Analyse
Dépistage du diabète chez les personnes à haut risque : pas d’efficacité sur la mortalité à 10 ans
15 12 2013
Professions de santé
Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone
Avant de pouvoir recommander le dépistage du diabète chez les personnes à haut risque, il faut prouver que le dépistage et le traitement précoce sont plus avantageux pour la santé qu’un traitement instauré après un diagnostic clinique. La revue Minerva (1) a récemment commenté l’étude ADDITION-Europe (2). Cette étude a comparé un traitement intensif avec une prise en charge habituelle des patients atteints d’un diabète de type 2 découvert par dépistage. Elle n’a pas montré de différence significative pour les critères de jugement cardiovasculaires et elle ne permet pas de tirer de conclusion concernant l’utilité du dépistage lui-même.
Le bras britannique de l’étude ADDITION-Europe (3) a randomisé 33 cabinets de médecins généralistes en 28 cabinets de dépistage et 5 cabinets témoins. Dans tous les cabinets, pour tous les patients âgés de 40 à 69 ans, le risque de développer un diabète a été estimé à partir des données figurant dans les dossiers médicaux (à savoir l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle (IMC), la prise de corticostéroïdes ou d’antihypertenseurs). Dans les cabinets de dépistage, tous les patients ayant un score de risque supérieur à un seuil donné ont été invités à se soumettre à une mesure de la glycémie capillaire par piqûre au doigt, suivie au besoin de la mesure de la glycémie à jeûn, de la mesure du taux d’HbA1c et d’un test oral de tolérance au glucose (4). Les patients présentant un diabète de type 2 ont ensuite été randomisés soit dans un groupe recevant les soins habituels pour le diabète soit dans un groupe recevant des soins intensifs multifactoriels. Dans les cabinets témoins, aucune information n’était donnée sur les scores de risque, aucun dépistage n’était organisé, et les soins proposés étaient les soins habituels. Selon le calcul de risque, 16 047 personnes des cabinets de dépistage et 4 137 personnes des cabinets témoins entraient en ligne de compte pour le dépistage. 63,9 % étaient des hommes ; l’âge moyen était de 58 ans ; l’IMC moyen était de 30,6 et environ 45 % étaient sous antihypertenseur. Après l’invitation au dépistage, 11 737 personnes (73 %) ont fait partie du groupe de dépistage par mesure de la glycémie capillaire par piqûre au doigt. Un diabète a été détecté chez 466 d’entre elles (soit 3 %). Après un suivi de 9,6 ans en moyenne, aucune différence n’a été constatée entre les cabinets de dépistage et les cabinets témoins quant à la mortalité totale (HR de 1,06 avec IC à 95 % de 0,90 à 1,25 et p = 0,46), aux décès cardiovasculaires (HR de 1,02 avec IC à 95 % de 0,75 à 1,38) et aux décès en lien avec le diabète (HR de 1,26 avec IC à 95 % de 0,75 à 2,10). Cette étude randomisée est la première à avoir examiné l’effet du dépistage du diabète. Elle, a été bien élaborée et a été menée correctement. Elle présente le grand mérite de s’être déroulée en médecine générale.
Pourquoi aucun effet positif du dépistage n’a-t-il été constaté ? Peut-être est-ce la conséquence de la contamination par un dépistage opportuniste dans le groupe témoin. Nous ne disposons pas des chiffres provenant des cabinets témoins, mais les auteurs mentionnent des arguments invitant à penser que le dépistage opportuniste du diabète en Grande-Bretagne est plutôt limité. Peut-être est-ce dû à une mauvaise observance dans le groupe de dépistage : 27 % des personnes invitées ne se sont finalement pas soumises au dépistage. Ces personnes étaient d’un degré plus important d’obésité que les autres et prenaient moins d’antihypertenseurs ; leur mortalité totale a été significativement plus élevée (HR de 2,01 avec IC à 95 % de 1,74 à 2,32). Le groupe pour lequel les avantages pour la santé étaient éventuellement plus importants se soumettait donc moins au dépistage. Ce phénomène est connu sous le nom de « healthy screenee bias » (les volontaires pour le dépistage sont en meilleure santé que les autres) (5). La contamination et le « healthy screenee bias » pourraient affecter l’avantage maximum théorique que le dépistage peut apporter. Cette étude donne néanmoins une estimation réaliste de l’effet réel qu’aurait l’offre du dépistage dans la pratique. Une autre suggestion des auteurs serait que l’approche des facteurs de risque cardiovasculaires s’est considérablement améliorée en Grande-Bretagne, avec des décès cardiovasculaires moins nombreux et des effets du dépistage et de l’approche intensive précoce en cas de diabète qui sont donc moins visibles. Aucune donnée du groupe témoin n’est cependant disponible pour vérifier cette hypothèse. Même si elle se vérifiait, cela signifierait que ce sont un mode de vie plus sain et la prévention cardiovasculaire par des médicaments (antihypertenseurs, statines) qui font la différence et non pas tellement le dépistage des troubles du métabolisme glucidique ainsi que le meilleur contrôle de la glycémie.
Conclusion
Cette étude ne fournit pas de preuve que le dépistage du diabète et le traitement précoce des personnes présentant un score de risque élevé apportent un avantage pour la santé.
Références
- Piessens V. Efficacité d’un traitement multifactoriel intensif en termes d’événements cardiovasculaires chez des patients avec diabète de type 2 découvert via un dépistage. MinervaF 2012;11(7):86-7.
- Griffin SJ, Borch-Johnsen K, Davies MJ, et al. Effect of early intensive multifactorial therapy on 5-year cardiovascular outcomes in individuals with type 2 diabetes detected by screening (ADDITION-Europe): a cluster-randomised trial. Lancet 2011;378:156-67. Erratum in: Lancet 2012;379:804.
- Simmons RK, Echouffo-Tcheugui JB, Sharp SJ, et al. Screening for type 2 diabetes and population mortality over 10 years (ADDITION-Cambridge): a cluster-randomised trial. Lancet 2012;380:1741-8.
- Echouffo-Tcheugui JB, Simmons RK, Williams KM et al. The ADDITION-Cambridge trial protocol: a cluster – randomised controlled trial of screening for type 2 diabetes and intensive treatment for screen-detected patients. BMC Public Health 2009,9:136.
- Raffle AE, Muir Gray JA. Screening: evidence and practice. Oxford University Press, Oxford, 2007.
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