Revue d'Evidence-Based Medicine
Relation entre des régimes alimentaires sains et la mortalité, globale et spécifique à une cause
Minerva 2023 Volume 22 Numéro 4 Page 67 - 70
Professions de santé
Diététicien, Infirmier, Médecin généralisteContexte
Il est généralement admis que l’un des principaux déterminants d’une bonne santé est une alimentation saine (1,2). Jusqu’à récemment, on mettait l’accent sur un seul nutriment, mais depuis peu, l’attention se porte plutôt sur des modèles alimentaires globaux. Le régime le plus connu est le régime méditerranéen. Des études observationnelles et des études contrôlées randomisées en ont montré un effet bénéfique dans de nombreuses maladies chroniques (3-8). Cependant, on constate une pénurie d’études prospectives à long terme examinant l’effet d’un régime alimentaire, plutôt que d’un seul nutriment, sur un critère de jugement robuste, tel que la mortalité, avec différents moments de mesure.
Résumé
Population étudiée
- inclusion de :
- 75230 femmes, âgées en moyenne de 50,2 ans (ET 7,2 ans) ; recrutées à partir de 1984* dans le cadre de l’étude « Nurses’ Health Study » (NHS), une étude de cohorte prospective qui a débuté en 1976 auprès de 121700 infirmières âgées de 30 à 55 ans
- 44085 hommes, âgés en moyenne de 53,3 ans (ET 9,6 ans) ; recrutés à partir de 1986* dans le cadre de l’étude « Health Professionals Follow-up » (HPFS), une autre étude de cohorte prospective, qui a débuté en 1986 auprès de 51529 professionnels de santé de sexe masculin âgés de 40 à 75 ans
- critères d’exclusion : les participants atteints au départ d’une maladie cardiovasculaire, d’un cancer ou d’un diabète ; les personnes qui n’ont pas fourni d’informations diététiques ; les femmes consommant moins de 600 kcal ou plus de 3500 kcal par jour et les hommes consommant moins de 800 kcal ou plus de 4200 kcal par jour.
* L’année au cours de laquelle un questionnaire validé pour la nutrition a été utilisé pour la première fois.
Protocole de l’étude
Étude de cohorte prospective (9)
- tous les 2 à 4 ans, un questionnaire nutritionnel semi-quantitatif où plus de 130 items ont été relevés
- les informations obtenues ont été utilisées pour calculer les scores de quatre indices nutritionnels :
- Healthy Eating Index 2015 (HEI-2015) : 13 composants (total des fruits, fruits entiers (pas sous forme de jus), total des légumes, légumes-feuilles et haricots, produits céréaliers complets, produits laitiers, totales des protéines alimentaires, poissons et crustacés et protéines végétales, acides gras, produits céréaliers raffinés, sodium, pourcentage énergétique de sucres ajoutés et pourcentage énergétique d’acides gras saturés), avec un score allant de 0 à 100 (un score plus élevé indique une plus grande observance des directives alimentaires américaines) (10)
- Alternate Mediterranean Diet (AMED) : 9 composants (légumes, fruits, produits céréaliers complets, noix, légumineuses, poisson, rapport acides gras polyinsaturés sur acides gras saturés, viandes rouges et transformées, alcool), avec un score allant de 9 à 45 (un score plus élevé indique un régime méditerranéen plus sain)
- Healthful Plant-based Diet (HPDI) : 18 composants (regroupés en 3 catégories : aliments végétaux sains (produits céréaliers complets, fruits, légumes, noix, légumineuses, huiles végétales, thé et café), aliments végétaux moins sains (jus de fruits, produits céréaliers raffinés, pommes de terre, boissons sucrées, bonbons, desserts), aliments d’origine animale (graisses animales, y compris le beurre, le saindoux, les produits laitiers, les œufs, le poisson et les fruits de mer, la viande et divers aliments d’origine animale), avec un score allant de 18 à 90 (un score plus élevé indique une alimentation plus saine à base de plantes)
- Alternate Healthy Eating Index (AHEI) : 10 composants (consommation plus élevée de légumes, de fruits, de produits céréaliers complets, de noix et de légumineuses, de lipides n-3 à longue chaîne et d’acides gras polyinsaturés, consommation réduite de boissons sucrées et de jus de fruits, de viandes rouges et transformées, d’acides gras trans, de sodium et d’alcool) qui, sur la base d’une revue approfondie, sont associés à un risque plus faible de maladies chroniques (11), avec un score allant de 0 à 100.
