Analyse
Les inhibiteurs des SGLT2 (gliflozines) ont-ils un rôle en prévention primaire ou secondaire d’événements cardiovasculaires ou rénaux chez les patients diabétiques de type 2 ?
Depuis 2015, Minerva a consacré aux gliflozines pas moins de 9 analyses. En 2015, le rapport bénéfices-risques de leur effet hypoglycémiant dans le diabète de type 2 est jugé défavorable (1,2). Entre 2016 et 2018, l’effort principal des investigateurs porte sur les gains cardiovasculaires et rénaux éventuels (3), ce qui n’a pas échappé à Minerva (4,5). En 2019, les données disponibles pointent vers la prescription des gliflozines aux patients diabétiques ou prédiabétiques avec maladies cardiovasculaires ou rénales exprimées cliniquement, ou avec facteurs de risque (6).
La synthèse méthodique avec méta-analyses analysée ici regroupe les 34322 patients diabétiques de type 2 des trois grands essais randomisés de sûreté cardiovasculaire des gliflozines (7). Les données sont extraites des études elles-mêmes, mais aussi de 6 analyses secondaires. 60,2% des patients (n = 20650) avaient une manifestation clinique d’athéromatose et 39,8% (n = 13672) présentaient de multiples facteurs de risque. 11,3% souffraient d’insuffisance cardiaque et 14,9% avaient une GFR < 60 ml/min/1,73m2. L'objectif était de combiner les données de tous les essais à grande échelle contrôlés par placebo sur les résultats cardiovasculaires des inhibiteurs de la SGLT-2 afin d'obtenir des estimations plus fiables quant à l'efficacité et l'innocuité spécifiques dans l'ensemble et dans les sous-groupes pertinents. Tous les essais analysés grâce aux critères de qualité de l'outil Cochrane présentaient un faible risque de biais. L’hétérogénéité a été calculée à l'aide de la statistique Cochrane Q et de l'I² de Higgins et Thompsons. Quand il n’y avait pas d’hétérogénéité statistique montrée entre les critères des études, le modèle à effets fixes a été utilisé. Dans le cas contraire, un modèle d’effets aléatoires a été utilisé. Les calculs ont été réalisés sur des données agrégées et non individuelles.
Les résultats montrent que les i-SGLT2 ont réduit :
- de 11% les événements cardiovasculaires indésirables majeurs (HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,83 à 0,96 ; p = 0,0014) avec un bénéfice observé uniquement chez les patients atteints de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse (HR de 0,86 avec IC à 95% de 0,80 à 0,93) mais pas pour les patient sains (HR de 1,00 avec IC à 95% de 0,87 à 1,16 ; p pour interaction = 0,0501)
- le risque de décès cardiovasculaire ou d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque de 23% (HR de 0,77 avec IC à 95% de 0,71 à 0,84 ; p < 0,0001), avec un bénéfice similaire chez les patients avec et sans maladie cardiovasculaire athéroscléreuse et avec et sans antécédent d'insuffisance cardiaque
- le risque de progression de la maladie rénale (aggravation de la néphropathie - notamment au niveau de la microalbuminurie -, insuffisance rénale terminale, mort d’origine rénale) de 45% (HR de 0,55 avec IC à 95% de 0,48 à 0,64 ; p < 0,0001), avec un bénéfice similaire chez les personnes avec et sans maladie cardiovasculaire athéroscléreuse ; pour ce composite rénal, après stratification en 3 groupes pour la GFR, l’effet maximal est observé pour le groupe avec la meilleure fonction rénale préalable (GFR ≥ 90 ml/min/m²) (HR de 0,44 avec IC à 95% de 0,32 à 0,59), avec un trend significatif pour la comparaison entre les trois groupes.
