Revue d'Evidence-Based Medicine
Actée à grappe noire pour les plaintes ménopausiques?
Minerva 2006 Volume 5 Numéro 7 Page 110 - 112
Professions de santé
Résumé
Contexte
Environ 3 800 femmes ont participé à des études cliniques utilisant l'Actée à grappe noire. La plupart des études ont été réalisées dans les années 1980 et 1990. La méthodologie de recherche concernant les plaintes ménopausiques a été modifiée depuis lors.
Population étudiée
Au départ de 24 centres (gynécologiques) allemands, les auteurs ont recruté des femmes ménopausées (aménorrhée d'au moins 12 mois ou six mois d'aménorrhée associée à une FSH ≥50 U/litre) âgées d’au moins 45 ans, présentant des plaintes de ménopause, définies comme ayant un score de ≥0,4 pour au moins trois items de la Menopause Rating Scale (MRS). Les critères d'exclusion sont: IMC >35, cancer, affections qui interfèrent avec les plaintes de ménopause, abus de drogues ou participation à une autre étude clinique endéans les 180 jours précédant le début de celle-ci. Finalement, 304 patientes d'un âge moyen d'environ 55 ans sont incluses. Elles ont une moyenne de 28 bouffées de chaleur par semaine. Le score MRS est de ≥0,4 chez 90% des patientes pour les bouffées de chaleur, 80% pour les troubles du sommeil, >60% pour les douleurs musculo-articulaires et la nervosité, >40% pour des troubles sexuels, de la dépression et des troubles de la concentration et près de 40% pour des plaintes vaginales.
Protocole d’étude
Les participantes à cette étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, sont réparties en deux groupes après avoir subi une période de lavage de quatre semaines pour le traitement hormonal substitutif (THS) et d'une semaine pour les phyto-estrogènes, les suppléments alimentaires (soja, trèfle rouge) et les psycholeptiques. Le premier groupe (n=153) reçoit, deux fois par jour, 2,5 mg d'extrait d'Actée à grappe noire et le deuxième groupe (n=151), un placebo. L'étude se déroule sur une période de douze semaines. Il est interdit d’avoir recours à un traitement hormonal substitutif ou à des psycholeptiques durant cette période. Une évaluation a lieu à la quatrième et à la douzième semaine.
Mesure des résultats
Le critère de jugement primaire est la différence entre les deux groupes pour la modification moyenne du score MRS par rapport à la valeur de départ. Cette analyse est faite en intention de traiter et une variable à partir de l’autre variable. Par exemple, dans une maternité, on étudie les facteurs qui influencent le poids de l’enfant à la naissance. On observe une relation entre le poids à la naissance et la taille de la mère. Dans l’analyse de régression, cette relation est décrite par l’équation y = a + bx (où y représente le poids à la naissance de l’enfant et x la taille de la mère). Dans la régression linéaire, la relation entre ces deux variables continues est représentée par une ligne droite. En mesurant d’autres variables, comme l’âge de la mère, la parité et le revenu du ménage, on observe une association entre par exemple l’âge de la mère et le revenu du ménage. Pour estimer la relation entre ces deux variables continues et le poids à la naissance, leur interaction doit être prise en compte dans une analyse de régression multiple. La régression multiple peut (en théorie) inclure un nombre illimité de variables continues. Toutefois, plus le nombre de variables en interaction est important, plus le risque d’association entre variables indépendantes est élevé («multicolinéarité»). De ce fait les résultats de l’analyse peuvent être peu fiables. L’analyse de régression logistique est utilisée pour étudier l’effet de plusieurs variables (facteurs) sur un critère dichotomique, comme par exemple «décédé» ou «non décédé».">analyse de régression est réalisée en prenant en compte, dans le modèle, une liste de variables cliniquement pertinentes (âge, score MRS et valeur de FSH au départ). Les critères de jugement secondaires sont des changements dans les sous-scores MRS et les effets indésirables.
Résultats
Un total de 268 (88%) patientes terminent l'étude. L’observance (définie comme 80-120% de prises par rapport à la dose prescrite) est de 91,3% dans le groupe intervention et de 91,8% dans le groupe placebo. L’amélioration du score MRS est significativement plus importante dans le groupe recevant l'extrait d'Actée à grappe noire que dans le groupe placebo (p<0,001). Cette différence est d’autant plus petite que le taux de FSH et la durée des plaintes au début de l'étude sont plus importants (respectivement p=0,011 et p=0,014). L’ampleur de l'effet varie de 0,03 à 0,05 unités sur l'échelle MRS. La plus grande différence entre le groupe extrait d'Actée et le groupe placebo se situe dans la sous-catégorie «bouffées de chaleur» (p=0,007). Pour les «plaintes somatiques», les différences ne sont pas significatives. Aucune différence n’est observée entre les deux groupes en ce qui concerne les effets indésirables. Une élévation des enzymes hépatiques est observée chez quatre patientes dans chaque groupe. Le poids, la fréquence cardiaque et la pression artérielle demeurent inchangés dans les deux groupes.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l'utilisation de l'extrait isopropanolique de l'Actée à grappe noire est efficace dans le soulagement des plaintes liées à la ménopause, surtout chez les femmes en début de ménopause.
Financement
Non mentionné.
