Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité d’un traitement multifactoriel intensif en termes d’événements cardiovasculaires chez des patients avec diabète de type 2 découvert via un dépistage



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 7 Page 86 - 87

Professions de santé


Analyse de
Griffin SJ, Borch-Johnsen K, Davies MJ, et al. Effect of early intensive multifactorial therapy on 5-year cardiovascular outcomes in individuals with type 2 diabetes detected by screening (ADDITION-Europe): a cluster-randomised trial. Lancet 2011;378:156-67. Erratum in: Lancet. 2012;379:804.


Question clinique
Après 5 ans, quelle est l’efficacité chez des patients âgés de 40 à 69 ans et présentant un diabète de type 2 découvert lors d’un dépistage, d’un traitement multifactoriel intensif précoce versus soins de référence, en termes de survenue d’événements cardiovasculaires ?


Conclusion
Cette RCT avec randomisation en grappes conclut qu’après 5 ans, un traitement précoce, intensif, de patients âgés de 40 à 69 ans avec diabète de type 2 découvert lors d’un dépistage, est associé à une faible diminution non significative de l’incidence d’événements cardiovasculaires et de décès. Cette étude ne permet pas de conclusion quant à l’intérêt d’un dépistage du diabète de type 2.


Texte publié sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Les patients présentant un diabète de type 2 ont un risque accru de présenter des complications cardiovasculaires et de décès. Une prise en charge intensive ciblant plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire peut diminuer ce risque (1). Le diabète de type 2 présente cependant une phase asymptomatique prolongée avant son diagnostic ce qui explique une initiation souvent tardive d’un traitement. Nous ne disposons pas de preuves suffisantes de l’efficacité d’un traitement multifactoriel intensif initié lors du dépistage d’un diabète de type 2.

 

Résumé

Population étudiée

  • 3 057 patients âgés en moyenne de 60,2 (ET 6,8) ans, 58% d’hommes, recrutés dans 343 pratiques de médecine générale aux Pays-Bas, en Angleterre (Cambridge et Leicester) et au Danemark, présentant un diabète de type 2 (selon les critères de l’OMS) mis en évidence lors d’un dépistage
  • critères d’exclusion : diabète connu, espérance de vie < 12 mois, troubles psychiques ne permettant pas un consentement éclairé, grossesse, allaitement maternel, impossibilité de quitter le domicile.

Protocole d’étude

  • étude randomisée en grappes, contrôlée, pragmatique
  • dépistage par étapes : pour tous les patients âgés de 40 à 69 ans (de 50 à 69 ans aux Pays-Bas) enregistrés, calcul d’un risque de diabète sur base d’un questionnaire (Pays-Bas et Danemark) ou des données du Dossier Médical Electronique (DME, à Cambridge) ; au-delà d’un certain seuil pour ce score, mesure de la glycémie et tests de confirmation nécessaires (HbA1c et TOTG) ; pour le site de Leicester, TOTG pour tous les patients sans calcul préalable de risque
  • intervention : traitement intensif du diabète, titré en ciblant une HbA1c < 7% (à partir de > 6,5%), comportant régime, ajout de metformine, d’autres antidiabétiques oraux (ADO) et d’insuline si nécessaire ; traitement de l’HTA en ciblant des chiffres ≤ 135/85 mm Hg (à partir de ≥120/80 mm Hg avec antécédent ou facteur de risque cardiovasculaire) par IEC et autres antihypertenseurs désignés ; traitement d’une hypercholestérolémie en ciblant un cholestérol total (CT) <194 mg/dl (<174 mg/dl chez les patients ayant présenté une coronaropathie ischémique) avec (à partir d’un CT ≥ 132 mg/dl) statine et fibrate ; avec aspirine 75-80 mg/j sauf contre indication
  • contrôle : soins de référence pour le diabète sucré dans la pratique concernée
  • pour les pratiques avec intervention intensive : formation et aide complémentaires, faibles incitants financiers
  • suivi de 5 ans.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : survenue d’un premier événement cardiovasculaire (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, AVC non fatal, revascularisation ou amputation non traumatique)
  • critères secondaires : critères séparés du critère primaire composite et décès de toute cause
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter
  • analyse en régression de Cox par centre; méta-analyse de tous les résultats en modèle d’effets fixes, avec test I² de Higgins calcule le pourcentage de variation entre les études lié à une hétérogénéité et non au hasard, donnée importante lors de la sommation des différents résultats. Ce test statistique évalue la non concordance (‘inconsistency’) dans les résultats des études. Au contraire du Test Q, le test I² dépend du nombre d’études disponibles. Un résultat de test 0 à 40% = l’hétérogénéité pourrait être peu importante ; 30 à 60% = l’hétérogénéité peut être modérée ; 50 à 90% = l’hétérogénéité peut être substantielle ; 75 à 100% = l’hétérogénéité est considérable.">test I² de Higgins.

