Revue d'Evidence-Based Medicine



Mal de gorge aigu : score clinique et test rapide de détection des streptocoques sont-ils justifiés ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 6 Page 75 - 76

Professions de santé


Analyse de
Little P, Hobbs FD, Moore M, et al; PRISM investigators. Clinical score and rapid antigen detection test to guide antibiotic use for sore throats: randomised controlled trial of PRISM (primary care streptococcal management). BMJ 2013;347:f5806.


Question clinique
En cas de mal de gorge aigu chez les enfants et les adultes, quel est l’effet d’un score clinique, seul ou combiné à un test rapide de détection des streptocoques, sur le soulagement des symptômes et l’utilisation des antibiotiques versus une prescription différée d’antibiotiques ?


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

Les personnes se présentant avec un mal de gorge aigu se voient encore très souvent prescrire des antibiotiques, bien que ceux-ci n’aient qu’un effet limité sur les symptômes (1) et que les complications soient très rares en médecine générale (2). Différentes stratégies diagnostiques, telles que les scores cliniques, isolés ou combinés à un test rapide de détection des streptocoques, sont utilisées dans la décision de prescrire des antibiotiques en cas de mal de gorge aigu (3). Il manquait une étude pour déterminer laquelle de ces stratégies est la meilleure.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 631 patients âgés d’au moins 3 ans (âge moyen de 30 ans (DS de 17 ans)), dans 21 cabinets de médecine générale en Angleterre, présentant un mal de gorge aigu depuis moins de 14 jours (moyenne de 4,5 jours (DS de 4 jours)), et un aspect anormal de la gorge (rougeur et/ou dépôt) 
  • 65 % sont des femmes 
  • critères d’exclusion : mal de gorge d’étiologie non infectieuse (par exemple aphtes, candida, prise de médicaments), impossibilité du patient ou du parent (adoptif) de donner un consentement éclairé (par exemple en raison d’une démence, d’une psychose incontrôlée, …).

Protocole d’étude

  • étude adaptative, pragmatique, randomisée, contrôlée, en protocole ouvert avec trois groupes en parallèle :
    • groupe 1, groupe contrôle (n = 207) : prescription différée d’antibiotiques. Les patients ont reçu comme conseil de venir chercher une prescription d’antibiotiques au cabinet si, après 3 à 5 jours, le mal de gorge n’avait pas diminué ou s’était nettement aggravé
    • groupe 2 (n = 211) : score clinique FeverPAIN (fièvre depuis 24 h, dépôt purulent, consultation rapide (≤ 3 j), inflammation des amygdales, pas de toux) : pas de prescription d’antibiotiques en cas de score ≤ 1 ; prescription d’antibiotiques en cas de score ≥ 4 ; prescription différée d’antibiotiques en cas de score égal à 2 ou 3
    • groupe 3 (n = 213) : test rapide de détection des streptocoques après score FeverPAIN ≥ 3 : pas de prescription d’antibiotiques en cas de score ≤ 1, prescription différée d’antibiotiques en cas de score égal à 2 ; à partir d’un score égal à 3, un test rapide de détection des streptocoques a été effectué, et aucun antibiotique n’a été prescrit en cas de résultat négatif
  • les patients ont rempli un journal tous les soirs jusqu’à disparition des symptômes ou jusqu’au 14e jour après l’inclusion ; les symptômes (mal de gorge, difficultés à avaler, sensation d’être malade, fièvre, troubles du sommeil) ont été notés sur une échelle allant de 0 (= pas de problème) à 6 (= le pire que l’on puisse imaginer) ; les effets indésirables (diarrhée, éruption cutanée) ont également été enregistrés, de même que la prise d’antibiotiques.

Mesure des résultats

critère de jugement primaire : score moyen du mal de gorge et des difficultés à avaler du Jour 2 au Jour 4 après la consultation

critères de jugement secondaires : durée de la maladie, prise d’antibiotiques, effets indésirables, conviction du patient concernant la nécessité de consulter à nouveau le médecin ultérieurement pour ce problème

analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : score moyen du mal de gorge et des difficultés à avaler, versus groupe contrôle (prescription différée) :
    • groupe avec score clinique (-0,33 point avec IC à 95 % de -0,64 à -0,02 ; p = 0,04)
    • groupe avec test rapide de détection des streptocoques : (-0,30 point avec IC à 95 % de -0,61 à 0,004 ; p = 0,05)
  • critères de jugement secondaires : durée de la maladie, versus groupe contrôle : significativement plus rapide dans le groupe avec score clinique (HR 1,30 avec IC à 95 % de 1,03 à 1,63), mais pas dans le groupe avec test rapide de détection des streptocoques (HR de 1,11 avec IC à 95 % de 0,88 à 1,40 ; p = 0,37)
  • critère de jugement secondaire : utilisation des antibiotiques, versus groupe contrôle :
    • dans le groupe avec score clinique : significativement moins importante (RR 0,71 avec IC à 95 % de 0,50 à 0,95 ; p = 0,02)
    • dans le groupe avec test rapide de détection des streptocoques : significativement moins importante (RR 0,73 avec IC à 95 % de 0,52 à 0,98 ; p = 0,03)
  • pas de différence significative pour les autres critères de jugement secondaires.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’en cas de mal de gorge aigu, l’utilisation ciblée d’antibiotiques en fonction d’un score clinique améliore les symptômes signalés et diminue l’utilisation des antibiotiques. Un test rapide de détection des streptocoques en fonction du résultat du score clinique offre un bénéfice semblable sans net avantage par rapport au score clinique seul.

