Revue d'Evidence-Based Medicine
Biais de temps d’immortalité
Formation médicale continue ~ Concepts et outils en EBM
La rédaction consacre une rubrique ‘Formation médicale continue’ (FMC) à l’explicitation de concepts et outils en Evidence-Based Medicine (EBM). |
Définition
En 1885 déjà, un biais était suggéré dans l’information selon laquelle les papes vivaient plus longtemps que les artistes ((1) cité dans (2)). Ce même biais en version plus moderne : les lauréats des Oscars vivent plus longtemps que leurs pairs non récompensés (3). Ce biais est un biais de sélection (ou de classification), classiquement nommé dans les études d’observation biais de sélection du survivant au traitement : papes comme vainqueurs des Oscars doivent attendre de nombreuses années pour être élus, à un âge moyennement (beaucoup) plus élevé que ceux qui ne sont pas élus. Affirmer ensuite qu’ils vivent en moyenne plus longtemps que leurs concurrents n’est pas (toujours) correct. Dans les études d’observation de cohortes, ces dernières années, ce sont plutôt les termes de biais de temps d’immortalité (immortal time bias) qui sont utilisés. Le “temps d’immortalité” est le délai entre l’inclusion dans une cohorte et l’exposition à une intervention. Ce biais consiste à ne pas attribuer correctement les périodes de suivi et le statut thérapeutique, dans le protocole et lors de l’analyse des résultats d’une étude de cohorte. Une période de non traitement par le médicament à évaluer est considérée à tort comme une période de traitement dans le groupe traité (biais de mauvaise classification de la période de temps d’immortalité), soit les données de cette période sont à tort exclues de l’analyse pour le groupe traité (biais de sélection par exclusion d’une période de temps d’immortalité). Si c’est l’initiation du traitement qui définit l’appartenance au groupe traité, le patient doit à ce moment-là être vivant et n’avoir pas présenté l’événement qui fait l’objet de l’évaluation. Si la période précédant le traitement est soit considérée comme une période de traitement soit oubliée pour ce groupe traité, en quelque sorte considérée comme une période d’immortalité, un biais est introduit par rapport à l’observation faite dans le groupe non traité.
Résultats faussés
Une recherche dans la littérature (4) montre les résultats de 20 études d’observation publiées récemment et affirmant que plusieurs médicaments sont sûrs et fort efficaces en termes de morbidité et de mortalité. Un biais de temps d’immortalité est identifié dans toutes ces études. Cette analyse illustre les différences possibles suivant la prise en compte ou non de périodes de temps d’immortalité. Une analyse ne tenant pas compte de ce biais montre que des médicaments du système gastro-intestinal et des β2-mimétiques diminuent tous deux la mortalité de toute cause chez des patients avec une BPCO (3 315 patients canadiens) : rapport de fréquence respectivement de 0,73 (IC à 95% de 0,57 à 0,93) et de 0,78 (IC à 95% de 0,61 à 0,99). En corrigeant cependant pour le biais de temps d’immortalité, aucune différence significative n’est plus observée : rapport de fréquence respectivement de 0,98 (IC à 95% de 0,77 à 1,25) et de 0,94 (IC à 95% de 0,73 à 1,20).
De même, une ré analyse par Lévesque (5) d’une ancienne publication (6) montre elle aussi une telle divergence. La publication originale de Yee montrait un bénéfice d’un traitement par statines prolongé plus d’un an en termes de moindre progression vers une insulinothérapie chez des patients traités par antidiabétique oral (données de cohorte canadienne) : HR 0,74 (IC à 95% de 0,56 à 0,97). En reprenant la même base de données, les auteurs montrent, sans correction, un HR de 0,74 (0,58 à 0,95) et en tenant compte des périodes réelles de traitement et de toutes les données pour le groupe traité et le groupe non traité par statines, un HR de 1,97 (1,53 à 2,52) donc une augmentation de risque. Cette augmentation de risque correspond davantage à une attente des cliniciens, les patients dont le diabète progresse (insuline nécessaire) étant plus à risque de développer une pathologie cardiovasculaire avec indication d’un traitement par statines.
Ci-dessous, vous trouverez une présentation graphique de la correction effectuée par L. Lévesque (7) pour le biais de temps d’immortalité dans cette étude de Yee.
Correction possible
Si un biais de temps immortel est possible, une analyse en intention de traiter est inappropriée. Une correction est possible mais elle est complexe. Les experts proposent de plutôt réaliser, dans le cas de présence de ce biais, une étude cas contrôle sur échantillon.
Figure. Ré analyse de l’étude de Yee (6) montrant un bénéfice d’un traitement par statines prolongé plus d’un an en termes de moindre progression vers une insulinothérapie chez des patients traités par antidiabétique oral sur données de cohorte: analyse avec correction pour les 3 périodes de temps immortel (issue du manuscrit de Lévesque 2007, p178 (7)).
Au-dessus (correction période 1) : les 6 premiers mois de suivi au cours desquels l'utilisation de statines n’était pas permise sont en temps immortel puisque les individus ont dû survivre à cette période pour entrer dans la cohorte ; considérer ces patients comme traités [1] est une mauvaise classification ; dans l’analyse corrigée, ces sujets sont classés comme non exposés [0].
Au milieu (périodes 1 & 2) : correction supplémentaire pour la période de temps immortel 2 ; période durant laquelle les sujets ne sont pas exposés à une statine (délai entre la fin de cette période d’exclusion de traitement par statine et la première prescription de statine).
En-dessous, corrections pour les 3 périodes de temps immortel : la première année entière de prise de statine est la condition pour être inclus dans la cohorte selon le protocole d’étude pour correspondre à la définition de consommateur de statine ; cette période doit également être classée comme période de suivi non exposé [0].
Références
- Humphreys N. Vital Statistics: A Memorial Volume of Selections from the Reports and Writings of William Farr MD, DCL, CR, FRS, London, Sanitary Institute, 1885.
- Shariff SZ, Cuerden MS, Jain AK, et al. The secret of immortal time bias in epidemiologic studies. J Am Soc Nephrol 2008;19:841-3.
- Sylvestre MP, Huszti E, Hanley JA. Do OSCAR winners live longer than less successful peers? A reanalysis of the evidence. Ann Intern Med 2006;145:361-3.
- Suissa S. Immortal time bias in observational studies of drug effects. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2007;16:241-9.
- Lévesque LE, Hanley JA, Kezouh A, Suissa S. Problem of immortal time bias in cohort studies: example using statins for preventing progression of diabetes. BMJ 2010;340:b5087.
- Yee A, Majumdar SR, Simpson SH, et al. Statin use in type 2 diabetes mellitus is associated with a delay in starting insulin. Diabet Med 2004;21:962-7.
- Lévesque LE. Pharmacological interventions in type 2 diabetes: observational studies and bias related issues. A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the requirements of Doctor of Philosophy. Department of Epidemiology and Biostatistics, McGill University, Montreal, February 2008. (consulté le 4 novembre 2010).
Ajoutez un commentaire
Commentaires