Analyse
Quelle est la place des pastilles à sucer en cas de mal de gorge aigu ?
Les antibiotiques sont généralement déconseillés en cas de mal de gorge aigu, tant chez l’enfant que chez l’adulte. Ce n’est que si le patient est très malade ou en cas de risque accru de complications qu’une cure de 7 jours de pénicilline V peut être recommandée (1-6). L’ajout de corticostéroïdes soulage plus rapidement le mal de gorge, mais la pertinence clinique de ce gain statistiquement significatif est douteuse, et la sécurité n’a pas été suffisamment évaluée (7,8). Les patients souffrant de mal de gorge souhaitent avant tout un antalgique (9). La pharmacie dispose de médicaments mais aussi de comprimés pour la gorge et d’autres préparations buccales dans ce but.
En 2017, une synthèse méthodique a recherché dans différentes sources électroniques (MEDLINE, EMBASE, CENTRAL) des études randomisées contrôlées qui examinaient l’effet des pastilles à sucer à l’amylmétacrésol et à l’alcool 2,4-dichlorobenzylique (AMC/DCBA) chez des patients en première ligne présentant un mal de gorge aigu non compliqué probablement dû à une infection des voies respiratoires supérieures (10). Deux auteurs indépendants ont évalué les publications quant à leur pertinence, quant aux critères d’inclusion et quant au risque de biais. Au final, sélection de 3 études randomisées contrôlées qui comparaient les pastilles à sucer à l’AMC/DCBA et des pastilles à sucer placebo (sans principe actif) chez 661 patients atteints de mal de gorge aigu (≤ 4 jours) et d’amygdalopharyngite confirmée. Dans une étude, de la lidocaïne a été ajoutée à l’AMC/DCBA. Les études incluses montrent quelques faiblesses sur le plan méthodologique. Le recrutement des patients est souvent insuffisamment décrit, ce qui fait qu’un biais de sélection est possible. L’AMC/DCBA a un goût particulier, et on ne sait pas si la population de l’étude l’a reçu en aveugle. Dans une étude, on ignore si l’emploi de paracétamol comme médicament de secours a influencé les résultats. Un biais de publication n’a pas été exclu ; toutes les études incluses ont été commanditées par le fournisseur d’AMC/DCBA.
Le mal de gorge initial, de 7,15 points en moyenne (N = 2 études) sur une échelle à 11 points (0 = pas de douleur à 10 = douleur la plus forte), a diminué, 2 heures après une pastille à sucer, de 1,92 point (IC à 95% de -1,78 à -2,06) dans le groupe AMC/DCBA et de 0,95 point (IC à 95% de -0,85 à -1,03) dans le groupe placebo. On a donc observé un soulagement de la douleur plus important avec une pastille à sucer à l’AMC/DCBA qu’avec un placebo, et ce de manière statistiquement significative (différence moyenne standardisée(DMS) -0,60 avec IC à 95% de -0,75 à -0,45 ; p < 0,00001; I² = 0%). Sur le plan des critères de jugement secondaires, les patients du groupe intervention ont présenté, 2 heures après la prise d’une pastille à sucer à l’AMC/DCBA, un soulagement de la douleur plus important (DMS 0,89 avec IC à 95% de 0,73 à 1,04) sur une échelle à 7 points (0 = pas de soulagement de la douleur et 6 = soulagement complet), moins de plaintes à la déglutition (DMS -0,90 avec IC à 95% de -1,06 à -0,75) sur une échelle EVA à 100 points et une plus forte sensation d’engourdissement de la gorge (DMS 0,59 avec IC à 95% de 0,39 à 0,78) sur une échelle à 5 points. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant aux effets indésirables. Dans une analyse de sensibilité avec exclusion des études dans lesquelles de la lidocaïne était ajoutée aux pastilles à sucer à l’AMC/DCBA, on n’a pas pu constater de différence statistiquement significative dans l’ampleur de l’effet.
Tant la réduction absolue de la douleur après 2 heures dans le groupe intervention que la différence en termes de diminution de la douleur après 2 heures entre le groupe intervention et le groupe témoin se situent sous un seuil de pertinence clinique de 2 points sur une échelle à 11 points (11). Il est probable que la plupart des patients souffrant de mal de gorge ne remarquent donc aucune différence quant à la diminution de la douleur entre les pastilles à sucer à l’AMC/DCBA et les pastilles placebo. La pertinence clinique de la différence quant à la diminution de la douleur sur une échelle à 7 points après 2 heures est douteuse. Une seule étude qui examinait l’effet de prises régulières de pastilles à sucer à l’AMC/DCBA versus des pastilles placebo durant un épisode de mal de gorge a observé qu’une plus grande proportion de patients n’avaient plus de symptômes après 48 heures (16% vs 6%) et après 96 heures (35% vs 10%), et ce de manière statistiquement significative (12). Outre l’association AMC/DCBA, d’autres pastilles à sucer sont enregistrées comme médicaments en Belgique, comme l’ambroxol, le déqualinium et le flurbiprofène. Il ressort de plusieurs études que ces pastilles apportent un soulagement de la douleur comparable, statistiquement significatif, mais limité, par comparaison avec un placebo (13-16).
Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études randomisées, contrôlées, correctement menée, permet de conclure que les pastilles à sucer qui associent l’amylmétacrésol et l’alcool 2,4-dichlorobenzyl apportent, 2 heures après utilisation, un soulagement de la douleur plus important que les pastilles de placebo, et ce de manière statistiquement significative, chez les patients souffrant d’un mal de gorge aigu suite à une infection des voies respiratoires supérieures. La pertinence clinique de cet effet en cas de mal de gorge reste incertaine, par comparaison avec d’autres médicaments antalgiques locaux et oraux.
Pour la pratique
Pour soulager les symptômes du mal de gorge, le paracétamol est recommandé à la dose maximale de 4 x 1 g par jour chez l’adulte et de 60 mg/kg par jour chez l’enfant. L’ibuprofène est une bonne alternative, mais il faut tenir compte des possibles effets indésirables (gastro-intestinaux), de la comorbidité (comme l’insuffisance rénale) et des médicaments concomitants. La dose maximale est de 3 x 400 mg par jour chez l’adulte et de 7 à 10 mg par kg par prise, tout au plus 3 fois par jour chez l’enfant (GRADE 1A) (17). Bien qu’un soulagement de la douleur statistiquement significatif ait été montré avec les pastilles à sucer à l’AMC/DCBA par comparaison avec les pastilles de placebo, il demeure difficile de prédire combien de patients auront un soulagement cliniquement pertinent. On ne sait pas non plus très bien quelle est la place des pastilles à sucer à côté des autres antalgiques locaux et oraux pour le mal de gorge.
Dénomination du médicament
- Pastilles à sucer à l’amylmétacrésol et à l’alcool 2,4-dichlorobenzyl (AMC/DCBA) : Strepsils®
- Pastilles à sucer contenant de l’ambroxol : Mucoangin®
- Pastilles à sucer contenant du flurbiprofène : Flubilarin®, Flurbiprofen EG®, Strephen®
- Pastilles à sucer contenant du déqualinium : Anginol Lidocaïne®, Oro Rhinathiol Dequalin®
- De Meyere M. Zeven dagen versus drie dagen penicilline bij acute keelpijn. Minerva 2000;29(5):230-2.
- Zwart S, Sachs AP, Ruijs GJ, et al. Penicillin for acute sore throat: randomised double blind trial of seven days versus three days treatment or placebo in adults. BMJ 2000;320:150-4. DOI: 10.1136/bmj.320.7228.150
- De Meyere M. La pénicilline pour le mal de gorge aigu chez l'enfant? MinervaF 2004;3(9):149-51.
- Zwart S, Rovers MM, de Melker RA, Hoes AW. Penicillin for acute sore throat in children: randomised, double blind trial. BMJ 2003;327:1324-7. DOI: 10.1136/bmj.327.7427.1324
- De Meyere M. Céphalosporines versus pénicilline chez les enfants présentant une angine à streptocoques. MinervaF 2004;3(9):151-3.
- Casey JR, Pichichero ME. Meta-analysis of cephalosporin versus penicillin treatment of group A streptococcal tonsillopharyngitis in children. Pediatrics 2004;113:866-82. DOI: 10.1542/peds.113.4.866
- Chevalier P, Delobelle L, Tuerlinckx D. Un corticostéroïde pour soulager le mal de gorge ? MinervaF 2013;12(5):62-3.
- Hayward G, Thompson MJ, Perera R, et al. Corticosteroids as standalone or add-on treatment for sore throat. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD008268.pub2
- van Driel ML, de Sutter A, Deveugele M, et al. Are sore throat patients who hope for antibiotics actually asking for pain relief? Ann Fam Med 2006;4:494-9. DOI: 10.1370/afm.609
- Weckmann G, Hauptmann-Voß A, Baumeister SE, et al. Efficacy of AMC/DCBA lozenges for sore throat: a systematic review and meta-analysis. Int J Clin Pract 2017;71. DOI: 10.1111/ijcp.13002
- Farrar JT, Portenoy RK, Berlin JA, et al. Defining the clinically important difference in pain outcome measures. Pain 2000;88:287-94. DOI: 10.1016/S0304-3959(00)00339-0
- McNally D, Simpson M, Morris C, et al. Rapid relief of acute sore throat with AMC/DCBA throat lozenges: randomised controlled trial. Int J Clin Pract 2010;64:194-207. DOI: 10.1111/j.1742-1241.2009.02230.x
- Chenot JF, Weber P, Friede T. Efficacy of ambroxol lozenges for pharyngitis: a meta-analysis. BMC Fam Pract 2014;13:15-45. DOI: 10.1186/1471-2296-15-45
- Krämer W. [Treatment of tonsillitis with dequalinium chloride.] [Article in German] Fortschr Med 1977;95:1108-10.
- de Looze F, Russo M, Bloch M, et al. Efficacy of flurbiprofen 8.75 mg spray in patients with sore throat due to an upper respiratory tract infection: a randomised controlled trial. Eur J Gen Pract 2016;22:111-8. DOI: 10.3109/13814788.2016.1145650
- Shephard A, Smith G, Aspley S, Schachtel BP. Randomised, double-blind, placebo-controlled studies on flurbiprofen 8.75 mg lozenges in patients with/without group A or C streptococcal throat infection, with an assessment of clinicians' prediction of 'strep throat'. Int J Clin Pract 2015;69:59-71. DOI: 10.1111/ijcp.12536
- Odeurs P, Matthys J, De Meyere M, et al. Mal de gorge aigu. Ebpracticenet 1/05/2017. Dernière mise à jour 9/10/2017.
Ajoutez un commentaire
Commentaires