Revue d'Evidence-Based Medicine
Bains de bouche antiseptiques pour traiter l’halitose
Contexte
L’halitose, odeur désagréable se dégageant de la bouche et suffisamment importante pour entraîner une gêne personnelle, serait une plainte très fréquente selon des enquêtes dans différents pays. Elle est mentionnée sous forme chronique par 24 à 60% de la population. Les bains de bouche antiseptiques, ou d’autres traitements, sont-ils efficaces ?
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique sans méta-analyse
Sources consultées
- MEDLINE (de 1950 à août 2008), EMBASE (de 1980 à août 2008), CINAHL (de 1982 à août 2008), Cochrane Oral Health Group Trials Register (jusqu’en août 2008) ; the Cochrane Central Register of Controlled Trials
- sans restriction de langue.
Etudes sélectionnées
- études randomisées, contrôlées comparant différents produits de bains de bouche antiseptiques (en vente libre ou sur prescription) versus placebo ou entre eux, d’une durée d’au moins une semaine
- exclusion : études incluant des participants avec des pathologies périodontales chroniques sévères et réfractaires, études évaluant des produits d’hygiène buccale
- inclusion de 5 RCTs.
Population étudiée
- 293 adultes âgés de plus de 18 ans se plaignant d’halitose
- sans comorbidité ou problème de santé significatif pouvant aggraver l’halitose (par exemple un diabète).
Mesure des résultats
- critère primaire : évaluation de l’halitose par le sujet lui-même et, à l’odorat, par l’examinateur (évaluation organoleptique sur un score de 0 à 5)
- critères secondaires : évaluation de l’halitose par un halimètre mesurant les sulfures d’hydrogène, par un moniteur portable des sulfures ou par chromatographie gazeuse couplée à une détection photométrique de flamme, mesure de l’élimination de pointe et moyenne de composés volatiles de sulfures
- effets indésirables.
Résultats
- 5 RCTs cliniquement hétérogènes ; méta-analyse non possible
- bain de bouche avec 0,05% chlorhexidine + 0,05% cétylpyridinium chloride + 0,14% zinc lactate (1 étude, 40 patients, 2 semaines de traitement 2x/j) :
- critère primaire : réduction significative du score organoleptique moyen d’halitose versus valeur initiale : -1,13 (rapport à la moyenne de l’ensemble des observations. Dans une distribution normale, 95% de toutes les valeurs sont comprises entre + 1,96 écart-type (à droite) et - 1,96 écart-type (à gauche) de la moyenne, 90% des valeurs se trouvent entre + 1,65 écart-type et - 1,65 écart-type et 99% des valeurs entre + 2,58 écart-type (à droite) et - 2,58 écart-type (à gauche) de la moyenne. Un grand écart-type signifie que la dispersion autour de la moyenne est grande. Un petit écart-type implique que la dispersion autour de la moyenne est petite.">ET 1,1) ; p < 0,005 versus -0,2 (ET 0,7) pour le placebo
- critère secondaire : diminution plus significative de la valeur moyenne de l’élimination de pointe de composés volatiles de sulfures : -120 (ET 92) particules par milliards (parts per billion ppb) versus 8 (ET 145) pour le placebo
- les bains de bouche avec ce mélange de produits entraînent significativement plus de coloration de la langue (p < 0,001) et des dents (p < 0,002) qu’un placebo.
Conclusion des auteurs
Des préparations contenant des agents antiseptiques telles que la chlorhexidine et le cétylpyridinium chloride peuvent jouer un rôle important dans la réduction du nombre de bactéries de la langue responsables de l’halitose. Les préparations contenant de la chlorine dioxide et du zinc peuvent être efficaces pour neutraliser les composés de sulfures malodorants. Il reste nécessaire de réaliser des RCTs sur des échantillons plus importants, sur une plus longue durée et avec un suivi plus étendu.
Financement
Non mentionné.
Conflits d'intérêt
Aucun n’est déclaré.
Discussion
Halitose : origine, mécanisme et mesure objective
L’accumulation de bactéries et de résidus alimentaires dans la partie postérieure et dans les sillons de la langue est considérée comme la cause majeure de l’halitose (1).
Ces bactéries libèrent, entre autres, des composés sulfures volatiles dont la concentration peut être mesurée. D’autres mauvaises odeurs s’y ajoutent issues de la dégradation métabolique de débris alimentaires, de cellules desquamées, de protéines salivaires, de plaques dentaires et de putréfaction microbienne.