Mesure des résultats
- relation entre le score médian de chaque quintile des quatre indices nutritionnels et la mortalité, globale et spécifique à une cause, pour chaque cohorte séparément et pour les deux cohortes combinées dans une méta-analyse à effets fixes
- modèle de régression à risque proportionnel de Cox corrigé pour tenir compte de l’âge
- analyse à variables multiples avec correction pour tenir compte de l’âge, de l’année civile, de la race et de l’origine ethnique, de l’état matrimonial, du fait de vivre seul ou d’être cohabitant, des antécédents familiaux d’infarctus du myocarde, du diabète, du cancer, du fait d’être ou non ménopausée et de l’utilisation d’hormones de la ménopause (uniquement pour les patientes de l’essai NHS), de la prise de multivitamines, de la prise d’aspirine, de l’apport énergétique total, du statut tabagique, de la consommation d’alcool (pas pour le score AMED), de l’activité physique, de l’hypertension, d’une hypercholestérolémie et de l’IMC
- l’effet des facteurs de confusion susmentionnés sur la relation entre le régime alimentaire et la mortalité a été étudié plus en détail dans des analyses de sous-groupes.
Résultats
- au cours du suivi de 3559056 années-personnes, 31263 (42%) femmes et 22900 (52%) hommes sont décédés.
- en comparant le quintile le plus élevé avec le quintile le plus bas des quatre indices alimentaires, un RR corrigé sommé est observé pour la mortalité totale de
- 0,81 (IC à 95% de 0,79 à 0,84) pour HEI-2015
- 0,82 (IC à 95% de 0,79 à 0,84) pour AMED
- 0,86 (IC à 95% de 0,83 à 0,89) pour HPDI
- 0,80 (IC à 95% de 0,77 à 0,82) pour AHEI
- tous les indices alimentaires examinés étaient inversement associés à la mortalité due aux maladies cardiovasculaires, au cancer et aux maladies respiratoires
- les scores AMED et AHEI étaient en outre inversement associés à la mortalité due aux maladies neurodégénératives
toutes les relations inverses se retrouvaient aussi dans les différentes analyses de sous-groupes - les RR étaient plus faibles chez les femmes que chez les hommes, plus faibles chez les fumeurs et les ex-fumeurs que chez les non-fumeurs, et plus faibles chez les personnes qui prenaient des suppléments de multivitamines.
Conclusion des auteurs
Dans cette étude de cohorte de deux grandes cohortes prospectives avec un suivi d’une durée de 36 ans, une plus grande observance des différents régimes alimentaires sains était systématiquement associée à un risque plus faible de mortalité totale et de mortalité spécifique à une cause. Ces résultats confirment les directives alimentaires américaines selon lesquelles divers régimes alimentaires sains peuvent être adaptés aux habitudes et préférences alimentaires individuelles.
Financement de l’étude
L’étude a été financée par plusieurs subventions de divers organismes (gouvernementaux).
Conflits d’intérêt des auteurs
Certains auteurs ont indiqué être financièrement soutenus par quelques entreprises, telles qu’une entreprise alimentaire japonaise, une société de données pharmaceutiques, ou soutenus par diverses agences gouvernementales.
Discussion
Discussion de la méthodologie
Les auteurs ont utilisé les données de deux vastes études de cohorte à long terme existantes : l’étude « Nurses Health Study » (NHS) et l’étude Health « Professionals Follow-up Study » (HPFS). Ces cohortes sont une mine d’informations car un grand nombre de données de santé y ont été suivies régulièrement, notamment l’anamnèse nutritionnelle et plusieurs facteurs d’influence, tels que le statut socioéconomique, les antécédents familiaux, le tabagisme, l’exercice et l’alimentation sur 34 ans (HPFS) et sur 36 ans (NHS). Pour la présente étude, les participants qui ont signalé un apport énergétique extrêmement élevé ou extrêmement faible ont été exclus pour éviter des biais dus aux valeurs extrêmes. À partir du moment où un diagnostic de cancer ou d’une autre maladie grave était posé chez un participant, on ne tenait plus compte de son apport nutritionnel parce que la maladie peut influencer l’alimentation. Pour déterminer le critère de jugement « mortalité », les chercheurs ont utilisé des registres officiels ou des rapports de proches parents. La cause précise du décès a été vérifiée par le biais de l’examen des dossiers médicaux. Même en l’absence de données pendant le suivi, les participants sont restés inclus puisque que la mortalité et la cause du décès pouvaient continuer à être déterminées. En conséquence, les taux d’abandons sont réduits à un minimum. On peut se poser des questions concernant l’utilisation d’enquêtes nutritionnelles autodéclarées. Ces questionnaires ont toutefois été minutieusement validés et ont été considérés comme fiables (12). Sur une période de 34 à 36 ans, les habitudes alimentaires sont rarement constantes. En répétant l’enquête nutritionnelle tous les 2 ans, il a été possible d’en tenir compte dans cette étude. Dans l’analyse, les auteurs ont appliqué une correction tenant compte des facteurs de confusion importants, et ils ont ajouté quelques analyses de sous-groupes basées sur ces facteurs de confusion. Cela reste bien sûr une étude observationnelle, ses résultats pouvant être influencés par des facteurs de confusion inconnus.
