Revue d'Evidence-Based Medicine
Bénéfices et risques d’un traitement médicamenteux du diabète de type 2 : résultats d’une méta-analyse en réseau.
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 9 Page 209 - 212
Professions de santé
Infirmier, Médecin généraliste, PharmacienContexte
Minerva a analysé à de multiples reprises depuis 2015 (4 articles sont cités en exemples) les bénéfices supposés de 3 (nouvelles) classes médicamenteuses pour la prévention des complications cardiovasculaires ou rénales du diabète de type 2 : les agonistes du récepteur du GLP-1 (incrétinomimétiques), les inhibiteurs du SGLT-2 (gliflozines), et les antagonistes de l’aldostérone (dont la finérénone, nouvel antagoniste non-stéroïdien) (1-8). De plus, en 2019, Minerva, en conclusion de l’analyse d’une étude épidémiologique montrant que l’HbA1c n’est qu’un facteur de risque (FR) parmi d’autres, dont le tabac, pour les maladies cardiovasculaires, s’interroge sur le regard à porter sur le traitement optimal du diabète de type 2, encore très « gluco-centré » (9,10). Les auteurs de la présente méta-analyse (MA) (11) prennent délibérément l’option de placer la problématique cardiovasculaire au centre du débat, comme dans une première MA (12), publiée en 2021. Les auteurs ajoutent ici les informations les plus récentes sur la finérénone et le tirzépatide, un incrétinomimétique à double action (agoniste du récepteur du GLP-1 et du GIP).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique d’essais contrôlés, avec méta-analyse en réseau.
Sources consultées
- Medline, Embase et Cochrane Central,
- plus les listes des références de MA identifiées déjà publiées sur le sujet.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion
- sont sélectionnées les études comparant à un bras-contrôle (traitement standard de l’époque – les études s’étalent sur près de 4 décennies) l’ajout d’une molécule d’un seule classe
- durée de 24 semaines minimum
- uniquement langue anglaise
- 13 classes thérapeutiques sont identifiées
- critères d’exclusion
- sont exclues les analyses de sous-groupes
- au final, 816 essais enrôlant, aboutissant à 9770 estimations directes ou indirectes ; la durée médiane de suivi est de 6 mois (espace interquartile 5,5 -12).
Population étudiée
- 471038 patients diabétiques de type 2 sont étudiés ; âge moyen de 57,7 ans, BMI moyen de 29,5, HbA1c moyenne de 8,1% ; 60% des patients ont une maladie cardiovasculaire établie, la durée moyenne du diabète est de 7,4 ans.
Mesure des résultats
les effecteurs dichotomiques (mortalité toutes causes, mortalité cardiovasculaire, etc) sont présentés en OR (avec IC) ; l’amélioration de la qualité de vie est présentée en différences de moyenne standardisée (avec IC) ; les variations de poids – donnée continue - sont présentées en Kg (avec IC) ; l’effecteur « maladie rénale terminale » est un composite : dialyse, transplantation, fonction rénale < 15/ml/min/1,73 m², déclin de la clearance de 40%, doublement de la créatinine sérique, mort d’origine rénale.
