Revue d'Evidence-Based Medicine
Les antidépresseurs tricycliques à faible dose sont-ils efficaces?
Minerva 2003 Volume 2 Numéro 7 Page 117 - 119
Professions de santé
Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.
Résumé
Nous assistons, ces dernières années, à une croissance spectaculaire de la prescription des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS). Cette augmentation s’élève à 60 % entre 1991 et 1996 au Royaume Uni. Le nombre de Defined Daily Doses (DDD) d’ISRS a augmenté de plus de 20 % en Belgique de 1996 à 1998, alors que les antidépresseurs tricycliques (ADT) étaient de moins en moins prescrits 1. En première ligne de soins, ces ADT restent pourtant recommandés en premier choix dans un cas de dépression majeure 2-6. Ceci demeure cependant contesté par certains psychiatres 7 qui estiment que les ADT présenteraient plus d’effets indésirables et entraîneraient, de ce fait, une moins bonne compliance 7. Cette affirmation n’est pas démontrée dans des études bien construites 8. De plus, la dose quotidienne proposée d’ADT (100 mg) n’est étonnamment jamais bien documentée. Le répertoire commenté des médicaments conseille des doses de 150 à 300 mg 9. Une étude publiée il y a quelques années, démontrait une efficacité probablement équivalente de doses plus faibles et, comme il fallait s’y attendre, avec également moins d’effets indésirables 10,11. De cette façon, un des désavantages des ADT par rapport aux ISRS disparaîtrait.
Le but de cette étude est double. D’une part d’évaluer si des doses plus faibles d’ADT sont également efficaces dans la phase aiguë d’une dépression. D’autre part, une comparaison des effets indésirables de doses plus faibles versus doses standards est réalisée. Pour y parvenir, une méta-analyse a été réalisée à partir des études reprises dans la Cochrane Library. Des 2 418 études comprises dans celle-ci, 35 ont été retenues (n = 2 013) comparant des doses faibles d’ADT à un placebo, plus 6 autres (n = 551) comparant de faibles doses d’ADT (75-100 mg/jour) avec des doses standards (³100 mg/jour).
L’analyse montre une efficacité des doses faibles d’ADT (75 à 100 mg/j) par rapport au placebo : 65% d’efficacité en plus après 4 semaines, 47% après 6 à 8 semaines et 114 % après 3 à 12 mois. Il n’y a pas de différence dans les sorties d’étude entre le groupe ADT et le groupe placebo (24 % du total du groupe). Une analyse du sous-groupe des études en première ligne (n = 558) confirme les données précédentes. La deuxième partie de l’analyse montre que les doses standards d’ADT ne sont pas plus efficaces que les doses plus faibles : RR 0,89 (IC à 95 %: 0,74-1,07) après 4 semaines, et 1,11 (IC à 95 %: 0,76-1,61) après 6 à 8 semaines. Des doses plus faibles entraînent 55 % (IC à 95 %: 24-73) de sorties d’étude provoquées par les effets indésirables en moins.
Les auteurs en concluent que des doses faibles d’ADT sont plus efficaces qu’un placebo et qu’il n’existe pas de différence significative d’efficacité de ces doses par rapport aux doses standards. Il y a cependant moins de sortie d’étude, en raison du moindre taux d’effets indésirables. Ils font remarquer que la dose minimale efficace n’est pas connue pour les ADT.
Discussion
Analyse de la méthodologie
Les auteurs mentionnent eux-mêmes une série de quatre limites pour leur méta-analyse. La qualité des études pourtant sélectionnées et incluses n’est pas idéale : parfois le caractère aveugle n’est pas certain, ou des critères diagnostiques opérationnels sont trop peu utilisés. La qualité des résultats publiés est parfois médiocre (randomisation, dérivation standard). Pour certains des résultats sommés (poolés) une hétérogénéité évidente est présente et la majorité des études assure un suivi des patients limité à 8 semaines seulement.
