Revue d'Evidence-Based Medicine
Quelle est l’influence des différentes formes et intensités d’activité physique sur la mortalité ?
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 6 Page 140 - 143
Professions de santé
Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
Plusieurs analyses de Minerva ont amené à la conclusion que, chez les adultes, une activité physique régulière pendant les loisirs favorisait la santé et réduisait la mortalité (1-11). Même une ou deux séances d’activité physique par semaine peuvent réduire la mortalité globale, la mortalité cardiovasculaire et la mortalité liée au cancer, que l’on respecte ou non les recommandations actuelles en matière d’activité physique (4,5). Faire d’avantage d’exercice pendant la journée (≥ 6000 pas par jour par rapport à ≤ 4000 pas par jour) est associé à une mortalité plus faible (6,7). Si une personne doit rester assise pendant de longues périodes (au travail ou dans les transports), il lui est recommandé de pratiquer une activité physique modérée pendant 60 à 75 minutes par jour pour compenser ce comportement sédentaire (8,9). Les exercices de renforcement musculaire seuls ne sont pas bénéfiques pour la santé des personnes âgées de plus de 70 ans (10,11), tandis que les exercices de renforcement musculaire combinés à une activité physique aérobie réduisent la mortalité chez les personnes âgées de 65 à 85 ans (12). Cependant, de nombreuses incertitudes subsistent quant à la combinaison la plus efficace de la forme et de l’intensité de l’activité physique aérobie et des exercices de renforcement musculaire chez les adultes. Une étude de cohorte prospective a cherché à en savoir plus à ce sujet (13).
Résumé
Population étudiée
- recrutement de 646201 adultes (≥ 18 ans) de la population générale des États-Unis ayant participé à l’enquête nationale sur la santé (National Health Interview Survey, NHIS), à partir d’entretiens individuels menés de 1997 à 2018 dans des familles sélectionnées au hasard
- exclusion des personnes souffrant de maladies chroniques (telles que le cancer, les maladies cardiaques, l’emphysème et les accidents vasculaires cérébraux), des personnes pour qui aucune donnée n’était disponible concernant les exercices en aérobie ou les exercices de force et de celles qui n’étaient pas en mesure d’effectuer ces exercices ainsi que des personnes pour qui les données concernant les pathologies chroniques, les limitations fonctionnelles, l’état civil, le niveau de formation, la consommation d’alcool, le tabagisme et le BMI n’étaient pas disponibles. Pour l’analyse, les personnes décédées au cours des deux premières années de suivi ont également été exclues
- finalement, inclusion de 500705 personnes ayant en moyenne 46,4 ans (ET : 17,3 ans), 58% de femmes, et 77% de Blancs.
Protocole de l’étude
Étude de cohorte prospective
- les données de la cohorte ont été liées aux enregistrements de l’index national des décès jusqu’au 31 décembre 2019 ; les causes de décès ont été regroupées en « mortalité globale », « mortalité d’origine cardiovasculaire » et « mortalité liée au cancer »
- des informations sur les activités physiques de loisir ont été recueillies au moyen de questions validées (au cours d’entretiens) :
- déclaration faite par la personne concernant la fréquence et la durée de l’activité physique légère à modérée et de l’activité
- physique intense (Il s’agissait d’activités d’au moins 10 minutes qui provoquent, dans le premier cas, une légère transpiration et une augmentation faible à modérée de la fréquence respiratoire et cardiaque et, dans le deuxième cas, une forte transpiration et une forte augmentation de la fréquence respiratoire et cardiaque.)
- déclaration faite par la personne concernant la fréquence (nombre par semaine) des exercices de renforcement musculaire (tels que l’haltérophilie ou la gymnastique suédoise)
- ensuite, classification des activités par catégories :
- 6 catégories pour les activités physiques légères à modérées : 0 minute/semaine, > 0 à 75 minutes/semaine, > 75 à 150 minutes/semaine, > 150 à 225 minutes/semaine, > 225 à 300 minutes/semaine, et > 300 minutes/semaine
- 4 catégories pour les activités physiques intenses : 0 minute/semaine, > 0 à 75 minutes/semaine, > 75 à 150 minutes/semaine, > 150 minutes/semaine
- 2 catégories pour les exercices de renforcement musculaire : < 2 fois/semaine, ≥ 2 fois/semaine.