Résultats
- molécules versus traitement standard : gains significatifs
Intervention |
Mort TC |
Mort CV |
IM NF |
AVC NF |
AdmH DC |
Mal Ren Term |
Qualité de Vie |
i-SGLT2 |
0,88 (0,83 à 0,94) |
0,86 (0,80 à 0,94) |
0,90 (0,82 à 0,98) |
NS |
0,66 (0,60 à 0,73) |
0,61 (0,55 à 0,67) |
0,30 (0,10 à 0,47) |
a-GLP1 |
0,88 (0,82 à 0,93) |
0,87 (0,81 à 0,94) |
0,91 (0,85 à 0,98) |
0,85 (0,77 à 0,94) |
0,91 (0,83 à 0,99) |
0,83 (0,75 à 0,92) |
0,17 (0,07 à 0,27) |
Finérénone |
0,89 (0,79 à 1,00) |
NS |
NS |
NS |
0,78 (0,66 à 0,92) |
0,83 (0,75 à 0,92) |
Pas mes |
Tirzépatide |
NS |
NS |
NS |
Pas mes |
NS |
NS |
0,39 (0,13 à 0,65) |
Légende : i-SGLT2 : inhibiteurs du SGLT-2 (gliflozines) ; a-GLP1 : agonistes du récepteur du GLP1( incrétinomimétiques) ; Mort TC : mortalité toutes causes ; Mort CV : mortalité cardiovasculaire ; IM NF : infarctus du myocarde non-fatal ; AVC NF : accident vasculaire cérébral non-fatal ; AdmH DC : admission hospitalière pour un épisode de décompensation cardiaque ; Mal Ren Term : composite rénal défini plus haut ; Qualité de vie : mesurée sur différents scores ; Pas mes : non mesuré ; NS : non significatif.
-
- les thiazolidinediones entraînent un excès significatif d’hospitalisations pour DC
- la perte moyenne de poids est maximale pour le tirzépatide (-8,57 kg avec IC à 95% de -9,40 à -7,75)
- les effets indésirables caractéristiques de chaque classe ont été mesurés précisément et sont bien connus :
- l’OR pour les effets gastro-intestinaux sévères du tirzépatide est de 4,59 (avec IC à 95% de 1,89 à 11,14), plus que doublé par rapport aux incrétinomimétiques de première génération (1,97 avec IC à 95% de 1,39 à 2,80)
- les événements hypoglycémiques cliniquement importants sont significativement plus fréquents pour les sulfonylurées et l’insuline quel que soit le mode d’administration de celle-ci
- les auteurs présentent de plus les estimations en risques absolus (nombre d’événements pour 1000 patients en 5 ans), y compris les effets indésirables, pour toutes les classes médicamenteuses étudiées, pour 5 niveaux de risque cardiovasculaire, le plus faible niveau de risque étant le patient diabétique de type 2 avec maximum 3 facteurs de risque CV, le niveau le plus sévère étant le patient insuffisant rénal chronique atteint d’une complication vasculaire ; un tableau interactif est accessible à l’adresse : https://qingys.shinyapps.io/data_visualization
- le risque attendu calculé varie fortement selon le risque de base
- à titre d’exemple, pour un adulte ayant maximum 3 facteurs de risque CV, l’ajout d’un traitement par gliflozines au traitement standard - le risque de base de mortalité toute cause étant de 20 événements en 5 ans pour 1000 patients traités - génère un gain probable de 2 événements (avec IC à 95% de 4 à 1) avec un niveau de preuve élevé, mais le risque de base d’amputation étant de 10/1000 patients/5 ans, l’augmentation absolue du risque d’amputation est de 3 (avec IC à 95% de 0 à 6), avec un niveau de preuve modéré. Pour les patients au niveau de risque maximal, le risque de base est de 265 événements pour 1000 personnes en 5 ans, avec un gain potentiel de 24 (avec IC à 95% de 35 à 12) et un risque d’amputation inchangé.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que cette méta-analyse en réseau confirment les effets bénéfiques connus au niveau cardiovasculaire des gliflozines et des incrétinomimétiques, et apportent quelques informations pour la finérénone et le tirzépatide. Les données soulignent l’intérêt d’un ajustement régulier des données scientifiques factuelles dans le traitement du diabète de type 2, cela afin d’ajuster les recommandations cliniques.
Financement de l’étude
Fonds publics chinois (Sichuan Science and Technology Program et Sichuan University).
