Revue d'Evidence-Based Medicine
Comparaison entre gliflozines, incrétinomimétiques et metformine dans la prévention des complications cardiovasculaires chez les patients diabétiques de type 2
Minerva 2022 Volume 21 Numéro 1 Page 12 - 17
Professions de santé
Médecin généraliste, Pharmacien
Contexte
Les stratégies de prescription des médicaments hypoglycémiants dans le traitement du diabète de type 2 restent complexes et controversées.
Dans un éditorial de Minerva de 2009 (1), P. Chevalier résume le problème :
- la prise en charge simultanée (« multi-cible ») des principaux facteurs de risque cardiovasculaire (y compris mais pas exclusivement la glycémie) montre une efficacité cardiovasculaire préventive, avec effet persistant
- la metformine montre un bénéfice cardiovasculaire préventif chez les patients en surpoids, après 10 ans de traitement
- le traitement hypoglycémiant intensif (sulfonylurées et insuline, HbA1c de 7% versus 7,9%) ne montre pas de bénéfice cardiovasculaire à 10 ans, mais un bénéfice à long terme est observé 10 ans après la fin de l’essai randomisé, cela malgré la perte de la différence en HbA1c entre les groupes traitement intensif et traitement habituel ; ceci montre l’intérêt d’un traitement hypoglycémiant précoce dans l’histoire du diabète de type 2
- un traitement hypoglycémiant intensif chez les patients à haut risque cardiovasculaire entraîne une surmortalité
Le consensus commun Etats-Unis / Europe de 2009 recommande donc la metformine en première ligne dans le diabète de type 2, au diagnostic, si la prise en charge classique (perte de poids …) ne suffit pas (2).
Dès cette période, les pouvoirs régulateurs ont recommandé, pour tout agent hypoglycémiant, une étude de sûreté cardiovasculaire (Cardiovascular outcomes trial – CVOT), incluant un nombre significatif de patients à haut risque cardiovasculaire (donc avec habituellement une longue évolution de la maladie) ; cette recommandation est maintenue dans la version la plus récente (3).
Deux classes d’hypoglycémiants, les analogues du GLP-1 (incrétinomimétiques) et les inhibiteurs du SGLT-2 (gliflozines) ont ainsi été testés systématiquement dans des essais de phase 3 type CVOT. Certaines de ces études ont montré, initialement à la grande surprise des investigateurs, un effet bénéfique sur la fréquence observée des accidents cardiovasculaires.
Compte tenu des données les plus récentes, certains auteurs ont suggéré que les médicaments ayant un bénéfice CV prouvé devraient désormais être considérés comme préférables à la metformine. Dans les faits, des directives récentes (4) recommandent ces nouveaux médicaments chez les patients atteints de diabète de type 2 et de maladie CV ou à haut risque d'événement CV.
Ces médicaments sont maintenant fréquemment utilisés avec la metformine car les preuves ont montré que cette combinaison est efficace. L’hypothèse des auteurs de la synthèse méthodique avec méta-analyses présentée ici était qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'inclure la metformine pour obtenir des avantages sur les résultats CV avec les incrétinomimétiques et les gliflozines.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyse
Sources consultées
- les bases de données Embase, Medline et Cochrane, complétées par le registre Clinical Trials.gov et les bibliographies des articles sélectionnés ont été consultées.
Etudes sélectionnées
- les essais contrôlés randomisés permettant d’isoler un sous-groupe de patients où les gliflozines ou les incrétinomimétiques sont administrés sans metformine (bras « intervention ») ; le groupe « contrôle » reçoit de la metformine (et éventuellement d’autres hypoglycémiants) et un placebo
- les auteurs ont retenu 15 publications développées au départ de 5 RCTs, 3 concernant les incrétinomimétiques et 2 les gliflozines
- ont été inclus des patients avec diabète de type 2 ayant subi un accident cardiovasculaire (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, décompensation cardiaque, angor, mortalité cardiovasculaire ou toute cause) ou un composite (MACE : major adverse cardiovascular events) ou présentant au moins un facteurs de risque cardiovasculaire.
Population étudiée
- 50725 patients ont été inclus ; âge moyen de 64 ans ; plus de 50% avaient depuis 10 ans au moins un diabète ; de 64 à 71% étaient des hommes
- 65% ont présenté un accident cardiovasculaire et 99,9% d’entre eux présentaient au moins un facteur de risque cardiovasculaire.
Mesure des résultats
- les résultats sont présentés en HR, avec IC à 95%, utilisant un modèle à effet aléatoire ; l’hétérogénéité est testée par le I²
- une analyse post-hoc compare un sous-groupe « intervention » avec metformine au sous-groupe « placebo » avec metformine, pour les inhibiteurs du SGLT2 et pour les analogues du GLP-1.