Cette publication a engendré quelques “lettres à l’éditeur” 12 . Un premier correspondant fait remarquer qu’il existe désormais une forme générique de la fluoxétine et que son prix est donc sensiblement diminué, ce qui permet aux ISRS de concurrencer les ADT au point de vue prix. Le deuxième correspondant indique que la dose minimale d’ADT n’est pas de 100 mais de 125 mg. Le troisième rejoint les conclusions mais plaide pour une étude ultérieure des doses adéquates d’ADT.
Apport pour le médecin, efficacité en première ligne ?
Nous constatons, avec quelque étonnement, que la dose standard d’ADT a été fixée de manière fort arbitraire et ensuite reprise comme telle dans les recommandations actuelles 2-6.
Les conclusions de la présente étude rejoignent fort bien la publication de Bollini et collaborateurs en 1999 10 , ce qui nous permet d’accéder progressivement à une vision nouvelle de la dose des ADT. Les deux études démontrent que des doses faibles d’ADT sont efficaces en cas de dépression aiguë mais, également, qu’il existe de plus en plus d’arguments pour ne pas dépasser la dose quotidienne de 100 mg, au vu d’une efficacité équivalente à celle de doses élevées. Cette attitude présente le bénéfice complémentaire de faire diminuer significativement les effets indésirables, ce qui améliore la compliance. C’est une bonne nouvelle pour le prescripteur, mais ce n’est pas tout. C’est une raison supplémentaire pour maintenir les ADT comme premier choix en première ligne. L’augmentation énorme de la vente des ISRS est à l’opposé de cette recommandation 1-6.
Une recherche correctement menée a montré une efficacité probablement semblable des ADT et des ISRS, de 70 % 8 . Les effets indésirables ne sont pas significativement plus fréquents mais de nature différente : plus d’effets indésirables cardiovasculaires et anticholinergiques pour les ADT par rapport à des effets indésirables neurologiques ou gastro-intestinaux pour les ISRS 8 .
Il n’est pas encore établi qu’une prescription à grande échelle des ISRS en lieu et place des ADT ait permis de diminuer le taux de suicide 2,8. Il reste cependant prudent de ne pas prescrire un ADT en cas de risque accru de suicide 3. Le prix des ADT demeure également clairement inférieur à celui des ISRS. Le choix d’un ISRS devrait se limiter aux patients présentant un risque cardiovasculaire ou anticholinergique, ou un risque accru de suicide.
Conclusion
Les conclusions de cette méta-analyse rejoignent une précédente publication : le médecin qui prescrit un ADT pour une dépression aiguë majeure ne dépassera de préférence pas la dose quotidienne de 100 mgr. L’efficacité est aussi grande que celle de doses plus élevées d’ADT et le risque d’effets indésirables diminue, ce qui améliore la compliance. Cette recommandation s’écarte des guidelines actuels, comme, par exemple, le NHG-Standaard 4. Les ADT à faible dose (< 100 mg par jour) sont un premier choix pour le traitement de la dépression majeure en première ligne de soin, sauf pour les patients à risque cardiovasculaire, anticholinergique ou suicidaire accru.
Conflits d’intérêt/financements
Cette étude a reçu un soutien financier du « St Luke’s Life Science Institue » (Tokyo, Japon). Le premier auteur a reçu des indemnités en tant qu’orateur pour différents producteurs d’antidépresseurs.
Références
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- Van Marwijk HW, Grundmeijer HG, Brueren MM, et al. NHG-Standaard Depressie. Huisarts Wet 1994;37:482-90.
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- Bogaert M, Maloteaux JM. Répertoire commenté des médicaments. Bruxelles. CBIP, 2003.
- Bollini P, Pampallona S, Tibaldi G, et al. Effectiveness of antidepressants. Meta-analysis of dose-effect relationships in randomised clinical trials. Br J Psychiatry 1999;174:297-303.
- Goodwin G. Review: Lower doses of antidepressant drugs are effective and have fewer adverse effects in depression. Evid Based Med 2000;5:22.
- Jones HM, Ali IM, Martin JE, et al. Letters to the editor. BMJ 2003;326:499-50.
Auteurs
De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
Glossaire
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