Revue d'Evidence-Based Medicine
Entorse de cheville : exercices précoces ?
Contexte
Les patients qui présentent une entorse de cheville aiguë souffrent de douleur et de perte fonctionnelle qui, dans 1 cas sur 4, entraîneront une incapacité de travail ; ils courent aussi un risque majoré de plaintes se prolongeant ou récidivant. Après 3 ans, 15 à 64% des patients se plaignent de n’être pas totalement rétablis (1). Le traitement optimal d’une entorse de cheville aiguë reste imprécis. Différentes méta-analyses ont montré qu’un traitement fonctionnel consistant en une mobilisation et mise en charge précoces en ajout à des aides externes (taping, orthèse, bandages compressifs, application de glace, AINS et exercices) représentait la prise en charge la plus efficace (1,2).
Résumé
Population étudiée
- 101 patients âgés de 16 à 65 ans (âge moyen de 26 ans), 66% d’hommes, se présentant dans un service d’urgence ou une clinique du sport en Irlande du Nord pour une entorse de cheville de grade 1 ou 2 aiguë (< 7 jours)
- critères d’exclusion : entorse de cheville de grade 3, lésion osseuse selon le score d’Ottawa pour la cheville ou selon la radiographie, autre lésion osseuse ou articulaire, contre-indication à l’application de glace, non pratique de l’anglais, sous influence de médicaments ou de l’alcool, impossibilité de suivi.
Protocole d’étude
- étude randomisée contrôlée
- durant la première semaine post trauma
- intervention (n=50) : traitement conventionnel : avis écrit recommandant d’appliquer de la glace sur la lésion 2 x 10 minutes (avec un intervalle de 10 minutes) 3 x par jour, de placer un bandage compressif, et de pratiquer des exercices selon un protocole standardisé : avis verbal et écrit, documenté dans un DVD, pour la pratique d’exercices avec le pied, de contractions musculaires isométriques, de mouvements de mobilisation fonctionnelle en flexion et extension du membre inférieur et de stretching du mollet
- groupe contrôle (n=51) : traitement conventionnel uniquement
- pas de recours systématique à un taping, une orthèse ou un bandage ni à des analgésiques
- à partir de la 2ème semaine et jusqu’à la 4ème après le traumatisme : protocole standardisé d’exercices (renforcement musculaire, exercices neuromusculaires et sportifs spécifiques durant 30 minutes par semaine) dans les 2 groupes
- suivi après 1, 2, 3, 4 et 16 semaines.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : capacités fonctionnelles subjectives de la cheville mesurées sur le lower extremity functional scale
- critères secondaires : douleur au repos et à l’effort (mesurée sur une échelle visuelle analogique (EVA)), gonflement, activité physique, score d’évaluation sportive de la cheville (mesurant les fonctions de manière objective) après 4 semaines, score de Karlsson (mesurant les capacités fonctionnelles subjectives) à 4 et 16 semaines ; nombre de récidives après 1 à 4 semaines, et après 16 semaines
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- sorties d’étude : 11 dans le groupe intervention et 4 dans le groupe contrôle
- critère primaire : avantage pour l’intervention pour l’ensemble de la période d’étude (p= 0,0077) mais différence significative uniquement durant la première semaine (5,28 ; IC à 98,75% de 0,31 à 10,26 ; p=0,008) et la deuxième semaine (4,92 ; IC à 98,75% de 0,27 à 9,57 ; p=0,0083)
- critères secondaires : pas de différence significative ; 2 récidives dans chaque bras d’étude
- activités (e.a. temps consacré à la marche et à des activités légères) plus fréquentes durant la première semaine dans le groupe intervention (données limitées à 34 participants).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’un protocole d’exercices plus précoces durant la première semaine après une entorse de la cheville améliore les capacités fonctionnelles de celle-ci. Le groupe de patients recevant cette intervention est plus actif durant la première semaine que celui recevant une intervention conventionnelle.
Financement
Physiotherapy Research Foundation and Strategic Priority Fund en Irlande du Nord ; les chercheurs n’ont pas de lien avec cette institution.
Conflits d’intérêt
Aucun n’est déclaré.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Les chercheurs mentionnent des critères d’inclusion et d’exclusion précis pour cette étude et recrutent des patients aussi bien dans un service d’urgence que dans une clinique du sport. Ils incluent cependant trop peu de patients pour atteindre une puissance suffisante pour pouvoir montrer une éventuelle différence pour les critères secondaires. Le processus de randomisation est correctement décrit et une stratification est effectuée sur base du niveau sportif. Les caractéristiques de base des participants sont comparables. Les différents critères sont pertinents pour pouvoir suivre les capacités fonctionnelles aussi bien subjectives qu’objectives à différents termes. Le suivi est assuré en insu par un des chercheurs. Les participants doivent tenir un journalier durant la première semaine ; seul un patient dans le groupe contrôle n’a pas reçu le traitement recommandé. A la fin de la période de suivi, le taux de sorties d’étude est inégal pour les 2 groupes, ce qui rend l’interprétation des résultats en analyse en intention de traiter plus difficile. La technique d’analyse en LOCF utilisée par les auteurs pour tenter de corriger ces taux différents n’est pas la plus appropriée (3).