Résultats
- le suivi varie de 1,6 ans à 7 ans
- les résultats montrent que chez les patients sans metformine au départ, les analogues du GLP-1 par rapport au placebo ont réduit significativement le risque de MACE de 20% (HR de 0,80 avec IC à 95% de 0,71 à 0,89 ; I2 = 0% ; 3RCTs, N = 6951, test pour les différences entre sous-groupes : p = 0,70 ; niveau de certitude modéré) et que les gliflozines ont également réduit de manière significative le risque de MACE de 32% (HR de 0,68 avec IC à 95% de 0,57 à 0,81 ; I2 = 0% ; 2RCTs, N = 5141, test pour les différences entre sous-groupes : p = 0,51; niveau de certitude bas)
- pour faciliter la lecture, les résultats méta-analysés, y compris l’analyse post hoc, sont présentés en 2 tableaux :
Inhibiteurs du SGLT2 sans metformine par rapport au placebo pour la prévention des événements cardiovasculaires.
Inhibiteurs du SGLT2 |
HR |
IC à 95% |
I² |
n |
Empagliflozine |
0,72 |
0,56 à 0,93 |
|
1827 |
Canagliflozine |
0,64 |
0,50 à 0,82 |
|
2327 |
Méta-analyse |
0,68 |
0,57 à 0,81 |
0% |
4154 |
Analyse post hoc (association metformine et Inhibiteurs du SGLT2) |
0,90 |
0,79 à 1,03 |
NP |
|
Analogues du GLP-1 |
HR |
IC à 95% |
I² |
n |
Liraglutide |
0,79 |
0,68 à 0,91 |
|
2195 |
Exenatide |
0,84 |
0,69 à 1,03 |
|
2261 |
Albiglutide |
0,79 |
0,62 à 1,01 |
|
2495 |
Méta-analyse |
0,79 |
0,70 à 0,89 |
0% |
6951 |
Analyse post hoc (association metformine et analogues du GLP-1) |
0,88 |
0,80 à 0,96 |
70% |
|
HR = hazard ratio ; n = nombre de participants ; NP = non précisé
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les inhibiteurs du SGLT2 et les analogues du GLP-1 administrés sans metformine au départ peuvent réduire le risque d’évènement cardiovasculaire majeur par rapport au placebo chez les patients diabétiques de type 2 à risque accru d'événements cardiovasculaires. Cependant, ils reconnaissent qu’il faudrait des études bien faites démontrant l’efficacité de ces médicaments sur des effecteurs cardiovasculaires précis.
Financement de l’étude
Spanish Society of Cardiology.
Conflits d’intérêts des auteurs
Aucun conflit déclaré.
Discussion
Evaluation de la méthodologie (validité interne)
Toutes les RCTs incluses sont financés par l’industrie pharmaceutique. Les auteurs ont examiné systématiquement le risque de biais, selon la méthodologie Cochrane. Seuls les résultats MACE ont été méta-analysés. La certitude liée aux faits probants est faible en raison du risque de biais des études, de l'imprécision des résultats et du caractère indirect.
Par le critère de sélection des études, il existe un très important biais, limitant les données analysées par rapport aux données existantes potentielles. Les études sélectionnées sont toutes de type CVOT (cf introduction), avec donc des populations ayant une longue durée d’évolution du diabète de type 2, à très haut risque CV ou avec un dommage d’organe déjà établi.
Ceci pose un problème majeur pour la légitimité conceptuelle de la solution proposée par cette méta-analyse pour tester la comparaison metformine versus inhibiteurs de la SGLT2 ou analogues du GLP-1 : les preuves d’une action cardiovasculaire préventive de la metformine (et des sulfamidés et de l’insuline) n’existent que si la metformine (et les autres hypoglycémiants) sont administrés tôt dans l’histoire du diabète, et cet effet n’apparaît que très tardivement (« legacy effect »), sauf pour un sous- groupe de patients obèses, où l’effet apparaît plus tôt (5,6).
De plus, si les études sélectionnées sont bien toutes randomisées, l’extraction de sous-groupes avec ou sans metformine à la base invalide la randomisation, puisqu’il n’y a eu pour aucune de ces études une stratification sur la metformine et que la prescription de metformine dépend de critères cliniques individuels, dont la fonction rénale, souvent altérée chez des patients en majorité athéromateux sévères. Pour prouver ce biais, il faut un accès aux données individuelles, ce qui n’est pas le cas pour la présente méta-analyse. Une méta-analyse de même construction mais sur données individuelles vient d’être publiée : elle confirme les profondes différences entre les sous-groupes avec et sans metformine (durée du diabète, traitement à l’insuline, fonction rénale …) (7) : les sous-groupes sans metformine sont significativement plus malades.
Evaluation des résultats de l’étude (validité externe)
Ce biais systématique doit être intégré dans la crédibilité et l’interprétation des résultats observés, tenant compte des plus récentes avancées sur le mode d’action des molécules étudiées.
- Gliflozines :
Minerva a discuté une synthèse méthodique avec méta-analyse (2019) qui montrait que chez des patients présentant un diabète de type 2, les gliflozines (inhibiteurs de la SGLT2) ont des avantages importants sur la réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, indépendamment de la maladie cardiovasculaire athéroscléreuse existante ou des antécédents d'insuffisance cardiaque (8,9).