 

Résultats

  • critère primaire : survenue d’un premier incident cardiovasculaire : pas de différence statistiquement significative entre le groupe traitement intensif et le groupe contrôle : 7,2% versus 8,5% ; rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR de 0,83 avec IC à 95% de 0,65 à 1,05 ; p=0,12 ; I² = 0%
  • critères secondaires : pas de différence significative entre les 2 groupes pour les décès cardiovasculaires (1,5% vs 1,6%), les infarctus du myocarde (1,7% vs 2,3%), les AVC (1,3% vs 1,4%), les revascularisations (2,6% vs 3,2%) et les décès de toute cause (6,2% vs 6,7%).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une intervention basée sur un traitement précoce, intensif, des patients présentant un diabète de type 2 est associé à une légère diminution, non significative, de l’incidence d’événements cardiovasculaires et de décès.

Financement

Plusieurs instituts nationaux et institutions de recherche et de santé ; différentes firmes pharmaceutiques.

Conflits d’intérêt

7 auteurs déclarent avoir reçu des honoraires et autres rémunérations de différentes firmes pour divers motifs; 5 auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude n’inclut pas de groupe contrôle de patients avec diabète sur diagnostic clinique.

Pour ce motif, cette recherche ne permet pas de répondre si l’intérêt d’un traitement intensif, multifactoriel, chez des patients avec diagnostic de diabète suite à la présence de signes cliniques est moindre en termes de critères cardiovasculaires par rapport à ce traitement chez des patients chez lesquels le diagnostic est établi via un dépistage.

Etant donné la nature de l’intervention, la randomisation a été effectuée entre les pratiques de médecine générale. L’effet de grappes a été pris en compte lors du calcul de la puissance, et le nombre de patients inclus a été suffisant pour pouvoir montrer une différence pour le critère primaire entre les 2 bras. Dans chaque centre, la séquence d’attribution a été respectée. Durant la durée entière de l’étude, les patients ont ignoré leur groupe d’attribution. Les médecins et les infirmières ne pouvaient cependant restés en insu. Les critères cardiovasculaires ont fait l’objet d’une adjudication centrale effectuée en aveugle par 2 chercheurs. La récolte des résultats pour les critères intermédiaires (tels que le recours à des médicaments) a été faite également en insu. Le critère de jugement primaire est composite : plus d’un tiers des événements sont des revascularisations, critère clinique pertinent mais dépendant du soignant. Les auteurs ont tenu compte lors de l’analyse des résultats de l’hétérogénéité existant entre les centres, e.a. suite à des procédés de dépistage différents.

 

Interprétation des résultats

Cette étude ne montre aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes ni pour le critère primaire ni pour les critères secondaires, avec une tendance à une moindre survenue d’événements cardiovasculaires dans le groupe traitement intensif. En ne prenant en compte que les événements cliniques autres que les revascularisations, la différence devient négligeable.

La période de suivi de 5 ans est sans doute trop brève pour montrer une différence. Les auteurs expliquent également cette efficacité limitée par le fait qu’un traitement intensif est également pratiqué dans le groupe contrôle. En effet, l’analyse du traitement médicamenteux et d’autres paramètres intermédiaires montre un renforcement et une amélioration en cours d’étude (du départ au terme des 5 ans de suivi), un peu plus importants pour le groupe intervention. Les soins de référence étaient probablement proches du maximum pouvant être atteint, dans ce contexte d’étude. Cette remarque est à nuancer, le groupe contrôle se situant bien dans un contexte d’étude, reflétant ainsi probablement insuffisamment la réalité dans ce niveau de soins.

Il n’y a pas de différence entre les 2 groupes en termes de mortalité globale. Les auteurs précisent en complément que la mortalité est à peu près semblable à celle de la population ne présentant pas de diabète, grâce aux traitements en fait intensifs dans les 2 bras d’étude. Cette conclusion est cependant impropre en l’absence de groupe contrôle sans dépistage ni traitement précoce. Il est plus probable que dans les premières années d’un développement asymptomatique d’un diabète il n’y ait aucune différence entre ces sujets et des sujets non diabétiques. Cette étude ne permet pas de préciser à partir de quel moment une différence peut apparaître ni à partir de quel moment l’initiation d’un traitement est instauré suffisamment tôt que pour obtenir une différence. Le taux moyen d’HbA1c est relativement élevé dans cette population dépistée ce qui peut indiquer une évolution déjà longue du diabète.

