Revue d'Evidence-Based Medicine



Counselling et infections sexuellement transmissibles



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 5 Page 62 - 63

Professions de santé


Analyse de
Lin JS, Whitlock E, O'Connor E, Bauer V. Behavioral counseling to prevent sexually transmitted infections: A systematic review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2008;149:497-508.


Question clinique
Le counselling comportemental réduit-il le risque d’infection sexuellement transmissible (IST) chez les adolescents et les adultes plus à risque ?


Conclusion
Cette synthèse qualitative des études évaluant l’efficacité des interventions de type comportemental pour diminuer l’incidence des IST ne permet pas une extrapolation des résultats dans notre contexte médical belge. Les recommandations internationales mettant en exergue un counselling de qualité respectant la confidentialité et le consentement éclairé du patient restent cependant d’application.


 

Contexte

Les IST demeurent une cause importante de morbidité et de mortalité, malgré les avancées en dépistage, diagnostic et thérapeutique : chaque année près de 19 millions de nouvelles IST sont diagnostiquées aux USA (dont la moitié concerne les adolescents et jeunes adultes âgés de 15 à 24 ans). Les coûts médicaux de ces infections sont estimés annuellement à 15 billions de dollars. Les intervenants en soins de santé primaire sont à même d’identifier les adolescents et les adultes à haut risque d’acquérir une IST ; un counselling est-il efficace dans ce cas ?

 

Résumé de l’étude

Méthodologie

Synthèse méthodique (synthèse qualitative)

Sources consultées

MEDLINE, PsycINFO et Cochrane Library (1988 - décembre 2007)

Prevention Synthesis Research Project, (database Centers for Disease Control and Prevention) (aout 2006).

 

Etudes sélectionnées

  • études évaluant les interventions de type comportemental en soins de santé primaire ou  jugées faisables en soins de santé primaire, où les patients peuvent être référés
  • intervention comportementale comprenant des conseils en éducation sexuelle, des formations de type augmentation des compétences, ou le soutien pour l’adoption de comportement sexuel à moindre risque ou l’abstinence
  • intensité de l’intervention estimée faible (moins de 30 minutes), modérée (entre 30 minutes et 2 heures) et forte (plus de 2 heures)
  • critères d’inclusion : transmission sexuelle de virus ou bactérie, RCT et non RCT en langue anglaise
  • critères d’exclusion : transmission autre que sexuelle (piqûre accidentelle, transmission verticale, DIU), personnes porteuses du VIH, études comparatives sans groupe contrôle, études d’observation, pays non industrialisés
  • sélection de 21 études dont 15 RCTs de bonne ou très bonne qualité.

 

Population étudiée

  • adolescents, adultes et femmes enceintes.

Mesure des résultats

  • incidence des IST, 6 à 12 mois après les interventions de type comportemental, évaluée sur 3 critères biologiques (examen de laboratoire ou rapporté par le patient) ou critères comportementaux rapportés par le patient
  • effets négatifs liés aux interventions comportementales.

Résultats 

  • diminution du risque absolu d’incidence d’IST de 2,6 à 11,1% par des interventions intensives multiples (5 études)
  • 2 séances d’entretien de 20 minutes avant et après le test de dépistage du VIH : résultats significatifs au niveau clinique et biologique à 6 et 12 mois (1 étude)
  • 1 seule session courte : risque d’IST à 12 mois réduit chez les femmes à risque élevé d’IST mais pas pour d’autres groupes
  • aucune étude n’a été trouvée concernant les effets de l’abstinence sexuelle
  • pas de preuve d’efficacité du counselling chez les adultes ne présentant pas de risque augmenté d’acquérir une IST ni chez les adolescents sexuellement non actifs
  • aucun effet négatif ni biologique ni comportemental lié à l’intervention comportementale
  • dans 1 seule étude : augmentation relative des pénétrations vaginales chez les adolescentes à 3 mois ; effet non retrouvé à 9 mois.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’existence de preuves de bonne qualité d’interventions comportementales intensives conduites en centres spécialisés et en soins primaires en termes de réduction d’incidence des IST chez des adultes et des adolescents à haut risque. Des recherches complémentaires sont nécessaires pour évaluer des interventions de counselling moins lourdes et des populations à moindre risque.

 

Financement

Agency for Healthcare Research and Quality etn Oregon Clinical and Translational Research Institute.