Financement de l’étude

National Institute for Health Research Health Technology Assessment (HTA).

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt pertinent pour cette publication.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Dans cette étude clinique randomisée, la randomisation a été faite correctement. Les caractéristiques de base des patients sont comparables entre les trois groupes d’étude. Étant donné la nature de l’intervention, il n’était pas possible de maintenir l’insu pour les patients et pour les médecins. On ignore pourquoi les investigateurs n’ont pas cherché à mieux respecter l’insu pour les évaluateurs. Comme l’intensité de la douleur est un critère de jugement subjectif pouvant être influencé par la perception des patients et des médecins, un biais d’information pour le critère de jugement primaire ne peut être exclu. L’utilisation des antibiotiques aurait pu être évaluée de façon plus objective à partir des prescriptions d’antibiotiques délivrées plutôt qu’en se basant sur la déclaration des participants.

Le score clinique a été modifié en cours d’étude. En effet, dans une étude diagnostique menée parallèlement, il est apparu que le score clinique initialement utilisé pendant la validation (présentation chez le médecin généraliste dans les 72 heures suivant le début des symptômes, douleurs musculaires modérées à sévères, mal de gorge modéré à sévère, absence de toux, importante inflammation des amygdales, ganglions cervicaux gonflés) n’était pas suffisamment discriminant (AUC 0,65). Un nouveau score, le score FeverPAIN, reprenant 5 critères (fièvre au cours des 24 heures écoulées, dépôt purulent, patient vu par le médecin généraliste dans les 72 heures suivant le début des symptômes, inflammation des amygdales, absence de toux et d’écoulement nasal) a été créé. Lors de l’évaluation de son intérêt clinique, il s’est avéré plus performant pour le dépistage des streptocoques (AUC 0,71) comparativement au score clinique précédent et même aux critères de Centor (AUC 0,65). Les auteurs reconnaissent cependant qu’il est nécessaire de poursuivre la validation de ce score FeverPAIN. Du fait de cette adaptation dans le protocole, la puissance de l’étude n’a pas été suffisante pour évaluer correctement tous les critères de jugement.

 

Interprétation des résultats

Cette étude est la première qui examine l’influence d’un score clinique et d’un test rapide de détection des streptocoques, tant sur le contrôle des symptômes que sur l’utilisation des antibiotiques en cas de mal de gorge aigu. L’utilisation d’un score clinique pour guider la prescription d’antibiotique a un résultat positif sur l’approche thérapeutique du mal de gorge et est associée à une diminution d’environ 30 % de l’utilisation des antibiotiques. Sur une échelle à 7 points, une différence de -0,33 point en moyenne pour la sévérité du mal de gorge et les difficultés à avaler est interprétée par les auteurs comme « Un patient sur trois a noté le mal de gorge et les difficultés à avaler comme constituant un problème léger plutôt qu’un problème modérément intense ». La pertinence clinique de ce résultat peut être mise en question. La proportion de patients présentant une disparition du mal de gorge après 4 jours aurait été plus pertinente pour la pratique. En annexe, les investigateurs ont aussi publié les résultats avec le score clinique initialement utilisé. L’utilisation de ce score clinique initial n’offrait pas d’avantage en termes de contrôle des symptômes et d’utilisation des antibiotiques. On ignore cependant dans quelle mesure cela pourrait s’expliquer par une moins bonne précision diagnostique dans la détection d’une infection par le streptocoque bêta-hémolytique du groupe A. Une récente analyse publiée dans la revue Minerva montre que la différence entre deux scores cliniques (Centor et McIsaac) quant à la précision diagnostique dans ce domaine était peu pertinente sur le plan clinique (4,5). En 1988, Hjortdahl avait déjà montré que l’on peut tout aussi bien lancer une pièce de monnaie en l’air pour savoir si une infection à la gorge est due ou non à des streptocoques (6).

