Revue d'Evidence-Based Medicine



Sous, soins, santé et illusion de la globalité



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 8 Page 113 - 113

Professions de santé


 

Quels sont les facteurs qui déterminent le recours à des soins médicaux, à des consultations de spécialistes ou de généralistes? Plusieurs chercheurs se sont déjà penchés sur cette question. Van Doorslaer et coll. l’ont explorée dans 21 pays de l’OCDE (1). Ils observent une non équité pour le recours au médecin en fonction des ressources financières: les plus favorisés consultent davantage dans la moitié des pays pris en considération. Une inéquité n’est pas observée pour la répartition des contacts avec les médecins généralistes sauf dans certaines régions et, dans ces situations, en faveur des moins nantis. L’analyse porte sur le nombre de contacts et non sur d’autres critères, comme la durée du contact par exemple. L’étude montre également, après un contrôle pour les besoins estimés en soins médicaux en fonction de l’âge et de l’état de santé évalué par le patient lui-même, un recours plus grand et, dans plusieurs pays plus fréquent, aux visites de spécialistes chez les personnes avec les revenus les plus élevés.

Ce recours plus fréquent à des consultations médicales est-il garant d’un meilleur état de santé ou, autrement dit quelle peut être l’importance de ce recours dans l’ensemble des facteurs qui déterminent un état de santé? Le nombre de contacts et l’inéquité dans le recours aux spécialistes peuvent être les témoins d’un moindre investissement personnel dans les préoccupations de l’état de santé mais aussi d’une moindre perception de la gravité de certains signes ou symptômes (hématurie par exemple). Ils peuvent également témoigner d’un fonctionnement limité à un besoin et/ou une possibilité de résoudre les problèmes immédiats, surtout dans des situations en marge de la société. Les consultations se limitent à un problème précis, immédiat, avec des difficultés pour le praticien d’envisager ce qu’il estime être une prise en charge globale de la santé. Nous avions déjà rapporté dans la Revue Minerva (2) une observation de moindre accès à des consultations de longue durée chez des médecins généralistes pour les patients de condition sociale moins favorisée.

Des personnes avec des revenus plus élevés, en général avec un niveau de scolarité plus élevé, sont aussi plus aptes à faire appel à des soins dans un système de recours plus complexe ou restreint; leur niveau d’éducation en général plus élevé pourrait aussi être une motivation à un plus grand investissement dans la prise en charge de sa santé avec un recours plus grand aux soins de santé (3). Van Doorslaer (1) montre, entre autres, que le niveau d’éducation est associé avec l’inéquité en faveur des plus riches pour ce qui concerne le nombre de recours aux spécialistes. L’enquête de santé belge de 2004 confirme ces tendances dans notre pays (4).

Le contrôle du recours effectif a des soins de santé diminue mais ne supprime cependant pas la relation entre statut socio-économique et état de santé (5). L’enquête de santé précitée montre moins de maladies chroniques, de dépression, de plaintes somatiques en cas de statut social plus élevé (4).

Il nous semble donc important de ne pas limiter notre analyse à celle d’une barrière financière pour l’accès à des soins de santé. Même si le praticien essaie d’envisager, avec ses patients, le maintien d’un état de santé global (selon la définition de l’OMS) le meilleur possible, des éléments importants échappent à ses possibilités d’intervention en tant que soignant. Une collaboration multidisciplinaire est d’un apport utile, indispensable aussi pour assurer une continuité des soins, mais il reste encore d’autres composantes importantes influençant le niveau de santé (circonstances matérielles ou structurelles, type de travail, non emploi par exemple) qui échappent à l’organisation des soins. La globalité de la santé dépasse le niveau d’intervention du soignant en tant que soignant. Nous entrons alors dans le champ de la responsabilité du soignant, médecin ou autre, en tant que citoyen, dans le vaste domaine socio-économique. Jusqu’où doit aller l’investissement des praticiens dans ce domaine? Les options individuelles des soignants sont différentes, reflétant les différences observées au sein de notre société. La réflexion personnelle doit également porter sur les décisions quotidiennes qui impliquent des conséquences financières pour les patients, pour la sécurité sociale et l’ensemble de la société. Les médecins sont-ils assez conscients de l’importance de telles implications sur l’état de santé de leurs patients?

P. Chevalier et K. Soenen

 

Références

  1. Van Doorslaer E, Masseria C, Koolman X; OECD Health Equity Research Group. Inequalities in access to medical care by income in developed countries. CMAJ 2006;174:177-83.
  2. De Jonghe M, Roland M. Intégrer les preuves socio-économiques dans les guides de pratique clinique. MinervaF 2004;3(9):138.
  3. Hurley J, Gignon M. Income and equity of access to physician services. CMAJ 2006;14:187-8.
  4. Bayingana K, Demarest S, Gisle L et al. Gezondheidsenquête België 2004. Wetenschappelijk Instituut voor Volksgezondheid. Reports nr 2006 - 035.
  5. Willems S. The socio-economic gradient in health: a never-ending story? A descriptive and explorative study in Belgium [Dissertation]. Gent: Department of General Practice and Primary Health Care Ghent University, 2005.
Sous, soins, santé et illusion de la globalité

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Soenen K.
Minerva
COI :

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