Revue d'Evidence-Based Medicine
Empagliflozine : quel effet sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez les patients atteints de diabète de type 2 ?
Contexte
Les gliflozines (inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2) au niveau rénal) forment une nouvelle classe de médicaments dont l’effet hypoglycémiant mesuré par l’HbA1c repose sur une réduction de la réabsorption rénale du glucose. Ces médicaments auraient aussi un effet favorable sur le poids et sur la pression artérielle (1,2), effet également montré avec l’empagliflozine sur des critères de jugement intermédiaires (3-5). Il restait encore à examiner si une diminution de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires était démontrée.
Résumé
Population étudiée
- 7028 patients, recrutés dans 590 centres de 42 pays, âgés de plus de 18 ans (âge moyen 63 ans), dont 71% de sexe masculin, ayant un diabète de type 2 et atteints d’une maladie cardiovasculaire confirmée, ayant un IMC ≤ 45 kg/m², un débit de filtration glomérulaire estimée (DFGe) ≥ 30 ml/min/1,73 m² et une HbA1c se situant entre 7,0% et respectivement 10,0% maximum sous traitement hypoglycémiant stable ou 9,0% maximum sans traitement hypoglycémiant depuis au moins 12 semaines avant la randomisation.
Protocole de l’étude
Etude de non-infériorité, placebo-contrôlée, multicentrique, randomisée, menée en double aveugle
- après une phase d’inclusion d’une durée de deux semaines menée en ouvert au cours de laquelle les patients ont reçu un placebo sans modification du traitement qu’ils prenaient pour leur diabète, la population de l’étude a été randomisée en 3 groupes : prise quotidienne de 10 mg d’empagliflozine (n = 2345) ou de 25 mg d’empagliflozine (n = 2342) ou d’un placebo (n = 2333)
- stratification en fonction de l’HbA1c (< ou > 8,5%), de l’IMC (< ou > 30 kg/m²), du DFGe (30 à 59 ml, 60 à 89 ml, ≥ 90 ml/min/1,73 m²), de la région géographique (Amérique du Nord + Australie + Nouvelle-Zélande versus Amérique latine, Europe, Afrique ou Asie)
- à partir de 12 semaines après la randomisation, le traitement hypoglycémiant pouvait être ajusté afin de permettre une régulation de la glycémie, et, pendant toute l’étude, la prise en charge des autres facteurs de risque cardiovasculaires, tels que l’hypertension artérielle et la dyslipidémie, tous deux selon les guides de bonne pratique en vigueur localement, a été encouragée
- la durée médiane du traitement était de 2,6 ans, et le suivi médian était de 3,1 ans.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : critère de jugement composite combinant la mortalité cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde non fatal et l’AVC non fatal
- critères de jugement secondaires : critère de jugement primaire plus hospitalisation pour angor instable ; sécurité et effets indésirables
- analyse en intention de traiter modifiée.
Résultats
- le critère de jugement primaire est survenu chez 10,5% des patients du groupe empagliflozine versus 12,1% du groupe placebo (HR de 0,86 avec IC à 95% de 0,74 à 0,99 ; p < 0,001 pour la non-infériorité et p = 0,04 pour la supériorité) ; pas de différence statistiquement significative quant au HR entre 10 mg d’empagliflozine et le placebo et entre 25 mg d’empagliflozine et le placebo
- le critère de jugement primaire plus hospitalisation pour angor instable est survenu chez 12,8% des patients du groupe empagliflozine versus 14,3% des patients du groupe placebo (HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,78 à 1,01 ; p < 0,001 pour la non-infériorité et p = 0,08 pour la supériorité)
- versus placebo, les patients sous empagliflozine présentaient un risque moins élevé, et ce de manière statistiquement significative, en termes de mortalité cardiovasculaire (HR de 0,62 avec IC à 95% de 0,49 à 0,77), de mortalité globale (HR de 0,68 avec IC à 95% de 0,57 à 0,82) et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (HR de 0,65 avec IC à 95% de 0,50 à 0,85)
- pas de différence statistiquement significative pour la survenue de l’infarctus du myocarde et les AVC
- la différence quant à la réduction de l’HbA1c versus placebo était de -0,54 (avec IC à 95% de -0,58 à -0,49) pour 10 mg d’empagliflozine et de -0,60 (avec IC à 95% de -0,64 à -0,55) pour 25 mg d’empagliflozine après 12 semaines et était de -0,24 (avec IC à 95% de -0,40 à -0,08) pour 10 mg d’empagliflozine et de -0,36 (avec IC à 95% de -0,51 à -0,20) pour 25 mg d’empagliflozine après 206 semaines
- pas de différence entre l’empagliflozine et le placebo quant au nombre de patients développant des effets indésirables, des effets indésirables graves et des effets indésirables nécessitant l’arrêt du traitement ; infections génitales (tant chez les hommes que chez les femmes) plus fréquentes avec l’empagliflozine.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que, versus placebo, l’ajout d’empagliflozine au traitement standard des patients atteints de diabète de type 2 présentant un risque cardiovasculaire élevé entraîne une diminution du critère de jugement primaire combinant les affections cardiovasculaires et la mortalité globale.