Dans les 2 bras d’étude, les patients prennent en moyenne 5 médicaments après 5 ans de suivi, ce qui pose la question d’un impact important de médicalisation de l’intervention. L’observance thérapeutique chez ces patients « sans plainte » n’est pas analysée ; les effets indésirables ne sont également pas mentionnés. Un relevé des effets indésirables et l’effet en termes de qualité de vie seraient en cours d’investigation. Cette étude n’accorde quasi aucune attention aux interventions non médicamenteuses. Nous disposons pourtant d’arguments solides en faveur, par exemple, de l’intérêt de l’exercice physique et d’un régime méditerranéen en termes de meilleur contrôle glycémique et d’amélioration des paramètres cardiovasculaires (2-5) mais aussi en termes de moindres morbidité et mortalité (6,7). Les preuves de l’intérêt d’un traitement anticholestérolémique agressif et de l’administration d’aspirine à tous les patients souffrant de diabète sont en outre faibles (8-10).

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT avec randomisation en grappes conclut qu’après 5 ans, un traitement précoce, intensif, de patients âgés de 40 à 69 ans avec diabète de type 2 découvert lors d’un dépistage, est associé à une faible diminution non significative de l’incidence d’événements cardiovasculaires et de décès. Cette étude ne permet pas de conclusion quant à l’intérêt d’un dépistage du diabète de type 2.

 

Pour la pratique

La RBP belge concernant le diabète de type 2 (11) recommande un dépistage ciblé, opportuniste chez les sujets présentant un risque clairement accru de diabète de type 2 (dépistage de cas), de préférence dans le cadre d’une stratégie préventive cardiovasculaire globale chez les personnes âgées d’au moins 45 ans. En raison de l’absence d’un groupe contrôle sans dépistage, l’étude analysée ici n’apporte que peu d’éléments pour compléter la RBP pour ce qui concerne le dépistage du diabète de type 2. Il n’existe pas, à ce jour, d’argument pour un dépistage systématique du diabète. Cette étude n’apporte pas de preuve de l’efficacité d’un traitement médicamenteux intensif précoce. Une promotion généralisée d’une nourriture saine et d’exercices physiques suffisants reste la stratégie la mieux étayée pour le maintien d’une santé cardiovasculaire optimale.

 

 

Références

  1. Sunaert P, Feyen L. L'étude Steno-2: prise en charge multifactorielle du diabète de type 2. MinervaF 2004;3(2):29-30.
  2. Thomas D, Elliott EJ, Naughton GA. Exercise for type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  3. Esposito K, Maiorino MI, Ceriello A, Giugliano D. Prevention and control of type 2 diabetes by Mediterranean diet: a systematic review. Diabetes Res Clin Pract 2010;89:97-102.
  4. De Cort P. Efficacité à long terme de mesures d’hygiène de vie en cas d’intolérance glucidique. Minerva F 2010;9(4):46-7.
  5. Wens J. Efficacité de la metformine et des interventions concernant le style de vie sur le «syndrome métabolique». MinervaF 2006;5(3):38-41.
  6. Sofi F, Cesari F, Abbate R, et al. Adherence to Mediterranean diet and health status: meta-analysis. BMJ 2008;337:a1344.
  7. Hu FB, Stampfer MJ, Solomon C, et al. Physical activity and risk for cardiovascular events in diabetic women. Ann Intern Med 2001;134:96-105.
  8. Sunaert P, Christiaens T, Feyen L. Des statines pour tous les patients diabétiques? MinervaF 2005;4(7):100-2.
  9. Chevalier P. Statines et diabète : du neuf ? MinervaF 2008;7(4):58-9.
  10. Chevalier P. Aspirine et diabète : pas en prévention primaire. MinervaF 2009;8(5):67.
  11. Wens J, Sunaert P, Nobels F, et al. Diabète sucré de type 2. Société Scientifique de Médecine Générale 2007.
Efficacité d’un traitement multifactoriel intensif en termes d’événements cardiovasculaires chez des patients avec diabète de type 2 découvert via un dépistage



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