Revue d'Evidence-Based Medicine



La non prise en compte d’une randomisation par grappes : un risque de biais



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 2 Page 25 - 25

Professions de santé


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Minerva a déjà publié un article commentant toutes les conditions à respecter pour élaborer correctement une étude avec randomisation par grappes et pour sa publication (1).

Dans une étude randomisée contrôlée, l’unité de randomisation est habituellement le participant (niveau individuel), tandis que dans les études avec randomisation par grappes, l’unité de randomisation est un groupe d’individus, tel qu’une maison de repos, un groupe de pratique de médecine générale ou un hôpital (randomisation collective). Les études avec randomisation par grappes représentent un avantage pratique pour les investigateurs ; elles sont donc de plus en plus utilisées, notamment quand l’insu est difficile à respecter. Un exemple : un certain nombre d’écoliers sont éduqués à se laver les mains pour prévenir les infections. Il y a un risque que les enfants du groupe témoin se lavent, eux aussi, les mains (contamination) parce que le comportement évalué fait l’objet de discussions ou d’imitations. Il est possible d’éviter cette contamination en évaluant l’intervention au niveau d’écoles différentes et non individuellement au niveau des enfants (2). Cette méthode de recherche est également utilisée pour évaluer l’efficacité au niveau des différents individus inclus, d’interventions effectuées au niveau de grappes. Par exemple : mesurer le nombre de cas d’influenza chez des personnes âgées en maison de repos dans lesquelles tout le personnel est vacciné, versus une autre maison de repos où la vaccination du personnel n’est pas effectuée (3).

Les études avec randomisation par grappes sont cependant plus propices à un certain nombre de problèmes méthodologiques susceptibles de provoquer un biais au niveau des résultats.

Un premier désavantage des études avec randomisation par grappes est la nécessité d’un nombre important de participants (plus grande taille d’échantillon) ; le calcul de la puissance est également un peu plus complexe étant donné qu’il nécessite une estimation préalable de la corrélation intragrappe. Cette corrélation reflète le degré de similitude des membres d’une grappe et, par conséquent, elle exprime à quel point ils diffèrent des membres d’une autre grappe. Le niveau de corrélation s’exprime par un coefficient dont la valeur va de 0 à 1 (soit 0% à 100% de corrélation). Le calcul de la puissance n’est finalement pas toujours fait rigoureusement, soit parce que cette corrélation n’est pas prise en compte, soit parce qu’elle est incorrectement estimée. A posteriori, l’analyse des données doit, elle aussi, tenir compte de la randomisation par grappes et de la corrélation intragrappe. En général, il est admis que, au plus le nombre de grappes est élevé et le nombre de participants par grappe est faible, au moins les résultats sont influencés par la corrélation intragrappe. Une belle illustration est cette étude réalisée dans des maisons de repos pour comparer une nouvelle technique de soins préventifs avec des soins habituels pour la prévention des escarres de décubitus chez les patients grabataires (4). Pour le calcul de la puissance, les auteurs reconnaissent ne pas avoir tenu compte de la corrélation intragrappe. Heureusement pour eux, l’analyse n’a pas montré de forte corrélation intragrappe, peut-être parce que les soignants, tant dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, ont suivi strictement un protocole déterminé. En outre, il s’agit de diverses petites grappes, spécialement dans le groupe intervention (10 grappes de 2 à 17 participants). Par contre, le groupe témoin comprenait deux grappes de taille importante (45 et 69 participants). Une telle importante différence au niveau de la taille des grappes entre le groupe intervention et le groupe témoin fait douter d’une randomisation par grappes correcte. Les grandes grappes du groupe témoin peuvent en outre avoir influencé les résultats : l’état général des participants de ce groupe était peut-être pire, et/ou les sujets plus dénutris. C’était effectivement le cas, mais les auteurs affirment que leur mesure de l’état général et de l’état nutritionnel n’a pas montré de lien avec la présence d’escarres de décubitus. C’était théoriquement prévisible !

Le deuxième problème des études avec randomisation par grappes est l’existence d’un biais de recrutement ou de sélection lors de l’inclusion des individus participants par le responsable de la randomisation par grappes. Si la personne qui effectue le recrutement et/ou les participants, après la randomisation, savent quelles grappes font partie du groupe intervention et quelles grappes font partie du groupe témoin, des différences peuvent survenir quant au nombre et/ou aux caractéristiques des participants. Il est dans ce cas possible qu’un nombre inférieur de participants ou de cas graves soit inclus dans les grappes témoins. Dans l’étude de Moore et coll (4), nous ignorons qui a inclus les patients grabataires et si ces derniers savaient au préalable à quel groupe leur maison de repos avait été attribuée. Pour une estimation correcte du risque de biais, une publication correcte est essentielle (1).

Un article récent (5) a examiné 24 études avec randomisation par grappes publiées dans quatre revues renommées (BMJ, N Engl J Med, Lancet et JAMA). Dans huit études, les auteurs ont constaté que la randomisation individuelle (au niveau des participants) aurait été possible (technique à préférer, mais nécessitant parfois davantage de moyens logistiques et financiers). La raison principale qui a motivé le choix pour une étude à randomisation par grappes était le risque de contamination. Dans 5 cas, des indications d’un biais de recrutement sont cependant observées. Dans 15 des 24 études, les participants n’ont été recrutés qu’après la randomisation des grappes. Pourtant, dans 7 des 15 études, le recrutement aurait pu être effectué préalablement. Les auteurs de la synthèse soulignent pour ce motif que le biais de sélection et le risque de contamination doivent être mis en balance l’un avec l’autre. Si un recrutement n’est pas possible avant la randomisation, il faut veiller à ce que, lors du recrutement, le recruteur et les participants ignorent l’attribution des grappes.

Nous pouvons en conclure que les investigateurs doivent bien réfléchir au choix du dessin d’étude et motiver leur option pour une étude avec randomisation par grappes. En outre, ils doivent expliquer de quelle manière ils tentent d’éviter un biais éventuel. Le lecteur critique devra déterminer si les résultats sont suffisamment valides pour permettre leur extrapolation.

 

 

Références

  1. Chevalier P. Randomisation en grappes (collective). MinervaF 2012;11(4):51.
  2. Greene LE, Freeman MC, Akoko D, et al. Impact of a school-based hygiene promotion and sanitation intervention on pupil hand contamination in Western Kenya: a cluster randomized trial. Am J Trop Med Hyg 2012;87:385-93.
  3. Thomas RE, Jefferson T, Lasserson TJ. Influenza vaccination for healthcare workers who work with the elderly. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 2.
  4. Moore Z, Cowman S, Conroy RM. A randomised controlled clinical trial of repositioning, using the 30° tilt, for the prevention of pressure ulcers. J Clin Nurs 2011;20:2633-44.
  5. Brierley G, Brabyn S, Torgerson D, Watson J. Bias in recruitment to cluster randomized trials: a review of recent publications. J Eval Clin Pract 2012;18:878-86.
La non prise en compte d’une randomisation par grappes : un risque de biais

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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