Financement de l’étude
Boehringer Ingelheim, Eli Lilly.
Conflits d’intérêts des auteurs
L’étude a été conçue et accompagnée par une commission comptant des experts académiques et des employés de Boehringer Ingelheim.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Sur le plan méthodologique, cette étude de phase III, internationale, multicentrique, randomisée, avec groupes parallèles, en double aveugle, contrôlée, est de bonne qualité. La randomisation et la stratification pour constituer les groupes d’étude ont été réalisées au moyen d’un système informatique. Au début de l’étude, les caractéristiques démographiques et cliniques étaient bien réparties entre le groupe recevant un placebo et le groupe recevant le traitement. Il n’est nulle part mentionné explicitement comment précisément a été assuré l’insu après la randomisation : ni dans le protocole initial (6), ni dans l’annexe supplémentaire jointe à l’article. C’est l’industrie qui a initié l’étude, mais le lien avec le promoteur semble transparent. Un des promoteurs a certes analysé les données de l’étude, mais les résultats cardiovasculaires ont également fait l’objet d’une analyse statistique indépendante effectuée par des chercheurs de l’Université de Fribourg. Une analyse en intention de traiter modifiée incluant les patients qui avaient pris au moins une dose du médicament de l’étude, soit 99,2% de tous les patients, a été utilisée. Dans un premier temps, les chercheurs voulaient montrer la non-infériorité de l’empagliflozine par rapport au placebo pour atteindre le critère de jugement primaire. Ensuite, ils voulaient aussi examiner la supériorité, et ceci était clairement mentionné dans le protocole initial (6).
Interprétation des résultats
La fréquence du critère de jugement primaire (critère de jugement composite combinant la mortalité cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde non fatal et l’AVC non fatal) était réduite de 14% dans le groupe empagliflozine par rapport au groupe placebo. La non-infériorité est clairement montrée, mais, pour la supériorité, la valeur p est à la limite de la signification statistique. A proprement parler, il aurait aussi fallu une analyse en intention de traiter pour montrer la supériorité (7). De plus, ce résultat est difficilement interprétable. Au niveau du critère de jugement composite, seule la mortalité cardiovasculaire est plus faible de manière statistiquement significative dans le groupe empagliflozine ; ce n’est pas le cas pour le nombre d’infarctus du myocarde non fatals, ni pour celui des AVC non fatals. Comme on n’a pas pu constater d’effet dose-dépendant de l’empagliflozine (10 ou 25mg), nous ne pouvons pas non plus déterminer la posologie la plus adéquate. En outre, ces résultats ne sont pas extrapolables à tous les patients atteints d’un diabète de type 2 car il s’agit d’une population présentant un risque élevé et qui est déjà bien traitée avec des antihypertenseurs, des statines et de l’acide acétylsalicylique. Une réduction du risque relatif (RRR) de 32% de la mortalité générale pour l’ensemble des groupes empagliflozine versus placebo signifie, en termes de NNT, que 39 patients (41 dans le groupe 10 mg, 38 dans le groupe 25 mg) doivent être traités pendant 3 ans pour éviter 1 décès. La mortalité (cardiovasculaire et générale) commence déjà à diminuer 3 à 6 mois après le début de l’étude, ce qui est très rapide et fait supposer que l’effet ne serait pas lié à une influence sur l’athérosclérose. Le rôle de la régulation de la glycémie est également remis en cause car la diminution de l’HbA1c est seulement « modérée ». Il est probable que le mécanisme expliquant l’avantage cardiovasculaire est donc plutôt multidimensionnel. Ainsi par exemple, l’effet favorable de l’empagliflozine sur l’insuffisance cardiaque s’explique peut-être par un effet diurétique de la molécule. Cette hypothèse est étayée par la diminution statistiquement significative de 35% des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (8).
Effets indésirables
Des infections génitales sont survenues plus fréquemment dans le groupe sous empagliflozine. Quoique rare, un sepsis urinaire est survenu plus fréquemment dans le groupe traitement (0,4% versus 0,1%). Il n’y avait cependant pas de différence quant aux nombres d’infections des voies urinaires, d’infections des voies urinaires compliquées ou de pyélonéphrites. Cette étude ne montre pas qu’il y aurait lieu de craindre des lésions rénales ou une acidocétose diabétique.