Mesure des résultats
- le rapport entre différentes combinaisons d’activité physique et la mortalité totale, la mortalité cardiovasculaire et la mortalité liée au cancer a été recherché
- pour ce faire, on a utilisé un modèle de Cox à risques proportionnels, avec correction pour tenir compte de l’âge, du sexe, des origines ethniques (Noir, Blanc ou autre), de l’état civil, du niveau de formation, du tabagisme, de la consommation d’alcool, de la présence d’une pathologie chronique (hypertension et/ou diabète), du BMI, des limitations fonctionnelles, de l’année civile au cours de laquelle avait lieu l’entretien et de la somme de la durée hebdomadaire d’activité physique modérée et d’activité physique intense
- pour chaque combinaison, on a calculé un rapport de risque (avec IC à 95%), ainsi qu’un rapport de mortalité pondéré ; pour ce dernier, on a multiplié les fractions attribuables pour la population (FAP) des décès dans les différentes combinaisons d’activité physique par le taux de mortalité (pour 1000 adultes par an) de l’ensemble de la population de l’étude
- les différences entre les combinaisons d’activité physique quant au taux de mortalité pondéré ont été calculées à l’aide d’une régression de Poisson
- analyse de sensibilité : pour la mortalité totale, on a éliminé les décès par accident ; pour la mortalité spécifique à une cause, on a utilisé un modèle de Fine et Gray pour tenir compte de la mortalité due à des facteurs de risque autres que les maladies cardiovasculaires ou le cancer ; on a exclu les cinq premières années d’observation pour éviter un biais de causalité inverse.
Résultats
- au cours d’un suivi médian de 10 ans (5575096 années-personnes), 56148 personnes sont décédées, dont 17213 d’un événement cardiovasculaire et 12939 d’un cancer
- par comparaison avec l’absence d’activité physique (taux de mortalité pondéré de 4,9 cas par 1000 années-personnes) , toutes les combinaisons d’activités physiques ont entraîné une diminution statistiquement significative de la mortalité totale, allant jusqu’à une diminution maximale de 50% (HR de 0,50 avec IC à 95% de 0,42 à 0,59) pour 0 à 75 min/semaine d’activité physique modérée + > 150 min/semaine d’activité physique intense + exercices de renforcement musculaire ≥ 2 séances/semaine (taux de mortalité pondéré de 9,8 cas par 1000 années-personnes)
- par comparaison avec l’absence d’activité physique, 39 des 47 combinaisons d’activités physiques ont entraîné une diminution statistiquement significative de la mortalité cardiovasculaire, allant jusqu’à une diminution maximale de 70% (HR de 0,30 avec IC à 95% de 0,15 à 0,57) pour > 150 à 225 min/semaine d’activité physique modérée + > 0 à 75 min/semaine d’activité physique intense + exercices de renforcement musculaire ≥ 2 séances/semaine ; ce qui équivaut à un taux de mortalité pondéré de 0,9 contre 2,9 par 1000 années-personnes
- par comparaison avec l’absence d’activité physique, 20 des 47 combinaisons d’activité physique ont entraîné une diminution statistiquement significative de la mortalité liée au cancer, allant jusqu’à une diminution maximale de 56% (HR de 0,44 avec IC à 95% de 0,23 à 0,82) pour > 0 à 75 min/semaine d’activité physique intense + > 300 min/semaine d’activité physique modérée + exercices de renforcement musculaire ≥ 2 séances/semaine ; ce qui équivaut à un taux de mortalité pondéré de 1,0 contre 2,2 par 1 000 années-personnes.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’une combinaison équilibrée de différents niveaux d’activité physique aérobie d’intensité modérée et élevée et d’activité de renforcement musculaire est associée à une réduction optimale du risque de mortalité. Des niveaux d’activité modérée et intense supérieurs aux recommandations peuvent encore réduire davantage le risque de mortalité par cancer et le risque de mortalité totale.
Financement de l’étude
L’un des coauteurs a reçu un financement, mais la source n’est pas clairement mentionnée.
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs n’ont pas mentionné de conflits d’intérêt pertinents.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette étude de cohorte prospective s’appuie sur un échantillon large et représentatif de la population américaine. Au cours d’un suivi médian de 10 ans, les auteurs ont utilisé le Registre national de mortalité pour suivre à la fois la mortalité totale et la mortalité due à des événements cardiovasculaires et au cancer. Par ailleurs, l’activité physique a été identifiée à l’aide d’une mesure unique rapportée par la personne. Cela peut avoir entraîné un biais de mémorisation, et nous devons également garder à l’esprit que l’activité physique déclarée par la personne est souvent surestimée, en particulier en cas de faible niveau d’activité (14). En outre, cette étude ne tient pas compte du fait que l’activité physique peut évoluer au fil du temps.