Les gliflozines sont des diurétiques « hybrides », avec à la fois un mécanisme osmotique (via un effet glycosurique, origine d’un effet hypoglycémiant) et un mécanisme natriurétique ; ce sont ces propriétés diurétiques qui expliquent avec le plus haut degré de vraisemblance ce qui est observé dans toutes les études de type gliflozines /CVOT, avec un probable effet de classe, à savoir un gain sur la prévention ou le traitement de l’insuffisance cardiaque, indépendant de la glycémie (10-12). Cet effet aura une probabilité plus grande d’être observé suite au biais systématique noté plus haut (13). L’analyse post hoc est en faveur de cette interprétation ; cette méta-analyse n’apporte donc pas de nouvelle information pour les gliflozines.
- Incrétinomimétiques :
Minerva a également a souligné en 2019 (14-16) les limites de notre connaissance sur les analogues du GLP-1 ; si une étude portant sur le liraglutide, dont le principal critère de jugement était un critère de jugement cardiovasculaire composite, a bien montré un effet favorable versus placebo sur ce critère, il n’a pas été possible de tirer de conclusion définitive concernant l’efficacité réelle de cardio-protection en raison d’un déséquilibre entre le groupe intervention et le groupe placebo, déséquilibre induit par le protocole. Il est en effet apparu que le groupe placebo utilisait significativement plus de médicaments hypoglycémiants et que les cas sévères rapportés d’hypoglycémie y étaient plus nombreux. Un gain statistiquement significatif sur le plan cardiovasculaire avec l’exénatide ou le lixisénatide versus placebo chez des patients ayant le diabète de type 2 et d’importants antécédents cardiovasculaires n’a pu être montré.
Les résultats observés pour le sémaglutide (17) doivent être interprétés - comme pour le liraglutide - avec beaucoup de précautions, car la prescription d’hypoglycémiants est doublée chez les patients-contrôles au cours de l’étude.
Les analogues du GLP-1 miment l’action du GLP-1, hormone peptidique intestinale, stimulant la sécrétion d’insuline (comme les sulfamidés), tout en diminuant la vidange gastrique et l’appétit (18). L’effet supposé de prévention cardiovasculaire dans les études CVOT significatives en supériorité semble en réalité lié à une augmentation des accidents cardiaques dans le bras –contrôle, accidents attribuables à des hypoglycémies, elles-mêmes liées à une augmentation significative de prescription de sulfamidés et d’insuline dans le bras-contrôle. Cette hypothèse, déjà reprise par Minerva (14-16) est explicable d’une manière générale dans le diabète de type 2 par un mécanisme d’arythmies (19) et a fait l’objet de travaux complémentaires dans l’étude LEADER (20,21).
En isolant dans la présente méta-analyse des patients plus sévèrement touchés en moyenne, la probabilité d’observer un pseudo-effet préventif des analogues du GLP-1 est artificiellement augmenté (13), ce que semble à nouveau confirmer l’analyse post hoc des auteurs ; cette méta-analyse n’apporte pas de nouvelle information pour les incrétinomimétiques.
Que disent les guides de pratique clinique ?
En première ligne, la recommandation pour l’approche médicamenteuse initiale pour le contrôle de l’hyperglycémie, en cas d’échec des mesures hygiéno-diététiques, du diabète de type 2 reste la metformine, dans une approche globale visant à surveiller et contrôler tous les facteurs de risque cardiovasculaires, outre l’hyperglycémie : le poids, le tabagisme, l’hypertension, la dyslipidémie. Les consensus internationaux les plus récents - EASD/ADA-2019 (4) proposent certaines molécules gliflozines ou agonistes des récepteurs du GLP-1 en association précoce avec la metformine. Pour Minerva, dans le cadre du diabète de type 2, elles ne doivent être envisagées que dans les conditions cliniques où leur utilité a été démontrée : la décompensation cardiaque pour les premières, chez les patients où l’hypoglycémie est un risque majeur pour les secondes. A noter que pour la revue Prescrire, la balance bénéfice-risques reste défavorable pour les gliflozines dans leur action hypoglycémiante (22).
Le bénéfice à long terme d’un traitement hypoglycémiant efficace dès le début de la maladie, maintenu aussi longtemps que possible, ne saurait être assez souligné (23,24).
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que les inhibiteurs du SGLT2 et les administrés sans metformine au départ peuvent réduire le risque d’évènement cardiovasculaire majeur par rapport au placebo chez les patients diabétiques de type 2 à risque accru d'événements cardiovasculaires. En entreprenant cette méta-analyse, les auteurs mettent au même niveau conceptuel 3 approches médicamenteuses du traitement de l’hyperglycémie dans la prévention des complications cardiovasculaires du diabète de type 2 : la metformine, les inhibiteurs du SGLT2 et les analogues du GLP-1. L’analyse détaillée de cette méta-analyse, comparée aux preuves de qualité de la littérature, ne permet pas de soutenir cette idée. Seules des études construites pour répondre à cette conceptualisation (inclusion de patients au début de leur maladie, suivi prolongé, comparaisons directes) pourraient apporter un niveau de preuve suffisant.
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Auteurs
Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
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