Revue d'Evidence-Based Medicine
Diméticone versus malathion pour le traitement des poux ?
Résumé
Contexte
Une précédente étude montrait une disparition des poux chez 70% des patients traités deux fois avec une lotion de diméticone à 4% (1). Une étude effectuée il y a une dizaine d’années (2) montrait une efficacité d’au moins 90% d’une seule application de malathion 0,5% ou de perméthrine 0,5%. Des études ultérieures ont montré l’émergence de résistance du pou, surtout à la perméthrine mais aussi au malathion (3-5).
Population étudiée
- 73 sujets de 13 ans d’âge moyen (écart de 1 à 48) recrutés par avis dans le journal local et à la radio
- critères d’inclusion : âgé de plus de 6 mois, présence de poux vivants avec un peigne à poux sur cheveux secs
- critères d’exclusion : hypersensibilité aux produits évalués, infection bactérienne ou autre affection du cuir chevelu, emploi de pédiculicides dans les deux semaines précédentes, traitements capillaires, emploi de co-trimoxazole ou de triméthoprime, participation à une autre étude dans le mois précédent, grossesse, allaitement.
Protocole d’étude
- étude randomisée, contrôlée
- traitement par application locale d’une lotion à 4% de diméticone (n=43) versus malathion 0,5% en solution aqueuse (n=30)
- double application, à 7 jours d’intervalle, sur cheveux secs, par les chercheurs connaissant le produit utilisé
- évaluateur ignorant le produit utilisé, recherchant aux jours 2, 6, 9 et 14 la présence de poux avec un peigne à poux sur cheveux secs.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : absence de poux après le deuxième traitement
- guérison définie comme une absence de poux aux jours 9 et 14 après le premier traitement
- intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.
Résultats
- sorties d’étude : 4 dans le groupe diméticone, 1 dans le groupe malathion
- critère primaire : 69,8% dans le groupe diméticone et 33,3% dans le groupe malathion, soit une différence de 36,4% (IC à 95% de 14,7 à 58,2; p < 0,01) en faveur du diméticone
- guérison : 58,1% dans le groupe diméticone et 30% dans le groupe malathion, soit une différence de 28,1% (IC à 95% de 6,1 à 50,2; p < 0,05) en faveur du diméticone
- pas de différence significative sur l’effet lenticide
- effets indésirables : démangeaisons ou irritation chez 2 patients sous malathion.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que bien que le malathion soit encore efficace chez certains patients, pour la plupart d’entre eux le diméticone est significativement plus efficace.
Financement
Thornton & Ross, firme productrice de la lotion de diméticone, qui n’est pas intervenue dans l’élaboration du protocole, ni dans la réalisation de l’étude ni dans l’analyse de ses résultats mais bien dans sa publication.
Conflits d’intérêt
Le premier auteur est consultant pour différents producteurs de pédiculicides et l’inventeur d’une patente concernant le diméticone (non mentionné dans la publication) (6).
Discussion
Contexte
La pédiculose est un problème fréquent, surtout chez les enfants fréquentant l’école gardienne. Une étude effectuée à Gand montrait la présence de poux chez 8,9% des enfants contrôlés (7).
Différentes formes de traitement de la pédiculose sont disponibles. De nombreuses (produits ménagers, du jardin ou culinaires, préparations à base de plantes, traitements systémiques) ne sont pas étayées par de bonnes études cliniques. Des études cliniques ont, par contre, évalué la méthode du peignage de cheveux mouillés, de substances chimiques.
Des produits à base de perméthrine et de malathion sont les plus anciens disponibles sur le marché belge. Une résistance des poux à ces produits a été observée dans d’autres pays, mais celle-ci peut fortement varier d’une région à l’autre (et même d’école à école) (3-5). Nous n’avons aucun chiffre pour la Belgique. Une nouvelle génération de produits à base de silicone, tel le diméticone, se développe. Ces substances forment un film asphyxiant autour du pou (1).
Considérations sur la méthodologie
Cette étude n’est pas en double aveugle, les chercheurs appliquant le produit et les patients pouvant facilement reconnaître la nature du traitement effectué. Il est possible que le diméticone ait été appliqué avec davantage de soins que le malathion. L’évaluateur de la satisfaction du patient (par questionnaire) n’est pas identifié. Nous ne connaissons également pas les précautions prises pour maintenir l’insu pour les évaluateurs quant au produit utilisé : leur équipe est limitée, ils ont pu être influencés par les patients au vu d’une différence nette au point de vue satisfaction (odeur, souplesse du cheveu, facilité pour shampouiner) des patients, d’autant plus qu’ils ont eu de fréquents contacts avec ces patients. Le processus de recrutement (via les media locaux) peut avoir faussé la représentativité des patients inclus versus population cible. Il est possible que se soient préférentiellement présentées des personnes présentant un problème chronique, ce qui entraîne un biais de sélection de personnes avec des colonies de poux résistants. Dans ce cadre nous ne disposons pas de données sur la durée du problème de pédiculose chez les personnes incluses.