Considérations sur la méthodologie
Les auteurs de cette synthèse méthodique effectuent une large recherche dans la littérature. Les extractions des données et l’analyse des biais ont été faites par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Les auteurs ont également évalué la qualité des études suivant des critères très proches de ceux de Jadad : mention de la séquence de randomisation correcte, du secret de l’attribution, de l’aveugle, des arrêts de traitement et des perdus de vue. Après ces brillants efforts, ils ont constaté que les 5 RCTs qui demeuraient dans leur nasse n’incluaient que 293 patients mais avec une hétérogénéité telle que la sommation des résultats n’était pas possible. De plus, ils signalent une mention incomplète des résultats dans 3 des 5 études, le recours au seul halimètre dans les 2 autres pour évaluer l’élimination des composés volatiles de sulfures. Ils proposent eux-mêmes d’interpréter les résultats de leur synthèse avec beaucoup de prudence. Nous pouvons ajouter une limite méthodologique supplémentaire : l’évaluation de l’halitose par le patient lui-même et/ou par le chercheur en se servant de son odorat (évaluation organoleptique sur un score de 0 à 5) est subjective (comme la définition de l’halitose par ailleurs) et sa reproductibilité n’est pas montrée. Le score initial est fort variable selon les études. L’halimètre, outil d’évaluation plus objectif, ne mesure que les sulfures d’hydrogène et pas la mauvaise odeur dans sa totalité. Signalons aussi que 3 des 5 études originales incluses sont financées par les fabricants des produits testés.
Interprétation des résultats
Les auteurs de cette synthèse mentionnent certains critères d’exclusion pour leur synthèse, sans reprendre les critères d’exclusion fixés dans les études originales. L’analyse de ceux-ci montre que selon les études, ont été exclus : les fumeurs, les personnes sous antibiothérapie, portant une prothèse dentaire ou atteintes d’une maladie systémique. Les faibles bénéfices observés ne le sont donc pas pour ce type de patients. La pertinence clinique d’une différence pour la diminution du score moyen d’halitose de moins d’un point sur 5 entre le groupe antiseptique et le groupe placebo est loin d’être probante. Présenter une conclusion d’une synthèse (sans méta-analyse) comme le font ces auteurs, pour un problème chronique très courant, ne reprenant que les résultats d’une étude sur deux semaines chez 40 patients (2) relève de la forfaiture. Dans cette même étude, une coloration plus fréquente de la langue et des dents est notée avec le produit antiseptique qu’avec le placebo ; cette chlorhexidine a mauvais goût et peut aussi altérer le goût.
Autres traitements
Une autre synthèse de RCTs sur ce sujet, reprise dans Clinical Evidence (3), retient 3 études (reprises également dans la synthèse de Fedorowicz) et conclut à un effet probablement bénéfique de bains de bouche réguliers avec de la chlorhexidine, du zinc, du peroxyde d’hydrogène ou un autre agent antimicrobien (preuve selon GRADE de faible niveau). Elle conclut aussi à l’efficacité à court terme (1 à 8 heures) d’un seul bain de bouche avec les mêmes produits que ceux cités plus haut (preuve selon GRADE de faible niveau). Par contre, elle souligne l’absence de preuve pour l’utilisation de salive artificielle, de modification du régime alimentaire (boissons abondantes, mâcher des herbes, manger des fruits frais, fibreux tels des carottes, éviter le café), mâcher des chewing gum sans sucre, nettoyage, brossage, grattage de la langue, dentifrices à base de zinc. Cette synthèse de Clinical Evidence ne reprend pas les résultats d’une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (4) évaluant l’efficacité du grattage de langue pour diminuer l’halitose. Basée sur un même protocole que la synthèse de Fedorowicz, cette synthèse retrouve 2 études : l’une incluant 10 patients, l’autre 30. Au vu de l’hétérogénéité entre les 2 études, aucune sommation n’est possible. Les auteurs concluent cependant à des preuves statistiquement significatives d’une supériorité du grattage de la langue plutôt que de son brossage par une brosse à dent pour réduire l’halitose. Ils insistent sur la faiblesse et le peu de fiabilité des preuves.
Pour la pratique
Cette synthèse, comme d’autres évaluant l’efficacité de traitements d’une affection très fréquente, l’halitose, ne recueille, après une très vaste recherche, que de toutes petites études qui ne permettent pas de sommation des données. Tirer des conclusions d’études individuelles incluant 40 patients ou moins, sur 2 semaines de traitement pour une affection chronique, n’est pas sérieux. Des comparaisons avec d’autres produits, non antiseptiques et ne présentant pas les effets indésirables de la chlorhexidine, sont également indispensables.
Conclusion
Cette synthèse des études évaluant l’efficacité de bains de bouche antiseptiques pour diminuer l’halitose n’isole que des petites études sans homogénéité clinique entre elles et ne permet aucune conclusion fiable.
Références
- Scully C, el-Maaytah M, Porter SR, Greenman J. Breath odor: etiopathogenesis, assessment and management. Eur J Oral Sci 1997;105:287-93.
- Winkel EG, Roldán S, Van Winkelhoff AJ, et al. Clinical effects of a new mouthrinse containing chlorhexidine, cetylpyridinium chloride and zinc-lactate on oral halitosis. A dual-center, double-blind placebo-controlled study. J Clin Periodontol 2003;30:300-6.
- Scully C, Porter S. Halitosis. Clin Evid 2008;07:1305.
- Outhouse TL, Al-Alawi R, Fedorowicz Z, Keenan JV. Tongue scraping for treating halitosis. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 2.
Auteurs
Chevalier P.
médecin généraliste
COI :
Mots-clés
bain de bouche, cétylpyridinium, chlorhexidine, dioxyde de chlore, effet indésirable, halitose, placebo, zincCode
Ajoutez un commentaire
Commentaires