Revue d'Evidence-Based Medicine



L'acupuncture pour la cervicalgie chronique



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 3 Page 48 - 50

Professions de santé


Analyse de
Irnich D, Behrens N, Molzen H, et al. Randomised trial of acupuncture compared with conventional massage and "sham" laser acupuncture for treatment of chronic neck pain. BMJ 2001;322:1574-8.


Conclusion
Seule cette étude conclut à la sécurité et à l’efficacité de l’acupuncture pour le traitement de la cervicalgie chronique. Cependant les erreurs méthodologiques et l’absence de preuves issues de synthèses méthodiques et de méta-analyses rendent cette conclusion prématurée.


 

Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.

 

Résumé

Dans cette étude randomisée, 177 patients souffrant de cervicalgie aspécifique et de limitation de mobilité depuis plus d’un mois reçoivent 5 cures réparties sur 3 semaines. Les critères d’exclusion sont: traitement au cours des 2 dernières semaines, y compris les traitements chirurgicaux, dislocation, maladies systémiques ou atteintes neurologiques. Ils sont affectés aléatoirement dans 3 groupes thérapeutiques comportant soit de l’acupuncture, soit un traitement avec un pseudo laser aux points d’acupuncture, soit des massages. Le critère de jugement est la diminution de la douleur à la mobilisation, enregistrée par le patient à partir d’une estimation de la douleur que vous éprouvez. Très douloureux -----Non douloureux.">échelle analogique visuelle après les traitements. Les résultats: l’acupuncture est plus efficace que les massages mais non supérieure au pseudo laser.Après trois mois, aucune différence n’est observée entre les 3 groupes.Les auteurs concluent que l’acupuncture est un traitement sûr et efficace de la cervicalgie chronique.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie de l’étude

Aucune démonstration convaincante de la supériorité clinique de l’acupuncture sur un placebo, et donc d’une recommandation possible de celle-ci, n’a été apportée par des synthèses méthodiques ou des méta-analyses 1, 2, 3. Les auteurs de l’article rappellent cette constatation mais estiment que leur étude apporte désormais une preuve convaincante. Leur étude est correctement conduite, avec suffisamment de patients, mais montre des erreurs importantes de méthodologie et de conclusions. La population totale incluse est très hétérogène, avec un âge variant de 18 à 85 ans. Le seul symptôme commun des patients est la douleur. Le fait qu’ils reçoivent, par groupe, tous le même traitement, amène à s’interroger sur des considérations d’holisme, de prise en charge individuelle ou de traitement de causes plus profondes. Le critère de jugement primaire est la diminution de la douleur lors de certains mouvements. Les auteurs concluent à une plus grande efficacité de l’acupuncture par rapport aux massages (16 % de différence sur une échelle de 100 points). Dans leurs conclusions, ils omettent cependant d’insister sur les résultats du troisième groupe. Celui-ci, considéré comme groupe placebo, reçoit un traitement par pseudo laser, c’est-à-dire une lampe rouge appliquée à 1 cm de la peau. Ce traitement est aussi efficace que l’acupuncture : une différence non significative de 6% est observée sur une échelle de 100 points. L’explication, a posteriori, des auteurs à ce propos ne convainc guère : le palper diagnostique et la lampe rouge auraient un effet thérapeutique propre. La conclusion peut également être l’absence de supériorité de l’acupuncture sur le placebo. Un effet analgésique de l’acupuncture et de la lampe rouge est observé, mais cet effet est très limité, de 13 points au maximum sur l’échelle de 100, et de courte durée également (quelques jours au maximum). Les auteurs affirment, a posteriori, qu’un traitement limité à 5 cures est insuffisant, et qu’il aurait dû en comporter au moins 10 suivant la “tradition chinoise”. Nous nous interrogeons sur le motif de l’ignorance de ce principe de la part de la Société allemande d’Acupuncture Médicale 4 dûment impliquée dans cette étude. Une explication est l’absence “d’une” tradition chinoise et la coexistence de nombreuses conceptions, souvent contradictoires, de l’acupuncture. Ce manque de description précise de la méthodologie est un problème courant dans les études de traitements alternatifs et est souvent utilisé pour pouvoir nier des résultats d’études négatifs. Néanmoins, tous les registres étaient permis, parce que les 4 acupuncteurs participant appliquaient simultanément 3 méthodes différentes : la puncture des méridiens chinois, parfois complétée par de l’auriculo acupuncture occidentale (Nogier), avec, en supplément éventuel, un “dry needling” des trigger points. Aucune mention n’est faite d’un quelconque traitement standard quand c’était possible. Vu ce manque de standardisation, Cummings conclut dans son commentaire sur cette étude 5 qu’elle n’est pas reproductible.

