Analyse


Faut-il ajuster le calcul de la clairance en créatinine en fonction du contrôle glycémique chez les patients diabétiques ?


15 02 2015

Professions de santé

Analyse de
Tsuda A, Ishimura E, Ohno Y, et al. Poor glycemic control is a major factor in the overestimation of glomerular filtration rate in diabetic patients. Diabetes Care 2014;37:596-603.


Conclusion
Cette étude montre qu’une correction de l’estimation du débit de filtration glomérulaire (basée habituellement sur le taux de créatinine sérique) par le taux d’HbA1c est souhaitable chez des patients diabétiques chez qui l’on cherche à estimer avec précision le débit de filtration glomérulaire. La formule proposée semble applicable et cliniquement utile mais ces résultats devront être confirmés dans d’autres populations.


Faut-il ajuster le calcul de la clairance en créatinine en fonction du contrôle glycémique chez les patients diabétiques ?

La détection précoce et la prévention de l’évolution de l’insuffisance rénale chronique liée à la néphropathie diabétique constituent un enjeu important dans la prise en charge des patients diabétiques (1). Le débit de filtration glomérulaire (DFG) est actuellement le meilleur paramètre pour déterminer la fonction rénale (2,3) et se base habituellement sur le taux de créatinine sérique via l’estimation de sa clairance. Toutefois, ce taux peut être affecté par différents éléments, comme la masse musculaire, le sexe et l’âge. La revue Minerva a déjà fait remarquer qu’aucune des formules faisant intervenir le taux de créatinine sérique n’est optimale pour estimer le DFG chez tous les patients et dans toutes les situations (2,3). La présence d’un diabète serait également associée à des taux plus bas de créatinine sérique ce qui pourrait mener à une surestimation du DFG (4). Une alternative a été proposée sous la forme d’un calcul du DFG sur base du dosage de le cystatine C, car elle est non sensible à la masse musculaire, le sexe et l’âge.

L’objectif de l’étude de Tsuda et al. (5) est d’évaluer ces deux méthodes de calcul du DFG chez des patients diabétiques ou non, en utilisant comme technique de référence la clairance en inuline (Cin), pour éventuellement proposer une formule ajustée selon le contrôle glycémique (HbA1c) chez les diabétiques. Pour ce faire, les auteurs ont sélectionné 40 sujets diabétiques (âge moyen de 64 ans) et les ont comparés à 40 sujets non-diabétiques (âge moyen de 48 ans) en utilisant trois formules (créatinine, cystatine C ou les deux en combinaison) versus le test de référence (clairance de l’inuline). Les sujets étant japonais, les auteurs ont utilisé des formules spécifiques à cette population. Les deux groupes étaient comparables entre eux pour la pression artérielle, la répartition des sexes et l’IMC, mais pas pour l’âge moyen, les sujets diabétiques étant plus âgés. Le taux moyen d’HbA1c chez les sujets diabétiques était de 8,1 ± 1,5%. Le taux de créatinine sérique était de 0,7 (± 0,3) mg/dl pour les sujets diabétiques et de 1,2 (± 0,6) mg/dl pour les non diabétiques (p < 0,0001). L’eGFR calculée sur base de la créatinine était de 75 et 53 ml/min/1,73 m2 respectivement (p < 0,0001) alors que la Cin était comparable dans les deux groupes (68,1 (± 20,6) vs 62,4 (± 26,8) mg/min/1,73 m2 ; p = 0,2866). Le coefficient de corrélation intra classe entre l’eGFR calculée sur base du taux sérique de la créatinine et la Cin était de 0,669 (avec IC à 95% de 0,442 à 0,816) chez les sujets diabétiques et de 0,847 (avec IC à 95% de 0,717 à 0,921) chez les sujets non-diabétiques. En corrigeant ce taux en fonction du taux d’HbA1c, ce taux montait à 0,768 (avec IC à 95% de 0,593 à 0,874) et 0,938 (avec IC à 95% de 0,879 à 0,969) respectivement. Les auteurs en ont déduit les formules de correction de la clairance calculée en fonction du taux d’hémoglobine glyquée, à savoir : eGFR corrigé = eGFR /(0,428 + 0,085 x HbA1c) où eGFR est le débit de filtration glomérulaire estimé, calculé en fonction du taux de créatinine sérique (en ml/min/1,73 m2), et HbA1c est le taux d’hémoglobine glyquée en %. Les auteurs concluent que la prise en compte du taux d’HbA1c améliore l’estimation du DFG basée sur le taux sérique de créatinine et de cystatine C sérique. La correction de ce calcul effectuée sur base du taux d’HbA1c serait applicable et cliniquement utile.