Conflits d’intérêts des auteurs
Financements par des fondations ou par l’industrie pour plusieurs auteurs.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Les qualités méthodologiques de cette méta-analyse doivent être soulignées ; tous les aspects sont discutés en détails : arbitrages dans la sélection des études, risques de biais, extraction des données, méthodes statistiques fréquentistes ou bayésiennes selon les besoins, analyses de sensibilité, attribution des niveaux de preuve selon GRADE, méta-régressions. Une volumineuse annexe (1541 pages) est fournie.
Chaque comparaison directe ou indirecte (entre deux « nœuds » du réseau) s’est vu attribuer un niveau de preuve (selon les règles GRADE et les faiblesses potentielles d’une MA en réseau ont été prises en compte).
Évaluation des résultats
Malgré toutes les précautions méthodologiques, les résultats chiffrés d’une MA, particulièrement en réseau pour les évaluations indirectes, restent fragiles : ils dépendent de la qualité des essais inclus et de l’homogénéité des hypothèse testées ; ceci se reflète bien ici par la variabilité des niveaux de preuve attribués, qui ne sont convaincants que pour les gliflozines et les incrétinomimétiques.
Dans ce travail, les auteurs ont choisi de focaliser leur intérêt exclusivement sur les effecteurs cardiovasculaires et la qualité de vie : l’aspect « contrôle optimal de la glycémie » passe à l’arrière-plan. On notera avec intérêt à cet égard que 2 études récentes (13,14) tendent à montrer que 4 classes médicamenteuses (insuline, incrétinomimétiques, sulfamidés et gliptines (inhibiteurs de la DPP4) paraissent équivalentes au niveau du contrôle de la glycémie moyenne et du risque de micro-angiopathie après un suivi de 5 ans. Ici, les effets CV des gliptines sont non significatifs, contrastant avec les effets des incrétinomimétiques ; comme ce qui différencie ces deux classes est l’effet sur le poids, il est probable que la variation de poids soit un marqueur fort de la chaîne causale des effets observés, ce que semble confirmer l’étude portant sur le sémaglutide chez des patients obèses non-diabétiques à risque CV, avec un gain CV absolu du même ordre de grandeur que pour les patients diabétiques type 2 (15).
On notera donc la grande cohérence logique de l’ensemble des résultats avec ce qui est connu, sans informations cependant sur les éventuelles associations.
L’ambition supplémentaire affichée par les auteurs est d’apporter aux cliniciens des informations pertinentes pour la finérénone et le tirzépatide :
- la finérénone n’a été testée que chez des patients déjà porteurs d’une maladie rénale chronique ; de plus, on notera la fréquence plus élevée des hyperkaliémies sévères
- l’information pour le tirzépatide est limitée à l’action sur le poids et sur la qualité de vie, cela étant lié à l’absence actuelle de résultats d’essais de longue durée (en cours).
Enfin, le rapport bénéfices-risques pour chaque comparaison du réseau (directe ou indirecte) est facilement accessible par l’outil interactif cité plus haut.
Que disent les guides de pratique clinique ?
NICE (16) a revu en 2022 ses recommandations pour le traitement du diabète de type 2 : la recommandation est de calculer le risque CV, avec une gliflozine à prescrire si haut risque cardiovasculaire ; un incrétinomimétique sera envisagé si le poids est une composante importante du tableau clinique. La finérénone est envisagée en plus d’un IEC ou d’un sartan pour l’insuffisance rénale (mars 2023) ; le tirzépatide est envisagé favorablement en utilisation de routine, notamment pour les patients présentant un BMI > 35 (octobre 2023).
L’American Diabetes Association (17) a revu ses recommandations début 2024 :
- sur le plan cardiovasculaire, l’approche multifactorielle doit être privilégiée ; gliflozines et incrétinomimétiques sont mis sur le même pied
- sur le plan rénal, gliflozines, incrétinomimétiques et finérénone doivent être discutés.
Pour le CBIP (18), la finérénone est indiquée pour le traitement de l’insuffisance rénale avec albuminurie ; le tirzépatide n’est pas (encore) disponible en Belgique.