Conflit d'intérêt
Non mentionné.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette étude présente quelques points forts. La population évaluée est représentative pour la pratique ambulatoire et l’étude possède un fondement statistique solide. Les auteurs utilisent la Menopause Rating Scale (MRS) comme critère de jugement primaire au lieu de l'index Kupperman, plus classique. Ce dernier ne donne cependant pas de résultats consistants pour la comparaison avec le THS 1. L’utilisation, dans cette étude, de la MRS est défendable en raison du fait que l'Actée à grappe noire et le THS ont déjà été montrés probablement comparables 2. Néanmoins, la validation devrait se poursuivre en comparant le THS et l'Actée dans des plus grands groupes de patientes comparables.
L'étude possède également quelques points faibles. Le médicament évalué est une préparation enregistrée sur le marché allemand. La quantité d'extrait par comprimé (2,5 mg) est mentionnée, mais d'autres précisions quant à la composition font défaut, ce qui rend difficile une extrapolation vers d'autres préparations (momentanément encore considérées comme compléments alimentaires) disponibles sur le marché belge. La durée de l'étude est, en outre, limitée à trois mois, alors que le traitement est habituellement pris bien plus longtemps dans la pratique. Alors que la puissance pour la question de l'efficacité thérapeutique est suffisante (304 patientes incluses versus 300 prévues), le nombre de patientes est, par contre, trop faible pour mesurer d'éventuelles différences en effets indésirables.
Positionnement
D'autres études cliniques contrôlées, versus placebo, avec de l'Actée à grappe noire ont utilisé des doses allant jusqu’à 8 mg d'extrait par jour. Elles ont inclus des patientes ménopausées (maximum 80 par étude) suivies durant trois à six mois. Le succès y est variable. Dans deux études, l'index Kupperman est significativement amélioré par rapport au placebo (mais une des deux études ne mentionne pas sa méthodologie statistique). Une troisième étude mentionne des résultats douteux, parce que l'effet d'estrogènes conjugués sur l'index de Kupperman ne diffère statistiquement pas de celui du placebo 1. Dans une étude, en protocole ouvert, incluant 64 patientes, l'Actée à grappe noire (à doses comparables à celles de l'étude d'Osmers) est aussi efficace que l'estradiol à une dose quotidienne de 25 µg en transdermique (en association avec de la dihydrogestérone 10 mg par jour durant douze jours du cycle) 3. Une autre petite étude en double aveugle, contrôlée versus placebo, a utilisé également la MRS: 62 patientes y reçoivent soit de l'Actée à grappe noire (à une dose quotidienne probablement comparable à celle utilisée dans l'étude d'Osmers), soit des estrogènes conjugués (0,6 mg par jour), soit un placebo. Les deux traitements actifs montrent une diminution comparable des symptômes (-0,036 sur la MRS). Les groupes intervention présentent un score significativement meilleur que le groupe placebo après trois mois 2.
Patientes à risque
Il n’existe que des preuves limitées de la sécurité d’emploi de l'Actée chez des femmes présentant un cancer mammaire. Dans une étude faite chez des femmes utilisant du tamoxifène et qui reçoivent durant deux mois soit de l'Actée à grappe noire soit un placebo, seules 68 des 85 patientes terminent l'étude. Le nombre de bouffées de chaleur diminue tant avec l'Actée qu'avec le placebo 4. Dans une autre étude ouverte, l'Actée est donnée durant douze mois à des femmes présentant un carcinome mammaire avec récepteurs estrogéniques positifs (n=90). Le groupe contrôle (n=46) reçoit des soins habituels. Six mois plus tard, 47% du groupe intervention sont asymptomatiques, en comparaison avec 0% dans le groupe contrôle; 24% présentent encore des plaintes sévères, en comparaison avec 74% dans le groupe contrôle. Pas de mention d'effets indésirables sévères 5. L'adjonction d'Actae racemosa à des cultures in vitro de cellules de cancer mammaire ne semble pas avoir d'effet favorisant la croissance tumorale 6,7. Des rapports isolés d’hépatotoxicité possible invitent à la vigilance 8,9. La plupart des patientes semblent utiliser un mélange de plantes 10.
Qui tire le plus de profit du traitement?
A l'aide d'une analyse de régression, les auteurs ont recherché les facteurs qui peuvent influencer les résultats de façon significative. Tant les patientes traitées précocement (moins d'un an de plaintes), que les patientes traitées tardivement (au moins trois ans de plaintes) réagissent favorablement en ce qui concerne les bouffées de chaleur et l'atrophie vaginale. Les critères psychiques sont améliorés de justesse chez les patientes traitées précocement, mais pas chez celles traitées tardivement. Les plaintes somatiques ne sont améliorées dans aucun des groupes. Cette danse de chiffres des auteurs permet de dresser un profil de la patiente présentant le meilleur pronostic de réponse favorable: les femmes qui ne reçoivent pas encore de THS, celles qui ont des plaintes évidentes depuis moins d'un an et celles qui présentent un taux de FSH bas au début du traitement. Cette conclusion doit cependant être interprétée avec prudence. Ce sont, par contre, des hypothèses intéressantes, à vérifier dans de nouvelles études.
Conclusion
Cette étude montre que les extraits d'Actée à grappe noire (2,5 mg d’extrait isopropanolique de l’Actaea racemosa ou Cimicifuga racemosa), en comparaison avec un placebo, diminuent les plaintes ménopausiques. Cet effet n'est évalué que sur une période de trois mois. D'autres études sont nécessaires pour préciser la dose optimale et la composition de l'extrait d’Actée à grappe noire, pour préciser sa place par rapport au traitement hormonal substitutif et pour évaluer l’efficacité en pratique et la sécurité à long terme.
Références
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Noms de marque
L’actée à grappe noire est disponible en Belgique en tant que complément alimentaire: Bioclimal® et Ymea®
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