Interprétation des résultats
Les chercheurs admettent que les résultats de cette étude ne peuvent être généralisés à toutes les préparations à base de malathion, le produit évalué étant une solution aqueuse. Les précédentes recherches avaient principalement été effectuées avec des solutions alcoolisées contenant certaines substances par elles-mêmes pédiculicides (8,9). Le facteur principal pouvant influencer les résultats est la région du recrutement ; celle-ci n’est pas mentionnée. Comme déjà signalé, la résistance des poux à différents produits peut fortement varier. Si la région dans laquelle l’étude est effectuée est une contrée où une résistance importante au malathion est observée, le pourcentage de guérison avec ce produit est « artificiellement » bas par rapport à d’autres régions à moindre résistance et la différence d’efficacité d’autres produits est surestimée par rapport à des régions à moindre résistance.
Une étude similaire montre des pourcentages de guérison similaires pour le diméticone (1). Avec ce produit, une deuxième application n’est pas optionnelle (comme avec les produits chimiques topiques) mais obligatoire.
Les intérêts commerciaux sont importants dans ce domaine ; le marché des produits vendus pour lutter (en vain) contre une infestation très fréquente est important. Ces produits sont chers et doivent être appliqués au moins deux fois. Dans ce domaine des intérêts financiers, cette publication omet de mentionner un important conflit d’intérêt : le premier auteur est propriétaire de la patente du produit évalué dans l’étude. Il est également l’auteur du chapitre de Clinical Evidence, ce qui pose question quant à l’objectivité de cette synthèse de la littérature.
Pour la pratique
Cette étude et d’autres similaires montrent que les produits chimiques topiques qui constituaient la pierre d’angle du traitement des poux et avaient montré une efficacité en termes de guérison de plus de 90% auraient perdu (définitivement ?) leur efficacité. Au vu des limites méthodologiques et de la petite échelle de ces études, une telle conclusion n’est pas possible.
Quel que soit le traitement, une approche systématique est importante. Les écoles, les parents, les soignants, les services sociaux et les patients ont tous un rôle important dans cette démarche qui doit comprendre, comme élément central, un dépistage précoce.
Conclusion
Cette petite étude montre une efficacité supérieure du diméticone versus malathion pour le traitement de la pédiculose du cuir chevelu à tout âge. En raison de limites méthodologiques importantes (sélection de la population, échantillon faible, variation locale de la résistance des poux), les conclusions de cette étude demandent confirmation entre autres de leur extrapolabilité.
Références
- Burgess IF, Brown CM, Lee PN. Treatment of head louse infestation with 4% dimeticone lotion: randomised controlled equivalence trial. BMJ 2005;330:1423.
- Vander Stichele RH, Dezeure EM, Bogaert MG. Systematic review of clinical efficacy of topical treatments for head lice. BMJ 1995;311:604-8.
- Kristensen M, Knorr M, Rasmussen AM, Jespersen JB. Survey of permethrin and malathion resistance in human head lice populations from Denmark. J Med Entomol 2006;43:533-8.
- Downs AM, Stafford KA, Hunt LP, et al. Widespread insecticide resistance in head lice to the over-the-counter pediculocides in England, and the emergence of carbaryl resistance. Br J Dermatol 2002;146:88-93.
- Meinking TL. Clinical update on resistance and treatment of Pediculosis capitis. Am J Manag Care 2004;10:S264-8.
- World Intellectual Property Organization. Patent Arthropodicidal Compositions. Publication Number: WO/2002/074088 (last accessed June 23, 2008).
- Willems S, Lapeere H, Haedens N, Pasteels I, et al. The importance of socio-economic status and individual characteristics on the prevalence of head lice in schoolchildren. Eur J Dermatol 2005;15:387-92.
- Mougabure Cueto G, Gonzalez Audino P, Vassena CV, et al. Toxic effect of aliphatic alcohols against susceptible and permethrin-resistant Pediculus humanus capitis (Anoplura: Pediculidae). J Med Entomol 2002;39:457-60.
- Downs AM, Narayan S, Stafford KA, Coles GC. Effectiveness of ovide against malathion-resistant head lice. Arch Dermatol 2005;141:1318.
Auteurs
Lapeere H.
Dienst Dermatologie, UZ Gent
COI :
Vander Stichele R.
Vakgroep Farmacologie, Heymans Instituut, UGent
COI :
Code
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