Toutes les recommandations rappellent qu’un important volet du traitement du diabète de type 2 est la prévention ou le traitement des complications cardiovasculaires et rénales.
Conclusion de Minerva
Cette MA en réseau de grande qualité factuelle confirme globalement l’efficacité des gliflozines et des incrétinomimétiques, avec un rapport bénéfices-risques favorable surtout chez les patients à haut risque CV. La finérénone est efficace chez les patients en insuffisance rénale, le tirzépatide est très efficace pour la perte de poids. En supposant optimal le traitement hypoglycémiant, une approche multifactorielle préventive reste la clé de voûte. Pour les patients à haut risque cardiovasculaire, il faut privilégier la prescription de gliflozines, avec un rapport bénéfices – risques plus favorable que les incrétinomimétiques. Si le poids est au centre de la problématique clinique, les incrétinomimétiques seront envisagés. La finérénone peut être envisagée en cas de maladie rénale. Il est trop tôt pour positionner le tirzépatide.
- Vanhaeverbeek M. Le liraglutide est-il sans risque sur le plan cardiovasculaire dans le traitement du diabète de type 2, ou a-t-il même un effet cardioprotecteur ? Minerva Analyse 15/02/2017.
- Marso SP, Daniels GH, Brown-Frandsen K, et al. Liraglutide and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2016;375:311-22. DOI: 10.1056/NEJMoa1603827
- Vanhaeverbeek M. Les inhibiteurs des SGLT2 (gliflozines) ont-ils un rôle en prévention primaire ou secondaire d’événements cardiovasculaires ou rénaux chez les patients diabétiques de type 2 ? Minerva 15/06/2021.
- Zelniker TA, Wiviott SD, Raz I, et al. SGLT2 inhibitors for primary and secondary prevention of cardiovascular and renal outcomes in type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis of cardiovascular outcome trials. Lancet 2019;393:31-9. DOI: 10.1016/S0140-6736(18)32590-X
- Vanhaeverbeek M. Comparaison entre gliflozines, incrétinomimétiques et metformine dans la prévention des complications cardiovasculaires chez les patients diabétiques de type 2. MinervaF 2022 ;21(1):12-7.
- Escobar C, Barrios V, Cosin J, et al. SGLT2 inhibitors and GLP1 agonists administered without metformin compared to other glucose-lowering drugs in patients with type 2 diabetes mellitus to prevent cardiovascular events: a systematic review. Diabet Med 2021;38:e14502. DOI: 10.1111/dme.14502
- Vanhaeverbeek M. Effets comparés des inhibiteurs des SGLT2 (gliflozines) et des antagonistes de l’aldostérone - surajoutés aux antagonistes du système rénine-angiotensine - sur la maladie rénale chronique des patients diabétiques de type 2. Minerva Analyse 18/04/2023.
- Yang S, Zhao L, Mi Y, He W. Effects of sodium-glucose cotransporter-2 inhibitors and aldosterone antagonists, in addition to renin-angiotensin system antagonists, on major adverse kidney outcomes in patients with type 2 diabetes and chronic kidney disease: a systematic review and network meta-analysis. Diabetes Obes Metab 2022;24:2159-68. DOI: 10.1111/dom.14801
- Vanhaeverbeek M. L’excès de risque cardiovasculaire ou de mortalité observé chez les patients diabétiques de type 2 peut-il être diminué ou même supprimé ? Minerva Analyse 17/11/2019.
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- Finérénone. Des informations fiables sur les médicaments. CBIP (site consulté le 1/10/2024).
Auteurs
Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Mots-clés
analogue du GLP-1, antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes, AVC, diabète de type 2, effet indésirable, finérénone, hospitalisation, infarctus du myocarde, inhibiteur du SGLT2, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, mortalité, mortalité cardiovasculaire, perte de poids, qualité de vie, tirzépatideGlossaire
Code
E11
T90
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