Analyse
Oesophage de Barrett : prescrire ou non un IPP ?
15 11 2014
Professions de santé
Nous avons déjà discuté dans la revue Minerva en 2012 (1) du risque de dégénérescence maligne en cas d’oesophage de Barrett. Ce risque semble être plus faible que généralement admis. D’autre part, si une forte majorité (92%) de cancers de l’oesophage paraît ne pas survenir sur fond de muqueuse oesophagienne de Barrett, la présence d’une muqueuse de Barrett reste un facteur de risque de dégénérescence maligne (2). Sa présence, certainement en cas de dysplasie de bas grade, conduit à assurer un suivi endoscopique avec biopsies (3,4) mais des questions demeurent quant au rapport coût-efficacité de ce choix (5-7).
Singh et coll. soulignent dans une récente méta-analyse (8) que la prévention de la dégénérescence avec des inhibiteurs de la sécrétion gastrique pourrait être une alternative ou un ajout tentant(e) au suivi endoscopique. Aucune RCT ne montre cependant que l’utilisation d’inhibiteurs de la sécrétion gastrique diminue l’incidence du cancer de l’oesophage chez des patients avec muqueuse de Barrett (4,9,10). Singh et coll. ont également cherché à évaluer si les inhibiteurs de la sécrétion gastrique avaient a contrario le potentiel d’augmenter le risque de dégénérescence, sur base de l’hypergastrinémie provoquée par la freination de l’acidité gastrique.
Leur méta-analyse a isolé 824 “études” (en fait publications diverses : synthèses, éditoriaux, études sans information sur le cancer de l’oesophage où dans lesquelles tous les patients étaient sous IPP) parmi lesquelles ils ont sélectionné 7 études (5 de cohorte, 2 cas-contrôle, aucune RCT) évaluant l’effet d’un traitement par IPP/antiH2 sur la survenue d’une dysplasie de haut grade ou d’un adénocarcinome de l’oesophage. La méta-analyse pour ce critère montre un OR de 0,29 avec un IC à 95% de 0,12 à 0,79 pour les IPP et/ou antiH2 versus non utilisation, soit une réduction du risque relatif (RRR) de dégénérescence de 71% avec une hétérogénéité substantielle entre les études (I2 = 81%). Plus de 80% des patients des études reprises dans cette méta-analyse prenaient un IPP/antiH2 à l’inclusion et encore davantage en cours d’étude. Dans 3 des 7 études, les auteurs ont tenu compte des plaintes de reflux et/ou d’oesophagite et, en cette présence, l’OR est de 0,15 avec un IC à 95% de 0,04 à 0,55 en faveur des inhibiteurs de la sécrétion gastrique. Dans 3 des 7 études les auteurs ont tenu compte de la durée du traitement : un traitement de longue durée (plus de 2 ans) est associé à une tendance à une moindre survenue de dégénérescence (OR de 0,45 avec IC à 95% de 0,19 à 1,06) contrairement à un traitement plus court (OR de 1,09 avec IC à 95% de 0,47 à 2,56) ou même à une absence de prévention.
Les forces de cette méta-analyse sont la sélection d’études avec une définition correcte de la muqueuse de Barrett et la mise en évidence de résultats montrant une relation entre durée de l’inhibition de la sécrétion gastrique et une réduction du risque de dégénérescence maligne. Ses limites sont, selon les auteurs : seules des études d’observation ont pu être sélectionnées, risque de biais de publication, 3 études sur 7 concernant des militaires et vétérans (surtout masculins), données insuffisantes quant à l’observance, les doses et le type d’IPP, présence d’une érosion oesophagienne (facteur de risque indépendant d’adénocarcinome de l’oesophage) comme facteur confondant possible.
L’hypothèse initiale d’une augmentation de risque de dégénérescence sous inhibiteur de la sécrétion gastrique est donc non confirmée. Nous manquons de preuves d’une efficacité préventive issue d’une RCT, notamment pour la posologie (la plus élevée possible ?) et le choix de l’IPP en prévention du cancer de l’oesophage chez des patients présentant un oesophage de Barrett (4).
Conclusion
Cette méta-analyse, sur base d’études d’observation, infirme l’hypothèse initiale d’une augmentation du risque de dégénérescence sous inhibiteur de la sécrétion gastrique. Par contre, elle montre un bénéfice de l’administration d’un inhibiteur de la sécrétion gastrique chez des patients porteurs d’un oesophage de Barrett en termes de prévention d’une dégénérescence maligne, malheureusement basé uniquement sur des études d’observation. Dans l’attente d’une confirmation de ces résultats par une RCT, ces médicaments ne devraient être utilisés, chez ces patients, que dans les indications les plus probantes (plaintes de reflux, problèmes liés à un ulcère).
Références
- Van de Casteele M. Cancer de l’œsophage et muqueuse de Barrett : 4 à 5 fois moins fréquent que prédit. Minerva online 28/05/2012.
- Odze RD. Barrett esophagus: histology and pathology for the clinician. Nat Rev Gastroenterol Hepatol 2009;6:478-90.
- Spechler SJ. Barrett esophagus and risk of esophageal cancer: a clinical review. JAMA 2013;310:627-36.
- American Gastroenterological Association. American Gastroenterological Association Medical position statement on the management of Barrett’s esophagus. Gastroenterology 2011;140:1084-91.
- Hvid-Jensen F, Pedersen L, Drewes AM, et al. Incidence of adenocarcinoma among patients with Barrett’s esophagus. N Engl J Med 2011;365:1375-83.
- Garside R, Pitt M, Somerville M, et al. Surveillance of Barrett’s oesophagus: exploring the uncertainty through systematic review, expert workshop and economic modelling. Health Technoly Assess 2006;10:1-142.
- Hinojosa-Lindsey M, Arney J, Heberlig S, et al. Patients’ intuitive judgments about surveillance endoscopy in Barrett’s esophagus: a review and application to models of decision-making. Dis Esophagus 2013;26:682-9.
- Singh, Garg SK, Singh PP, et al. Acid-suppressive medications and risk of oesophageal adenocarcinoma in patients with Barrett’s oesophagus: a systematic review and meta-analysis. Gut 2014;63:1229-37.
- Wang KK, Sampliner RE, Practice Parameters Committee of the American College of Gastroenterology. et al. Updated guidelines 2008 for the diagnosis, surveillance and therapy of Barrett’s esophagus. Am J Gastroenteroly 2008;103;788-97.
- Winberg H, Lindblad M, Lagergren J, Dahlstrand H. Risk factors and chemoprevention in Barrett’s esophagus: an update. Scand J Gastroenterol 2012;47:397-406.
Auteurs
Van de Casteele M.
Departement Hepatologie UZ Gasthuisberg en Departement Geneesmiddelen RIZIV
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