Pour déterminer l’impact des différents niveaux d’activité physique sur la mortalité, un modèle de risques proportionnels de Cox a été utilisé pour tenir compte des facteurs de confusion les plus pertinents, notamment l’âge, le sexe, le BMI, la consommation d’alcool et le tabagisme. L’alimentation n’a toutefois pas été prise en compte. Et ce alors que la nutrition, tant la quantité que la composition et le modèle de l’apport alimentaire, joue un rôle important dans le risque de développer une maladie cardiovasculaire ou un cancer et d’en décéder (15,16). On a également corrigé pour tenir compte de la somme des durées hebdomadaires d’activité physique modérée et d’activité physique intense ; cela peut avoir son importance parce que le nombre de personnes dans le groupe qui n’effectuait pas l’activité recommandée de > 150 minutes d’activité physique modérée et > 75 minutes d’activité physique intense et > 2 séances d’exercices de force par semaine était 9 à 10 fois plus élevé que dans les autres groupes. Les chercheurs ont également effectué des analyses de sensibilité intéressantes, qui n’ont toutefois pas donné de résultats différents.
Évaluation des résultats
La principale conclusion de cette étude de cohorte est qu’il faut une quantité minimale d’activité physique modérée, d’activité physique intense et d’exercices de renforcement musculaire pour qu’il y ait une association positive entre l’activité physique et la diminution de la mortalité totale, de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité liée au cancer. Les résultats suggèrent également que des niveaux plus élevés que la quantité recommandée d’activité physique modérée et d’activité physique vigoureuse sont nécessaires pour réduire de manière optimale respectivement le risque de mortalité liée au cancer et le risque de mortalité totale. En ce qui concerne la mortalité due aux maladies cardiovasculaires, il semble que, pour obtenir une réduction optimale du risque, une activité physique modérée et intense selon les niveaux recommandés (respectivement > 150-225 min/semaine et > 0-75 min/semaine) soit suffisante, à condition qu’elle soit associée à au moins 2 séances de renforcement musculaire par semaine.
En ce qui concerne l’extrapolation des résultats, il est important de relever que la présente étude a été menée essentiellement auprès de personnes ayant un niveau de formation élevé. Le BMI moyen était d’environ 26,5 kg/m², et environ un quart des participants présentaient un déficit fonctionnel. De plus, il s’agit d’une population américaine, qui peut différer de la population belge en termes d’activité physique. Même une analyse de l’Eurobaromètre sur le sport et l’activité physique a montré de grandes différences dans l’(in)activité physique entre les pays européens, 40,2% des personnes interrogées en Belgique étant considérées comme inactives (17). Dans l’étude examinée ici, 72,3% de l’échantillon étaient actifs de manière limitée.
Que disent les guides de pratique clinique ?
L’OMS (2020) recommande aux adultes âgés de 18 à 64 ans de pratiquer au moins 150 à 300 minutes par semaine d’activité physique d’intensité modérée, ou au moins 75 à 150 minutes par semaine d’activité physique d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activités d’intensité modérée et soutenue. Il est également recommandé aux adultes de pratiquer des activités de renforcement musculaire impliquant tous les principaux groupes musculaires deux jours ou plus par semaine (18). L’OMS recommande aux adultes de commencer par de petites activités physiques et d’en augmenter progressivement la fréquence, l’intensité et la durée.
Conclusion de Minerva
Cette étude de cohorte prospective utilisant les données d’activité physique d’une population américaine suggère qu’une combinaison de niveaux équilibrés d’activité physique aérobie d’intensité modérée et soutenue et d’activité de renforcement musculaire est associée à des réductions optimales du risque de mortalité globale et du risque de mortalité par maladie cardiovasculaire et par cancer. Des niveaux d’activité physique aérobie supérieurs aux recommandations peuvent réduire encore davantage le risque de mortalité par cancer et de mortalité toutes causes confondues. Cette étude de cohorte à grande échelle est de bonne qualité méthodologique et tient compte d’un large éventail de facteurs de confusion. Cependant, l’influence de l’apport alimentaire et du régime n’a pas été prise en compte dans les analyses.
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Auteurs
Kos D.
ergotherapeute, KU Leuven en Nationaal MS Center Melsbroek
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
R99
A96
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