Discussion des résultats
Les quatre régimes alimentaires différents ont tous un effet bénéfique sur la mortalité, ce qui paraît logique puisque les différentes composantes des régimes alimentaires se recoupent en grande partie. L’accent est toujours mis sur la consommation de beaucoup de fruits et de légumes, de produits céréaliers complets et de lipides sains et sur la restriction des protéines animales, des graisses saturées, du sel et des sucres ajoutés. L’AMED se concentre sur l’apport supplémentaire de poisson et de noix et autorise une petite quantité d’alcool. En Europe, ce régime méditerranéen est particulièrement recommandé ; son effet bénéfique sur les maladies chroniques a déjà été démontré dans plusieurs études (3-8). Avec l’HPDI, les sources alimentaires d’origine végétale en particulier obtiennent un score élevé, et les sources alimentaires d’origine animale obtiennent un score faible. L’AHEI est basé sur des aliments/composants qui sont systématiquement associés à un risque plus faible de maladie chronique dans les études cliniques et épidémiologiques (11). L’accent est mis sur les acides gras oméga-3 et les autres acides gras polyinsaturées et sur une consommation réduite de boissons sucrées, de viandes rouges et transformées, d’acides gras trans, de sel et d’alcool. Il est important de noter que ces schémas alimentaires ne prennent que partiellement en compte l’effet des différents modes de préparation, or les aliments crus, bouillis, frits, cuits ou fermentés peuvent avoir des effets sur la santé très différents : considérons, par exemple, les grandes différences d’indice glycémique entre les pommes de terre cuites et la purée ou les frites.
La mortalité est un critère de jugement robuste, mais il est important de prendre en compte le délai jusqu’au décès. Tous les participants finissent par mourir : après plus de 34 ans de suivi, 42% (= 31263/75230) des femmes étaient décédées dans l’étude NHS, et 52% (= 22900/44085) des hommes étaient décédés dans l’étude HPFS. Cette étude ne permet pas de se prononcer sur les années de vie de qualité. Il s’agit pourtant d’un important critère de jugement pour recommander des conseils diététiques (13). L’effet légèrement plus favorable chez les femmes, chez les (anciens) fumeurs et chez les personnes qui prennent des multivitamines ne peut pas être clairement expliqué. Un inconvénient majeur de cette étude est qu'il n'est pas possible d'extrapoler la taille de l'effet à toute la population générale. En effet, seuls les professionnels de santé ont été suivis. L'effet n'a donc été démontré que pour un groupe de population qui est (ou pourrait être) très soucieux de sa santé.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Dans ses « Recommandations alimentaires pour la population belge adulte », le Conseil Supérieur de la Santé a mis l’accent sur une consommation plus importante de produits céréaliers complets, de fruits et de légumes, de légumineuses et de noix et sur la limitation de la consommation de sel et d’aliments transformés (2). Les recommandations américaines indiquent que différents modes d’alimentation sont possibles, ayant tous approximativement le même bénéfice pour la santé si, dans une large mesure, leur composition générale est la même : riche en fruits et légumes, en produits céréaliers complets, en poissons et fruits de mer, en noix ; modéré en produits laitiers pauvres en matières grasses et en alcool (adultes) ; pauvre en viande rouge et en viande transformée ; pauvre en aliments sucrés, en boissons sucrées et en glucides raffinés (1).
Conclusion de Minerva
Cette étude de cohorte qui a été correctement menée auprès d’un grand nombre de professionnels de la santé montre que quatre régimes alimentaires sains différents mais fort semblables ont un effet bénéfique sur la mortalité, globale et spécifique à une cause, après correction pour tenir compte de nombreux facteurs de confusion.
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https://health.gov/our-work/nutrition-physical-activity/dietary-guidelines/previous-dietary-guidelines/2015/advisory-report - Conseil Supérieur de la Santé. Recommandations alimentaires pour la population belge adulte – 2019. CSS Avis n° 9284.
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Auteurs
Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
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