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie 

Les auteurs se sont limités à rechercher les études publiées en anglais, ce qui constitue un biais possible. Très peu d’entre elles ont réellement lieu dans des structures de soins primaires. Les auteurs se sont limités, à juste titre, à une synthèse qualitative et non quantitative au vu de l’hétérogénéité de la population étudiée, du contexte, des interventions, des critères de jugement. Pour évaluer la qualité des articles isolés, ils ont eu recours aux critères propres à l’USPSTF (US Preventive Services Task Force), critères élaborés avec rigueur. La description des résultats obtenus dans les différentes études est détaillée, généralement avec intervalles de confiance et valeur p. Les résultats biologiques rapportés reposent soit sur des documents soit sur les dires du patient, ce qui est une limite importante.

Intérêt des résultats

Les études reprises dans l’article montrent que des interventions de haute intensité jugées réalisables dans des structures de soins de santé primaire réduiraient le risque absolu de développer une IST. Le type d’intervention proposée (30 minutes minimum à plus de 2 heures) sort du cadre de la médecine générale mais pourrait être applicable dans des structures de soins de santé primaire. Vu les limitations méthodologiques de cette revue systématique, il paraît difficile de tirer des recommandations de cet article. De plus, les études concernent majoritairement la population américaine, or le système de soins de santé et les mentalités sont différents en Europe par rapport aux E.-U.  

Mise en perspective des résultats

Sur base de leurs observations, les auteurs de cette publication nous proposent plusieurs recommandations (1) dont la promotion d’entretiens de type comportemental chez tous les adolescents sexuellement actifs (recommandation de type B) et chez les adultes à risque augmenté d’acquérir une IST (IST active, IST au cours de la dernière année, multiples partenaires sexuels) (recommandation de type B). Ils recommandent aussi, dans les communautés ou les populations présentant des taux élevés d'infections sexuellement transmissibles, de considérer tous les patients sexuellement actifs dans les relations non-monogames comme plus à risque.

Que nous disent d’autres publications dans ce domaine ? Une méta-analyse de la Cochrane Collaboration (2) a montré que le contrôle des IST comme stratégie efficace de limitation des infections par le VIH présente des preuves limitées. Ses auteurs plaident pour la réalisation de davantage d’études randomisées effectuées dans la communauté et évaluant une gamme de stratégies « alternatives » de contrôle des IST. 

Le National Institute for Health and Clinical Excellence NICE (3) recommande des interventions de type comportemental individuelles chez les personnes à haut risque d’acquérir une IST : les hommes qui ont des rapports sexuels avec les hommes, les personnes provenant de pays à forte séroprévalence pour le VIH ou ayant été dans ces pays, avec multiples partenaires sexuels, avec abus d’alcool ou de stupéfiants.

En France, le rapport Yeni (4) préconise chez les personnes porteuses du VIH des interventions spécifiques de soutien individualisé en prévention secondaire.

En Belgique, des études sur l’efficacité des interventions de type comportemental sont en cours,  chez les adultes.

Pour la pratique

Bien que les conclusions des auteurs recoupent en certains éléments les recommandations internationales en matière de counselling, il semble difficile d’extrapoler les conclusions de cette synthèse dans un cadre médical européen. Les études reprises dans cette revue sont des études américaines dans un contexte de soins spécifique et ont principalement montré une efficacité des interventions comportementales intensives dans des structures de soins de santé primaire et non en médecine générale. Il semble également difficile de conseiller en Belgique des interventions de type comportemental de haute intensité. Il demeure cependant important en pratique de première ligne d’assurer un dépistage de qualité des IST dont le VIH dans un contexte de counselling respectant la confidentialité et le consentement éclairé du patient.

 

Conclusion

Cette synthèse qualitative des études évaluant l’efficacité des interventions de type comportemental pour diminuer l’incidence des IST ne permet pas une extrapolation des résultats dans notre contexte médical belge. Les recommandations internationales mettant en exergue un counselling de qualité respectant la confidentialité et le consentement éclairé du patient restent cependant d’application.

 

Références  

  1. U.S. Preventive Services Task Force. Behavioral Counseling to Prevent Sexually Transmitted Infections: U.S. Preventive Services Task Force Recommendation Statement. Ann Intern Med 2008;149:491-6.
  2. Sangani P, Rutherford G, Wilkinson D. Population-based interventions for reducing sexually transmitted infections, including HIV infection. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 1.
  3. NICE. One to one interventions to reduce the transmission of sexually transmitted infections (STIs) including HIV, and to reduce the rate of under 18 conceptions, especially among vulnerable and at risk groups. National Institute for Health and Clinical Excellence. February 2007.
  4. Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH. Rapport. Ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative (sous la direction du Pr. Patrick Yeni). Paris 2008.
Counselling et infections sexuellement transmissibles

Auteurs

Semaille P.
Département de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

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