Sous-groupes ?

En plus du critère de jugement primaire déjà décrit (diminution de la douleur à la mobilisation) une dizaine de résultats secondaires et intermédiaires sont mentionnés (mobilité spontanée, douleur à la mobilisation dans 6 directions différentes notées par le patient sur une échelle analogique, douleur spontanée, seuil de la douleur provoquée par une pression en 3 localisations différentes, limitation de mobilité, plaintes générales, qualité de vie suivant un questionnaire, …). Les résultats ne sont pas tous mentionnés, mais, dans ceux qui le sont, certains sont plus favorables à l’acupuncture. Cependant, vu les 6% de différence maximale, ceci a peu de pertinence clinique. L’acupuncture serait aussi plus intéressante pour certains sous-groupes. Pour les personnes souffrant depuis plus de 5 ans, l’acupuncture serait plus efficace de 14 % sur une échelle analogique visuelle, que la lampe rouge. Le motif de la mention unique de ce groupe, et non des autres, n’est pas précisé. Un autre sous-groupe composé de patients atteints de syndrome douloureux myofascial présente également des résultats quelque peu meilleurs avec l’acupuncture… Ce diagnostic controversé est établi par la mise en évidence d’une réaction d’un “trigger point” technique apparemment non connue de la moyenne des praticiens 6. Ce syndrome est très fort lié à des aspects psychosomatiques et répond également bien à la pseudo acupuncture 7. Un troisième sous-groupe est également mentionné, le whiplash, mais l’efficacité de l’acupuncture dans ce dernier n’est pas mentionnée. Pour quel motif ? De façon étrange, l’efficacité du traitement est parfois évaluée uniquement sur un décompte des patients qui déclarent se sentir améliorés de 50%. Pourquoi ce seuil de 50%? La mention des résultats est-elle limitée à ceux qui sont favorables dans les nombreux critères de jugement ? Une mention ou une définition sélective de ces seuls sous-groupes pose question à propos du caractère complet et objectif des communications des résultats.

Effets indésirables

Dans cette étude, plus d’effets indésirables ont été notés dans le groupe acupuncture (33 %) que dans le groupe massage (7 %) ou pseudo laser (12 %), sans qu’aucun de ces effets ne soit sévère. Vu les trois conceptions spécifiques d’acupuncture employées, ces chiffres ne sont pas généralisables. La plupart des patients avaient déjà subi une panoplie de traitements, dont des massages, de l’acupuncture, de la chiropraxie dans plus de la moitié des cas, mais tout cela sans résultat persistant. Vu ces considérations, nous nous interrogeons sur l’avantage d’une prise en charge davantage psychosomatique pour de tels patients.

 

Conclusion

Seule cette étude conclut à la sécurité et à l’efficacité de l’acupuncture pour le traitement de la cervicalgie chronique. Cependant les erreurs méthodologiques et l’absence de preuves issues de synthèses méthodiques et de méta-analyses rendent cette conclusion prématurée.

 

Conflits d’intérêt/financement

Cette étude est financée par le Ministère allemand de l’Enseignement et de la Recherche et l’Association d’Acupuncture Médicale allemande. Aucun conflit d’intérêt n’est rapporté.

 

Références

  1. van Tulder MW, Cherkin DC, Berman B, et al. The effectiveness of acupuncture in the management of acute and chronic low back pain. A systematic review within the framework of the Cochrane Collaboration Back Review Group. Spine 1999;24:1113-23.
  2. Ter Riet G, Kleijnen J, Knipschild P. Acupuncture and chronic pain: A criteria-based meta-analysis. J Clin Epidemiol 1990;43:1191-9.
  3. Ernst E, White A. Acupuncture, a scientific approach. Oxford: Butterworth-Heineman, 1999.
  4. http://www.daegfa.de
  5. Cummings M. Commentary: Controls for acupuncture – can we finally see the light? BMJ 2001;322:1578.
  6. Hsieh CY, Hong CZ, Adams AH, et al. Interexaminer reliability of the palpation of trigger points in the trunk and lower limb muscles. Arch Phys Med Rehabil 2000;81:258-64.
  7. Goddard G, Karibe H, McNeill C, Villafuerte E. Acupuncture and sham acupuncture reduce muscle pain in myofascial pain patients. J Orofac Pain 2002;16:71-6.
L'acupuncture pour la cervicalgie chronique

Auteurs

Betz W.
Centrum voor Huisartsgeneeskunde, VUB
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