Analyse


L’excès de risque cardiovasculaire ou de mortalité observé chez les patients diabétiques de type 2 peut-il être diminué ou même supprimé ?


17 11 2019

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Rawshani A, Rawshani A, Franzén S et al. Risk factors, mortality, and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2018;379:633-44. DOI: 10.1056/NEJMoa1800256


Conclusion
Cette étude épidémiologique de grande qualité est pleine d’intérêts pour le clinicien de première ligne. Les 2 premiers groupes de résultats observés sont attendus ; les études d’intervention ciblant tous les facteurs de risque confirment le concept général. La diminution du risque « infarctus du myocarde » chez les patients sans facteurs de risque est vraisemblablement un biais lié à l’absence d’information sur les facteurs de risque en-dehors du diabète dans le groupe contrôle. L’annulation possible du risque par les interventions médicales reste cependant hypothétique, compte tenu de la nature observationnelle de cette étude. Le tabagisme est un fléau de santé publique ; l’arrêt du tabac est toujours bénéfique, même en cas de prise de poids. Les courbes en J sont au cœur d’intenses débats : quelles sont les cibles optimales, pour quels patients ? La diminution de la majoration du risque avec l’âge d’apparition du diabète pourrait être interprétée comme liée à la durée d’évolution du diabète. Cependant, certaines contradictions dans les données observées ici ont entraîné une ré-analyse de cette cohorte : les auteurs concluent à une possible pathogénicité plus élevée des facteurs de risque cardiovasculaires chez les patients plus jeunes, ce qui est une notion nouvelle, très interpellante.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Tout clinicien de première ligne relira avec intérêt et grande attention le remarquable document de Domus Medica consacré à l’approche du diabète de type 2. Ce document (publié en 2015) n’intègre bien sûr pas le concept de pathogénicité plus élevée des facteurs de risque cardiovasculaires du patient jeune. Il consacre cependant la majeure partie de son espace au problème de la glycémie ; les preuves s’accumulant, n’est-il pas temps de changer notre regard de cliniciens sur le diabète de type 2 ; le « sucre » n’est pas tout, il faut impérativement attaquer le problème dans sa globalité, et peut-être surtout accentuer nos mesures préventives. Nos praticiens et infirmières sont-ils assez conscientisés, notre système de santé « sectorisé » est-il bien adapté à une approche globale de ce problème majeur de santé publique ?



Minerva a à ce jour publié de nombreuses analyses sur la liaison entre mortalité, maladies cardiovasculaires et diabète de type 2 ; trois sont référencées à titre d’exemple (1-6) ; deux sont des essais médicamenteux, l’une est épidémiologique. Une nouvelle étude de cohorte très importante a été publiée en 2018 (7).

 

Cette étude observationnelle a étudié les patients diabétiques de type 2 d’un registre national suédois, classifiés selon le nombre de facteurs de risque (FR) présents, versus des contrôles non diabétiques. 271174 diabétiques ont été appariés à 1355870 patients-contrôles. La durée moyenne de suivi était de 5,7 ans. Les auteurs sont parvenus à documenter correctement 5 facteurs majeurs de risque cardiovasculaires associés (HbA1c, LDL cholestérol, tabagisme, TA systolique (TAS) et diastolique (TAD), micro ou macroalbuminurie) pour 96673 (35,6%) patients diabétiques dont 49,4% étaient des femmes. Les groupes sont stratifiés par âge, sexe et région à l’enregistrement.

175345 décès ont été recensés : 37825 dans le groupe diabète (13,9%) versus 137520 dans le groupe contrôle (10,1%).

Comparés aux patients contrôles, les résultats observés chez les patients diabétiques de type 2 montrent :

  1. que globalement, le risque est proportionnel au nombre de FR présents
  2. que les patients diabétiques de type 2 chez qui les 5 facteurs majeurs de risque sont soit absents, soit dans les normes des recommandations thérapeutiques (60% des patients étiquetés sans FR sont traités par statine ou hypotenseur) gardent un excès de décompensation cardiaque (DC) (HR de 1,45 avec IC de 95% de 1,34 à 1,57), un petit excès de mortalité toutes causes (HR de 1,06 avec IC à 95% de 1,00 à 1,12), pas d’excès d’accident vasculaire cérébral (AVC) (HR de 0,95 avec IC de 95% de 0,84 à 1,07) et une diminution des infarctus du myocarde est même observée (HR de 0,84 avec IC de 95% de 0,75 à 0,93) 
  3. que les risques observés sont plus élevés pour les patients les plus jeunes, proportionnellement au nombre de FR présents ; par exemple, pour les patients de moins de 55 ans, avec 5 facteurs de risque présents, le HR pour la DC est de 11,35 (avec IC de 95% de 7,16 à 18,01), à comparer à 2,76 (avec IC de 95% de 0,82 à 9,25) pour les plus de 80 ans ; ces risques sont progressifs avec les tranches d’âge.

L’importance prédictive des FR détaillés a été étudiée chez les patients diabétiques :

  • le tabagisme, l’activité physique, le statut marital, l’HbA1c et la prise de statines dominent pour la mortalité toutes causes
  • l’HbA1c, la TAS, le LDL, l’activité physique et le tabagisme dominent pour l’infarctus du myocarde
  • l’HbA1c, la TAS, la durée du diabète et l’activité physique dominent pour l’AVC
  • le BMI domine pour les hospitalisations secondaires à une DC.

