Revue d'Evidence-Based Medicine



Editorial: Preuve adaptée : reconnaître les limites de l’Evidence Based Medicine



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 5 Page 65 - 65

Professions de santé


 

Intérêt croissant pour les preuves scientifiques

Jusqu’il y a peu, les décisions dans les traitements médicaux n’impliquaient que le patient et le médecin. Depuis le dernier quart du siècle précédent, un interlocuteur assez envahissant s’y est ajouté : le scientifique. Nul ne contestera l’intérêt croissant accordé aux preuves scientifiques. Le fait que la Revue Minerva, revue d’EBM, soit soutenue dans sa démarche aussi bien par les universités que par les organismes assureurs, les autorités et les associations professionnelles conforte notre proposition. David Sackett incluait toujours trois pôles : le patient, le médecin et les preuves scientifiques. Les termes Evidence Based Medicine n’incluent cependant pas les deux premiers pôles (1). Le médecin se voit gratifié d’un espace suffisant pour dialoguer avec le patient et rencontrer ses valeurs, souhaits ou objectifs.

 

D’une argumentation basée sur des preuves hiérarchisées vers une argumentation sur des preuves adaptées

Une argumentation basée sur des preuves hiérarchisées est à la base de la démarche systématique de l’EBM quand il s’agit d’évaluer si une intervention précise apporte ou non un bénéfice en termes de santé. L’étude randomisée contrôlée est avancée comme gold standard. Son protocole de recherche, son analyse statistique des résultats, sa structure de rapport, avec l’anglais comme support linguistique, offrent une grande standardisation permettant une diffusion internationale rapide et une implantation éventuelle des résultats (2). Ce type de protocole a apporté au médecin une aide inégalée dans sa pratique clinique. Notre démarche actuelle pour aborder des affections fréquentes en cardiologie, en pneumologie, en infectiologie et en oncologie serait inconcevable sans l’aide de RCTs de bonne qualité. Toutes les formes de soins ne se prêtent cependant pas à cette méthode de recherche. Ces limites peuvent être de nature méthodologique, financière, culturelle comme éthique et forcent les chercheurs à se rabattre sur des protocoles d’étude situés plus bas sur l’échelle hiérarchique des niveaux de preuves sans pour autant être des études moins importantes. Les exemples sont légion dans ce domaine : interventions chirurgicales, maladies très rares, différences trop importantes entre les groupes de patients ne permettant pas d’obtenir des résultats univoques, interventions préventives nécessitant l’inclusion d’échantillons numériquement fort importants de patients et des années pour mettre en lumière un bénéfice au point de vue santé (3,4). Dans plusieurs domaines, certainement en première ligne de soins, il n’y a pas ou peu de données d’études disponibles et il faut faire appel aux meilleures preuves disponibles, extrapolations sur base de considérations physiologiques (5) ou consensus professionnel. Menace, dans ce cas, le piège d’une différence devenue impossible à faire entre « absence de preuve d’efficacité » et « preuve d’absence d’efficacité ». Certains soins pour lesquels des preuves sont inexistantes peuvent être, à tort, qualifiés de « prouvés non efficaces ». Certaines formes de dispensation d’aide consistant essentiellement en soins, tels les soins palliatifs ou les soins aux personnes très âgées, ne peuvent être évaluées que dans des études qualitatives de données narratives. Ce serait une perte importante que de ne pas prendre en considération l’attention, l’implication, le soin et le temps investi en l’absence de preuve forte d’efficacité. Une preuve forte est un argument fascinant, mais se limiter à ce qui est nécessaire parce que prouvé est un appauvrissement inhumain du champ des soins de santé (6).

 

Bonne gestion ?

L’EBM apparaît comme une façon apolitique de faire des choix pour les soins ; ses conséquences sont cependant bien politiques. La réalité est aussi que la majorité des preuves apportées l’est dans des études financées par l’industrie pharmaceutique qui s’intéresse surtout aux affections d’occidentaux aisés tandis que les recherches sur des affections plus fréquentes dans des classes sociales économiques moins favorisées ou des maladies présentes dans les pays pauvres sont délaissées et attendent le financement d’autorités pas toujours intéressées. Un pas supplémentaire a été franchi ces dernières années. L’EBM avec son insistance appuyée sur des preuves scientifiques fortes ne progresse pas uniquement dans la pratique des soins. Les autorités l’ont également découverte puis recouverte de leurs bras. Elles utilisent de plus en plus ce concept pour motiver des choix. Certains choix de remboursement ou non d’interventions médicales sont motivés par l’assurance maladie sur cette base. L’EBM sera-t-elle érigée en principe pour la détermination du paquet de base de l’assurance maladie ? S’il en est ainsi nous ne pouvons que constater que l’EBM est de plus en plus utilisée en dehors du contexte pour lequel elle était initialement destinée. Les autorités doivent tenir compte de ces données scientifiques mais elles sont, en premier lieu, responsables du cadre dans lequel les médecins peuvent offrir des soins transparents, accessibles et de qualité en réponse à la demande de soins d’un nombre aussi grand que possible de personnes.

L’administration de soins attentifs, consciencieux et respectueux de la dignité humaine du patient reste le principe de base de toute forme d’aide médicale. L’EBM peut être une aide importante dans les choix qui peuvent être effectués.

 

Références

  1. Evidence Based Medicine Working Group. Evidence-Based Medicine. A new approach to teach the practice of medicine. JAMA 1992;268:2420-25.
  2. Wiersma T. Twee eeuwen zoeken naar medische bewijsvoering. De gespannen verhouding tussen experimentele fysiologie en klinische epidemiologie. Amsterdam: Boom, 1999.
  3. Knottnerus A, Dinant GJ. Medicine based evidence, a prerequisite for evidence based medicine. BMJ 1997;315:1109-10.
  4. Vandenbroucke JP. When are observational studies as credible as randomised trials? Lancet 2004;363:1720-31.
  5. Wiersma T. Wat is passend bewijs? Huisarts Wet 2008;51:137.
  6. Raad voor de Volksgezondheid & Zorg. Passend bewijs. Ethische vragen bij het gebruik van evidence in het zorgbeleid. Signalering ethiek en gezondheid 2007/4. Den Haag: Centrum voor ethiek en gezondheid, 2007.
Editorial: Preuve adaptée : reconnaître les limites de l’Evidence Based Medicine

Auteurs

Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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