urinaires n'ont pas de visites ultérieures au cabinet médical. Au-delà d'une partie incontournable des patients nécessitant un examen physique urgent dans les 48 h, la prise en charge « digi-physique » des symptômes respiratoires et urinaires se traduit par un recours ultérieur aux soins comparable par rapport aux visites en cabinet. Les résultats de cette étude de qualité méthodologique faible devront être confirmés par de meilleures études. Ils n’ont pas d’application possible en Belgique faute d’un système de soins primaires organisé de façon adéquate pour ce genre de télémédecine.

 

 

Références 

  1. Sculier JP. Avis favorable des patients pour le recours à la télémédecine en médecine générale en Nouvelle Zélande pendant l’épidémie au SARS-CoV-2 et à l’avenir. MinervaF 2021;20(5):53-8.
  2. Imlach F, McKinlay E, Middleton L, et al. Telehealth consultations in general practice during a pandemic lockdown: survey and interviews on patient experiences and preferences. BMC Fam Pract 2020;21:269. DOI: 10.1186/s12875-020-01336-1
  3. Ekman B, Thulesius H, Wilkens J, et al. Utilization of digital primary care in Sweden: Descriptive analysis of claims data on demographics, socioeconomics, and diagnoses. Int J Med Inform 2019;127:134‑40. DOI: 10.1016/j.ijmedinf.2019.04.016
  4. Entezarjou A, Sjöbeck M, Midlöv P, et al. Health care utilization following “digi-physical” assessment compared to physical assessment for infectious symptoms in primary care. BMC Prim Care 2022;23:4. DOI: 10.1186/s12875-021-01618-2
  5. Mistiaen P, Devriese S, Pouppez C, et al. Vidéo-consultations dans le suivi des patients atteints de maladies chroniques somatiques – Synthèse. KCE Reports 328Bs. D/2020/10.273/02. Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2020. Disponible sur: https://www.kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_328B_video-consultations_pour_maladies_chroniques_somatiques_Synthese.pdf
  6. Cornelis J, Van Grootven B, Irusta L, et al. Remote monitoring of patients with COVID-19. Health Services Research (HSR). KCE Reports 354. D/2022/10.273/27. Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE).; 2022. Disponible sur: https://kce.fgov.be/fr/publications/tous-les-rapports/telemonitoring-des-patients-covid-19

 

 

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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