Cette étude transversale est remarquable de par la simplicité de sa conception et de la formule obtenue. La différence obtenue entre l’eGFR (sur base de la créatinine et/ou la cystatine C sérique) et Cin présentait une signification clinique, puisqu’elle représentait 13 ml/min/1,73 m2. L’étude présente toutefois certaines faiblesses sur le plan de la validité interne et externe. Le type de diabète, sa durée d’évolution et le taux de complications (notamment l’albuminurie) ne sont pas pris en compte. L’âge est différent dans les deux groupes. La taille de l’échantillon est petite et les sujets étudiés sont tous japonais. Il s’agissait de patients d’âge moyen, normotendus, dont la fonction glomérulaire était globalement normale. Il faut par ailleurs rappeler que dans l’évolution de la néphropathie diabétique (en particulier chez les sujet diabétiques de type 1), la diminution du débit de filtration glomérulaire est un évènement tardif (6) et que la décision clinique d’instaurer un traitement spécifique par inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine repose plutôt sur la présence d’une microalbuminurie (7-9).

 

Conclusion

Cette étude montre qu’une correction de l’estimation du débit de filtration glomérulaire (basée habituellement sur le taux de créatinine sérique) par le taux d’HbA1c est souhaitable chez des patients diabétiques chez qui l’on cherche à estimer avec précision le débit de filtration glomérulaire. La formule proposée semble applicable et cliniquement utile mais ces résultats devront être confirmés dans d’autres populations.

 

 

Références 

  1. Van Pottelbergh G, Avonts M, Cloetens H, et al. Recommandations de bonne pratique. Insuffisance rénale chronique. SSMG 2012.
  2. Van Pottelbergh G. Quelle est la formule qui fournit l’estimation la plus précise du débit de filtration glomérulaire? MinervaF 2012(9):108-9.
  3. Earley A, Miskulin D, Lamb EJ, et al. Estimating equations for glomerular filtration rate in the era of creatinine standardization. Ann Intern Med 2012;156:785-95.
  4. Harita N, Hayashi T, Sato KK, et al. Lower serum creatinine is a new risk factor of type 2 diabetes: the Kansai healthcare study. Diabetes Care 2009;32:424-6.
  5. Tsuda A, Ishimura E, Ohno Y, et al. Poor glycemic control is a major factor in the overestimation of glomerular filtration rate in diabetic patients. Diabetes Care 2014;37:596-603.
  6. Mogensen C, Christensen CK, Vittinghu E. The stages in diabetic renal disease. With emphasis on the stage of incipient diabetic nephropathy. Diabetes 1983;32:787-90.
  7. Vanhaeverbeek M. Antihypertenseurs pour prévenir la néphropathie diabétique. MinervaF 2014;13(1):2-3.
  8. Lv J, Perkovic V, Foote CV, et al. Antihypertensive agents for preventing diabetic kidney disease. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 12.
  9. ACE Inhibitors in Diabetic Nephropathy Trialist Group. Should all patients with type 1 diabetes and microalbuminuria receive angitensin converting enzyme inhibitors? A meta-analysis of individual patient data. Ann Intern Med 2001;134:370-9.

Auteurs

Richard T.
endocrinologue, Service de Médecine Interne CHU de Charleroi-Chimay
COI :

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