Conclusion de Minerva
Cette étude clinique randomisée de bonne qualité méthodologique montre qu’après un suivi médian de 3 ans sous empagliflozine ou placebo, une réduction statistiquement significative du critère de jugement cardiovasculaire combinant la mortalité cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde non fatal et l’AVC non fatal, chez des patients atteints de diabète de type 2 présentant un risque cardiovasculaire élevé, est observée. Pour déterminer la place de cette molécule, il faudrait toutefois comparer l’empagliflozine aux autres antidiabétiques chez tous les patients atteints de diabète de type 2.
Pour la pratique
La recommandation actuelle de Domus Medica (9) préconise de commencer avec de la metformine lorsque la valeur cible pour l’HbA1c n’est pas atteinte (après une période de 3 mois) en adaptant le mode de vie (GRADE 1A). Un deuxième antidiabétique oral (sulfonylurée/glinide, inhibiteur de la DPP-4, glitazone ou inhibiteur du SGLT2) est ajouté lorsque, sous metformine en monothérapie, les valeurs cibles individuelles n’ont pas été atteintes après une période de 3 mois (GRADE 1C). Pour le choix d’une classe déterminée, nous devons tenir compte du profil du patient et de l’antidiabétique (comorbidité, considérations financières, présence de surcharge pondérale ou d’obésité, contre-indications, effets indésirables et faits probants en support) (GRADE 1C). Les sulfamidés hypoglycémiants sont bon marché, une longue et vaste expérience en a constaté les effets, mais le risque d’hypoglycémie est plus élevé, de même que le risque de prise de poids. Les inhibiteurs du SGLT2 (inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2) présentent l’avantage de ne pas provoquer d’hypoglycémie, d’entraîner une perte de poids et de diminuer la pression artérielle. Un effet indésirable important est le risque accru d’infection des organes génitaux. L’étude décrite plus haut, menée chez des patients atteints de diabète de type 2 présentant un risque cardiovasculaire élevé, montre en outre que, après une observation médiane de 3 ans, l’empagliflozine donne un meilleur résultat que le placebo sur le plan cardiovasculaire et entraîne une plus faible mortalité. On ne sait pas si ce résultat favorable peut aussi être attendu chez les patients atteints de diabète de type 2 dont le risque cardiovasculaire est moins élevé. Début 2016, on ignore quelle est la place précise de cette classe phramacothérapeutique parmi les médicaments hypoglycémiants. Par ailleurs, les inhibiteurs du SGLT2 sont onéreux (en Belgique environ 600€ / an ou 70000€ pour éviter un décès sur une période de 3 ans) par comparaison avec la metformine et les sulfamidés hypoglycémiants. On ne connaît pas non plus leur sécurité sur le long terme.
Références
- Vanhaeverbeek M. Efficacité et sécurité des gliflozines chez les patients diabétiques de type 2. MinervaF 2015;14(5):53-4.
- Vanhaeverbeek M. La dapagliflozine pour le traitement du diabète de type 2 ? Minerva bref 15/02/2016.
- Merker L, Häring HU, Christiansen AV, et al; EMPA-REG EXTEND™ MET investigators. Empagliflozin as add-on to metformin in people with Type 2 diabetes. Diabet Med 2015;32:1555-67.
- Häring HU, Merker L, Seewaldt-Becker E, et al; EMPA-REG MET Trial Investigators. Empagliflozin as add-on to metformin in patients with type 2 diabetes: a 24-week, randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Diabetes Care 2014;37:1650-9.
- Häring HU, Merker L, Seewaldt-Becker E, et al; EMPA-REG METSU Trial Investigators. Empagliflozin as add-on to metformin plus sulfonylurea in patients with type 2 diabetes: a 24-week, randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Diabetes Care 2013;36:3396-404.
- Zinman B, Inzucchi SE, Lachin JM, et al. Rationale, design, and baseline characteristics of a randomized, placebo-controlled cardiovascular outcome trial of empagliflozin (EMPA-REG OUTCOME™). Cardiovasc Diabetol 2014;13:102.
- Chevalier P. Etudes de non infériorité : intéret, limites et pièges. MinervaF 2009;8(7):100.
- Prescrire rédaction. Empagliflozine (Jardiance°). Diabète de type 2 : pas d’emballement. Rev Prescrire 2016;36:168-73.
- Koeck PH, Bastiaens H, Benhalima K, et al. Richtlijn voor goede medische praktijkvoering: Diabetes mellitus type 2. Domus Medica 2015.
Auteurs
Wens J.
Vakgroep FAMPOP (Family Medicine and Population Health), Universiteit Antwerpen
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