Chez les patients diabétiques, une courbe en J est observée pour les relations TAS ou HbA1c versus mortalité toutes causes et pour la relation TAS versus décompensation cardiaque.

 

Conclusion

Cette étude épidémiologique de grande qualité est pleine d’intérêts pour le clinicien de première ligne. Les 2 premiers groupes de résultats observés sont attendus ; les études d’intervention ciblant tous les facteurs de risque confirment le concept général (8). La diminution du risque « infarctus du myocarde » chez les patients sans facteurs de risque est vraisemblablement un biais lié à l’absence d’information sur les facteurs de risque en-dehors du diabète dans le groupe contrôle. L’annulation possible du risque par les interventions médicales reste cependant hypothétique, compte tenu de la nature observationnelle de cette étude.

Le tabagisme est un fléau de santé publique ; l’arrêt du tabac est toujours bénéfique, même en cas de prise de poids (9).

Les courbes en J sont au cœur d’intenses débats : quelles sont les cibles optimales, pour quels patients (10,11) ?

La diminution de la majoration du risque avec l’âge d’apparition du diabète pourrait être interprétée comme liée à la durée d’évolution du diabète. Cependant, certaines contradictions dans les données observées ici ont entraîné une ré-analyse de cette cohorte (12) : les auteurs concluent à une possible pathogénicité plus élevée des facteurs de risque cardiovasculaires chez les patients plus jeunes, ce qui est une notion nouvelle, très interpellante.

 

Pour la pratique 

Tout clinicien de première ligne relira avec intérêt et grande attention le remarquable document de Domus Medica (13) consacré à l’approche du diabète de type 2. Ce document (publié en 2015) n’intègre bien sûr pas le concept de pathogénicité plus élevée des facteurs de risque cardiovasculaires du patient jeune. Il consacre cependant la majeure partie de son espace au problème de la glycémie ; les preuves s’accumulant, n’est-il pas temps de changer notre regard de cliniciens sur le diabète de type 2 ; le « sucre » n’est pas tout (14), il faut impérativement attaquer le problème dans sa globalité, et peut-être surtout accentuer nos mesures préventives. Nos praticiens et infirmières sont-ils assez conscientisés, notre système de santé « sectorisé » est-il bien adapté à une approche globale de ce problème majeur de santé publique ?

 

 

Références 

  1. Wens J. Empagliflozine : quel effet sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez les patients atteints de diabète de type 2 ? MinervaF 2016;15(4):98-101.
  2. Zinman B, Wanner C, Lachin JM, et al; EMPA-REG OUTCOME Investigators. Empagliflozin, cardiovascular outcomes, and mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015;373:2117-28. DOI: 10.1056/NEJMoa1504720
  3. Vanhaeverbeek M. Y a – t-il une différence observée de la mortalité « toutes causes » entre les essais cliniques testant le traitement des patients diabétiques de type 2 par une gliflozine, un incrétinomimétique ou une gliptine ? Minerva bref 1/06/2019.
  4. Zheng SL, Roddick AJ, Aghar-Jaffar R, et al. Association between use of sodium-glucose cotransporter 2 inhibitors, glucagon-like peptide 1 agonists, and dipeptidyl peptidase 4 inhibitors with all-cause mortality in patients with type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2018;319:1580-91. DOI: 10.1001/jama.2018.3024
  5. Crismer A. Lien entre la consommation de graisses saturées et graisses insaturées trans sur la mortalité totale, les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2 ? Minerva bref 15/06/2016.
  6. de Souza RJ, Mente A, Maroleanu A, et al. Intake of saturated and trans unsaturated fatty acids and risk of all cause mortality, cardiovascular disease, and type 2 diabetes: systematic review and meta-analysis of observational studies. BMJ 2015;351:h3978. DOI: 10.1136/bmj.h3978
  7. Rawshani A, Rawshani A, Franzén S, et al. Risk factors, mortality, and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2018;379:633-44. DOI: 10.1056/NEJMoa1800256
  8. Gaede P , Oellgarrd J , Carstensen B, et al. Years of life gained by multifactorial intervention in patients with type 2 diabetes mellitus and microalbuminuria: 21 years follow-up on the Steno-2 randomised trial. Diabetologia 2016;59:2298-307. DOI: 10.1007/s00125-016-4065-6
  9. Hu Y , Zong G , Liu G, et al. Smoking cessation, weight change, type 2 diabetes, and mortality. N Eng J Med 2018;379:623-32. DOI: 10.1056/NEJMoa1803626
  10. Mancia, G, Grasi G. Blood pressure targets in type 2 diabetes. Evidence against or in favor of an aggressive approach. Diabetologia 2018;61:517-25. DOI: 10.1007/s00125-017-4537-3
  11. Paty BW. The role of hypoglycemia in cardiovascular outcomes in diabetes. Can J Diabetes 2015;39 Suppl5:S155-9. DOI: 10.1016/j.jcjd.2015.09.009
  12. Sattar N, Rawshani A, Franzen S, et al. Age at diagnosis of type 2 diabetes mellitus and associations with cardiovascular and mortality risks. Circulation 2019;139:2228-37. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.118.037885
  13. Bastiaens H, Benhalima K, Cloetens H, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG/Domus Medica 2015.
  14. Rédaction Prescire. Diabète de type 2 : le sucre n’est pas tout. Diabète - Obésité- Nutrition. Info patients. Prescrire, 1er janvier 2019.

 

 




Ajoutez un commentaire

Commentaires