Revue d'Evidence-Based Medicine



Chercheurs de la Cochrane menés en bateau



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 9 Page 101 - 101

Professions de santé


 

En 2006, Jefferson et coll. publiaient une synthèse méthodique évaluant l’efficacité des inhibiteurs de la neuraminidase chez des adultes (1) et concluaient que l’oseltamivir peut prévenir les complications au niveau des voies respiratoires et faire diminuer le recours à des antibiotiques. Le pédiatre japonais Hayashi a critiqué ces assertions (2,3). Au même moment, Jefferson et coll. recevaient mission de revoir leur synthèse en ciblant plus intensément l’analyse des effets indésirables possibles. Un examen plus attentif montre que leurs conclusions concernant l’efficacité en matière de complications évitées étaient basées sur une méta-analyse de Kaiser et coll. (4), réalisée à la demande de la firme Roche.

 

Une évaluation plus approfondie de cette méta-analyse y décèle l’un ou l’autre problème. Elle est basée sur dix études dont deux seulement sont publiées et donc soumises à une revue par des pairs. En outre, les résultats sont purement additionnés et évalués au moyen d’une méthode statistique simple (test d’exactitude de Fisher) sans tenir compte de la distribution inégale des participants entre les études et au sein de chaque étude entre les bras intervention et contrôle. La randomisation s’en trouve annulée et une efficacité significative voit le jour alors qu’elle n’est observée dans aucune des études originales. Les études divergent sur quatre aspects : public cible (mélange d’adultes sains, de personnes âgées et de malades chroniques), proportion de patients à haut risque (27% dans le groupe intervention versus 28% dans le bras placebo), attribution dans les groupes (davantage de participants dans le bras intervention que dans celui sous placebo). Le critère de jugement est aussi constitué de manière composite : bronchite, pneumonie et infections des voies respiratoires inférieures, avec indication d’une antibiothérapie pour une pneumonie mais non pour une bronchite. Dans certaines études originales, l’otite moyenne et la sinusite sont également considérées comme des complications, mais ces éléments ne sont pas inclus dans la méta-analyse. Une nouvelle méta-analyse, plus correcte, n’était pas possible en se basant sur les données publiées contenues dans la recherche de Kaiser. Les données originales ont donc été demandées à la firme Roche. Après un long échange de correspondance, les chercheurs de la Cochrane n’ont pas reçu dans les délais les documents demandés et ils n’ont donc pas pu conclure, dans leur dernière version (5) quant à l’efficacité en termes de complications respiratoires évitées. Jefferson et coll. sont donc victimes de leurs propres règles strictes attribuant aux méta-analyses un score élevé dans la hiérarchie des preuves. Cet exemple illustre que le label méta-analyse n’est pas une garantie de méthodologie correcte ni d’une conclusion finale correcte.

 

La firme Roche a bénéficié entre 2003 et 2009 de cette conclusion finale erronée via d’autres synthèses méthodiques (6-8) et surtout via des guides de pratique (y compris de l’OMS) recommandant le Tamiflu® particulièrement chez les sujets à risque (3). Elle en a largement profité en ces temps de panique disséminée autour des grippes aviaire et porcine.

 

A tout seigneur tout honneur. Le rapport élaboré par le Centre d’expertise fédéral  en 2007 était fort réservé. Les auteurs avaient attribué un mauvais score de qualité à l’étude de Kaiser en fonction des études non publiées, et donc non contrôlables, incluses et n’avaient donc pas conclu pour l’efficacité de l’oseltamivir pour les complications (9).

 

Cet exemple n’est malheureusement pas un cas isolé. Certaines firmes pharmaceutiques ont plus souvent recours à de tels procédés, certainement s’il s’agit de guides de pratique importants dont les conclusions donnent lieu à d’importants avantages financiers. Pour les vaccins contre l’influenza par exemple, une technique semblable est utilisée (10). Ces firmes tentent aussi d’influencer les conseillers scientifiques actifs dans les commissions d’élaboration de recommandations ou d’y être représentées par des hommes de paille « scientifiques ».

 

Les rédacteurs de guides de pratique ont la responsabilité importante de soumettre très rigoureusement à une évaluation méthodologique toute publication scientifique sur laquelle ils basent leurs conclusions. Pour permettre cette évaluation, une transparence plus importante est nécessaire concernant les études non publiées. Les registres d’études peuvent jouer un rôle dans ce domaine. Nous devrions pouvoir de plus en plus disposer de données individuelles des patients pour améliorer la qualité et l’extrapolabilité des méta-analyses (2). Des méta-analyses sans synthèse méthodique, basées sur des données non publiées et financées par une firme à intérêt commercial peuvent être qualifiées, de toute façon, de non fiables. 

 

 

 

Références

  1. Jefferson T, Demicheli V, Di Pietrantonj C, et al. Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  2. Doshi P. Neuraminidase inhibitors--the story behind the Cochrane review. BMJ 2009;339:b5164.
  3. Cohen D. Complications: tracking down the data on oseltamivir. BMJ 2009;339:b5387.
  4. Kaiser L, Wat C, Mills T, et al. Impact of oseltamivir treatment on influenza-related lower respiratory tract complications and hospitalizations. Arch Intern Med. 2003;163:1667-72.
  5. Jefferson T, Jones M, Doshi P, Del Mar C. Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults: systematic review and meta-analysis. BMJ 2009;8;339:b5106.
  6. Turner D, Wailoo A, Nicholson K, et al. Systematic review and economic decision modelling for the prevention and treatment of influenza A and B. Health Technol Assess 2003;7:1-170.
  7. Tappenden P, Jackson R, Cooper K, et al. Amantadine, oseltamivir and zanamivir for the prophylaxis of influenza (including a review of existing guidance no. 67): a systematic review and economic evaluation. Health Technol Assess 2009;13:1-246.
  8. Burch J, Corbett M, Stock C, Nicholson K, et al. Prescription of anti-influenza drugs for healthy adults: a systematic review and meta-analysis. Lancet Infect Dis 2009;9:537-45.
  9. Van De Vyver N, Janssens W, De Sutter A, et al. Médicaments antiviraux en cas de grippe saisonnière et pandémique. Revue de littérature et recommandations de bonne pratique. KCE reports vol. 49B. Centre fédéral d’expertise des soins de santé, 2007.
  10. Rhorer J, Ambrose CS, Dickinson S, et al. Efficacy of live attenuated influenza vaccine in children: A meta-analysis of nine randomized clinical trials. Vaccine 2009;27:1101-10.
Chercheurs de la Cochrane menés en bateau

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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