Revue d'Evidence-Based Medicine



Un espoir qu’on ne peut se payer



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 9 Page 129 - 129

Professions de santé


 

Outrage et indignation, voilà les réactions suscitées dans le monde des oncologues australiens à la lecture d’un article du Professeur Graene Morgan 1. A l’issue d’une recherche dans la littérature de toutes les RCTs mentionnant les taux de survie à cinq ans attribuables uniquement à des chimiothérapies cytotoxiques administrées dans 22 types de cancers des adultes, Morgan concluait à une contribution de ces traitements à une amélioration de la survie limitée à 2,1% aux E.U. et à 2,3% en Australie. Les réactions, décrites dans un éditorial de la revue Australian Prescriber 2, ont porté d’abord sur le pourcentage cité et font remarquer ensuite qu’il était sûrement plus élevé, de 5 à 6% certainement. La discussion concernant l’article de Morgan soulignait aussi la non inclusion des leucémies, des cancers des enfants ou d’autres cancers rares. D’autres remarques portaient sur l’absence de prise en compte de l’avis du patient, de la qualité de vie apportée. De nombreux patients sont prêts à accepter une chimiothérapie lourde d’effets indésirables, malgré la connaissance d’un bénéfice qui pourrait être faible en termes de durée de vie (mais qui pourrait aussi être plus important); quelle est la part rationnelle et la part irrationnelle dans une telle décision? Comment les départager et au nom de quelles valeurs? L’espoir qui fait vivre, la force liée à la volonté de ne pas mourir, la peur de l’évolution du cancer sans chimiothérapie ou autre traitement anticancéreux, l’influence des proches et bien d’autres dimensions encore interfèrent dans le choix. 

Les informations que les médecins et autres soignants donnent aux patients lors de la période de décision peuvent être très différentes dans leur contenu (laconique ou détaillé), dans leur mode de transmission et dans leur compréhension. Par ailleurs, nous ne savons pas grand-chose de l’influence des croyances d’un soignant sur le bénéfice du traitement de son patient. Que dire par exemple de son sentiment de puissance ou d’impuissance, de son renoncement ou de son espoir pour la vie de son patient et pour sa propre vie?

Un élément supplémentaire rend actuellement ce moment plus difficile à vivre. De nouvelles chimiothérapies cytotoxiques peuvent apporter une survie statistique meilleure que des traitements plus anciens, et/ou une qualité de vie meilleure durant le traitement, mais aussi certains risques, parfois létaux. Il est courant de faire la balance entre les bénéfices et les effets indésirables de ces médicaments, comme pour tout traitement. Ces nouveaux produits ont aussi des coûts de plus en plus élevés. D’autres traitements anticancéreux (anticorps monoclonaux par exemple), coûtent également beaucoup plus cher. Permettre uniquement à certaines personnes ayant des moyens financiers suffisants de suivre de tels traitements est éthiquement non acceptable. Accepter de rembourser tous ces nouveaux traitements aux prix demandés par le fabricant est socialement impossible dans le cadre des budgets actuellement fixés. Nous en arrivons ainsi dans une situation où le malade qui a connaissance de ce traitement et le voit comme seul espoir pour sa survie se sent, et parfois son entourage encore davantage, «privé par la société de ce seul espoir qui lui reste». Une diminution importante du prix de ces médicaments pourrait très probablement contribuer à un remboursement plus aisé, pour de simples règles budgétaires, mais le nombre de plus en plus important de produits représente également une limite financière. Certains voudraient exiger, mais sans en avoir les moyens, que les firmes diminuent les prix, d’autres voudraient augmenter les budgets. Le même raisonnement pourrait être fait dans de multiples autres pathologies, mais avec un enjeu «vital» moins important (vital au sens de vie ou de survie).

Ce débat sur le budget occulte un débat beaucoup plus fondamental, préalable aussi au débat budgétaire. Pourrons-nous repousser toujours plus loin la souffrance, la peur de la déchéance, la mort?

Cette discussion est éminemment éthique. Elle concerne entre autres l’équité (ou encore la justice distributive) et la proportionnalité des soins. Elle doit impliquer toutes les parties concernées, décideurs politiques, garants du budget, soignants, experts scientifiques, représentants des patients, éthiciens. Les décisions prises dans les prochaines années concerneront les patients comme les soignants et la société toute entière. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un débat éthique à ce propos et les médecins se doivent d’y participer activement. Nous souhaitons vivement l’instauration de ce large débat éthique, dans la transparence et non limité à des contraintes budgétaires.

Pierre Chevalier

 

Références

  1. Morgan G, Ward R, Barton M. The contribution of cytotoxic chemotherapy to 5-year survival in adult malignancies. Clin Oncol 2004;16:549-60.
  2. Segelov E. The emperor’s new clothes - can chemotherapy survive? Aust Prescr 2006;29(1):2-3.
Un espoir qu’on ne peut se payer

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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