Interprétation des résultats
Une étude a montré qu’une douleur avec gonflement de l’articulation entraîne un réflexe d’inhibition au niveau de la musculature de la cheville, qualifiée d’inhibition musculaire arthrogène (4). Ce phénomène exerce une influence franche sur les tableaux d’activation neuromusculaire, de force musculaire et d’équilibre et, ce faisant, sur les possibilités de mise en charge complète et d’utilisation de l’articulation de la cheville. L’intérêt de mobilisations précoces repose donc aussi sur une réactivation musculaire rapide et une reprogrammation des schémas de mobilisation. Les exercices précoces proposés dans cette étude reposent sur ces concepts et semblent améliorer les capacités fonctionnelles versus un traitement conventionnel « passif ». Cette amélioration n’est cependant significative que dans la première et dans la deuxième semaines suivant le traumatisme de la cheville. La différence entre les groupes est inférieure aux 9 points définis par les auteurs comme représentant une différence cliniquement pertinente. L’étude ne possède également pas la puissance nécessaire pour montrer une éventuelle différence pour les critères secondaires. Aucune différence n’est observée pour le nombre de récidives, qui n’est que de 4% (2 patients dans chaque groupe) dans cette étude, alors qu’il peut atteindre de 34 à 42% dans d’autres études (1), probablement en fonction du fait qu’un programme standardisé d’exercices fonctionnels est pratiqué dès la première semaine dans les deux groupes. L’interprétation des résultats est plus difficile en raison du taux de sorties d’étude inégal (11 patients dans le groupe intervention, 4 dans le groupe contrôle (+ 1 exclu)). Cette étude ne permet aucune conclusion pour les entorses sévères (grade 3). Il faut aussi rappeler que les preuves d’efficacité d’un traitement conventionnel associant repos, glace, surélévation et compression restent incertaines. Le mauvais pronostic d’une entorse de cheville repose probablement aussi sur un manque de standardisation des protocoles de traitement.
Mise en perspective des résultats
Plusieurs synthèses méthodiques étayent l’intérêt d’un traitement fonctionnel versus immobilisation en cas d’entorse de la cheville de grade 1 et 2 (5,6). Au terme de leur synthèse méthodique, Van Rijn et coll. (7) concluent qu’un programme d’exercices supervisés offre une plus-value à court terme versus traitement conventionnel. La plus-value se situe au niveau du rétablissement et de la reprise de l’activité sportive. Ils mentionnent aussi que les preuves sont limitées et que de nombreuses études comportent des biais.
Conclusion de Minerva
Cette étude montre qu’un programme d’exercices actifs durant la première semaine suivant une entorse de la cheville de grade 1 ou 2 améliore significativement les capacités fonctionnelles de cette cheville durant les deux premières semaines, mais la pertinence de ce bénéfice versus traitement conventionnel est incertaine.
Pour la pratique
Dans la RBP belge concernant l’entorse de la cheville (8), des exercices (guidés par un kinésithérapeute) pour l’équilibre, la force musculaire, la mobilisation, les déplacements, la proprioception et la coordination ne sont recommandés qu’à partir du 10ème jour.
Les preuves apportées par la présente étude d’une plus-value d’une instauration plus précoce d’un programme d’exercices actifs (dès la première semaine) sont trop faibles pour remettre les recommandations actuelles en cause.
Références
- Van Rijn RM, van Os AG, Bernsen RMD, et al. What is the clinical course of acute ankle sprains? A systematic literature review. Am J Med 2008;121:324-31.
- Bleakley CM, McDonough SM, MacAuley DC. Some conservative strategies are effective when added to controlled mobilisation with external support after acute ankle sprain: a systematic review. Aust J Physiother 2008;54:7-20.
- Chevalier P. Concepts et outils en EBM : LOCF ou pas LOCF ? Quand les données manquent… MinervaF 2008;7(8):128.
- Hall RC, Nyland J, Nitz AJ, et al. Relationship between ankle invertor H-reflexes and acute swelling induced by inversion ankle sprain. J Orthop Sports Phys Ther 1999;29:339-44.
- Kerkhoffs GM, Rowe BH, Assendelft WJ, et al. Immobilisation and functional treatment for acute lateral ankle ligament injuries in adults. Cochrane Database Syst Rev 2002, Issue 3.
- Jones MH, Amendola AS. Acute treatment of inversion ankle sprains: immobilization versus functional treatment. Clin Orthop Relat Res 2007;455:169-72.
- van Rijn RM, van Ochten J, Luijsterburg PA, et al. Effectiveness of additional supervised exercises compared with conventional treatment alone in patients with acute lateral ankle sprains: systematic review. BMJ. 2010;341:c5688.
- Wyffels P, De Naeyer P, Van Royen P. Aanbeveling Enkeldistorsie. Huisarts Nu 2000;29:382-93.
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