En ce qui concerne la sécurité des gliflozines, les auteurs rapportent une importante hétérogénéité entre les études pour la survenue de fractures et d’amputations (I² à 78,2% et 79,1% respectivement) rendant les données difficilement interprétables. Quant à la fréquence d’acidocétose diabétique, elle est significativement plus fréquente dans le groupe traité, bien que son incidence reste faible (HR de 2,20 avec IC à 95% de 1,25 à 3,87 ; p = 0,0060, < 1/1000 patients-années).
Les auteurs rapportent ne pas avoir reçu de financement pour cette étude, bien que de nombreux conflits d’intérêts soient à relever.
Sur base de ces résultats, les auteurs concluent que la prescription d’une gliflozine pourrait donc être considérée chez les patients diabétiques de type 2 indépendamment d’une manifestation clinique d’athéromatose ou d’un antécédent de décompensation cardiaque.
La proposition des auteurs doit donc être mise en perspective :
- le mode d’action des gliflozines est double : favorisation d’une diurèse osmotique, via la glycosurie et la natriurie, avec amélioration de la précharge et de la postcharge, d’une part (8) ; augmentation de la concentration en chlorure de sodium au niveau de la macula densa du tubule rénal, avec effets directs sur la filtration glomérulaire, d’autre part (9). Les effets positifs observés peuvent donc être bien expliqués par un raisonnement physiopathologique. Ces effets pourraient d’ailleurs être indépendants de l’hyperglycémie du diabète, comme cela a été montré pour la dapagliflozine (10,11). La place réelle des gliflozines ne pourra donc être déterminée qu’en les comparant attentivement aux autres groupes pharmacologiques ayant des actions du même type (diurétiques, IEC et sartans, anti-rénines…) dans des essais dédicacés.
- la conclusion des auteurs (et le titre de l’article) tend à promouvoir la prescription des gliflozines en prévention dite ici primaire : ceci n’est pas défendable. En effet, 100% des patients de la première étude ont une manifestation clinique, la durée moyenne ou médiane du diabète est de 13,5 ans et 11 ans dans les deux autres études. Il s’agit donc bien sûr de prévention secondaire ou tertiaire (ce que les auteurs reconnaissent implicitement dans les limitations de leur étude).
- cette méta-analyse méthodologiquement correcte n’a que la valeur de preuve factuelle d’une méta-analyse, dont les données sont issues d’études fort différentes par la proportion de patients recrutés, avec ou sans manifestations cliniques d’athéromatose. De plus, la stratification secondaire réalisée ici diminue encore le niveau de preuve. Enfin, les auteurs postulent un effet de classe, ce qui n’est pas évident quand on se penche attentivement sur chaque étude individuellement.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les plus récents guidelines de l’American Diabetes Association (ADA) proposent un positionnement mixte (hypoglycémiant et cardio-réno-protecteur) des gliflozines (12), tandis que l’American Heart Association veut inclure les gliflozines dans le traitement précoce de la néphropathie diabétique chez les patients à haut risque (13). Le CBIP note en 2020 un effet bénéfique de certaines gliflozines dans l’insuffisance cardiaque ou rénale, aussi bien chez des patients diabétiques que non diabétiques (14). En décembre 2020, la Revue Prescrire insiste toujours sur un profil chargé en effets indésirables (15).
Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses de bonne qualité méthodologique montre que chez des patients présentant un diabète de type 2, les gliflozines (i-SGLT2) ont des avantages modérés sur les événements cardiovasculaires indésirables majeurs athéroscléreux qui semblent limités aux patients atteints d'une maladie cardiovasculaire athéroscléreuse établie. Les gliflozines ont des avantages plus importants sur la réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et la progression de la maladie rénale, indépendamment de la maladie cardiovasculaire athéroscléreuse existante ou des antécédents d'insuffisance cardiaque.
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- Prescrire Rédaction. Pour mieux soigner des médicaments à écarter: bilan 2021. Diabétologie - nutrition. Rev Prescrire 2021;40:934-5.
Auteurs
Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
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