L’ajout d’un test rapide de détection des streptocoques au score clinique n’offre pas de bénéfice par rapport à l’utilisation du score clinique seul. Ce résultat n’est pas tellement surprenant. En effet, l’exactitude diagnostique du test rapide pour la détection des streptocoques ne dépasse pas 85 % à 90 % (7). En outre, nous savons qu’il ne détecte pas les streptocoques des groupes C et G, également considérés comme pathogènes et qui peuvent être responsables de 20 % des infections de la gorge (8). De plus, une étude de 2013 révèle que les médecins généralistes ne tiennent pas compte du résultat du test rapide de détection des streptocoques pour décider de prescrire des antibiotiques (9). Enfin, il n’y a eu aucun cas d’otite moyenne, de sinusite, d’abcès de la gorge ou de cellulite. Dans une étude de cohorte menée parallèlement (2), les mêmes auteurs ont constaté que les complications suppurantes importantes (otite moyenne, abcès périamygdalien, sinusite) après un épisode de mal de gorge sont exceptionnelles dans la pratique ambulatoire et que les scores cliniques ne permettent pas de prédire quels patients vont développer des complications. Il s’est en outre avéré que les complications suppurantes n’étaient pas plus fréquentes dans le groupe ne recevant pas d’antibiotiques que chez les patients traités par antibiotiques.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude pragmatique, randomisée en protocole ouvert, montre que l’utilisation d’un score clinique guidant l’approche thérapeutique d’un mal de gorge, y compris la prescription d’un antibiotique, est suivie d’un soulagement plus important de la douleur et d’une diminution de la prescription des antibiotiques versus prescription différée. La pertinence clinique de cet avantage n’est toutefois pas claire. L’ajout d’un test rapide de détection des streptocoques n’offre pas d’avantage sur le plan clinique.

 

Pour la pratique

Les recommandations de la SSMG et du BAPCOC (10) et celles de la société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) (11) ne conseillent pas l’utilisation des scores cliniques et du test rapide de détection des streptocoques pour décider de prescrire ou non des antibiotiques en cas de mal de gorge aigu. Cette étude confirme le manque de valeur ajoutée du test rapide de détection des streptocoques dans la pratique du médecin de famille. La pertinence clinique de l’utilisation d’un score clinique comme guide pratique de l’approche thérapeutique d’un mal de gorge aigu paraît encore incertaine. C’est la raison pour laquelle la recommandation de ne prescrire de la pénicilline qu’aux patients à risques (antécédents de rhumatisme articulaire aigu, immunodépression, récidives au moins 5 fois par an, épidémie d’infection par le streptocoque bêta-hémolytique du groupe A (SGA) dans une communauté fermée, syndrome toxique (patient gravement malade avec fièvre élevée)) et aux patients gravement malades reste d’actualité. Selon les auteurs de l’étude discutée, le « filet de sécurité » (donner comme conseil aux patients de consulter à nouveau un médecin si la fièvre persiste, en cas de difficultés à avaler ou en cas d’apparition d’érythème cutané) devrait favoriser une utilisation plus ciblée des antibiotiques (2).

 

 

Références

  1. Spinks A, Glasziou PP, Del Mar CB. Antibiotics for sore throat. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 11.
  2. Little P, Stuart B, Hobbs FD, et al; DESCARTE investigators. Predictors of suppurative complications for acute sore throat in primary care: prospective clinical cohort study. BMJ 2013;347:f6867.
  3. Matthys J, De Meyere M , van Driel ML, De Sutter A. Differences among international pharyngitis guidelines: not just academic. Ann Fam Med 2007;5:436-43.
  4. Fine AM, Nizet V, Mandl KD. Large-scale validation of the Centor and McIsaac scores to predict group A streptococcal pharyngitis. Arch Int Med 2012;172:847-52.
  5. Matthys J. De Meyere M. Quelle est l’utilité des scores de Centor et de McIsaac pour le diagnostic de la pharyngite à streptocoques ? Minerva online 28/04/2013.
  6. Hjortdahl P, Laerum E, Mowinckel P. Clinical assessment of pharyngitis in general practice. Scand J Prim Health Care 1988;6:219-23.
  7. Gerber MA, Shulman ST. Rapid diagnosis of pharyngitis caused by group A streptococci. Clin Microbiol Rev 2004;17:571-80.
  8. Dagnelie CF, Touw-Otten FW, Kuyvenhoven MM, et al. Bacterial flora in patients presenting with sore throat in Dutch general practice. Fam Pract 1993;10:371-7.
  9. Zwart S. Sneltest bij luchtweginfecties: ook bij acute keelpijn? Huisarts Wet 2013;56:574-75.
  10. De Meyere M, Matthys J. Mal de gorge aigu. Recommandation de Bonne Pratique. BAPCOC, SSMG, WVVH 2001.
  11. Zwart S, Dagnelie CF, Van Staaij BK, et al. NHG Standaard Acute keelpijn (Tweede herziening). Huisarts Wet 2007;50:59-68.

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Mal de gorge aigu : score clinique et test rapide de détection des streptocoques sont-ils justifiés ?

Auteurs

De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Matthys J.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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