Analyse


Comment prendre les comprimés de fer pour un résultat optimal ?


17 12 2018

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Stoffel NU, Cercamondi CI, Brittenham G, et al. Iron absorption from oral iron supplements given on consecutive versus alternate days and as single morning doses versus twice-daily split dosing in iron-depleted women: two open-label, randomised controlled trials. Lancet Haematol 2017;4:e524-e533. DOI: 10.1016/S2352-3026(17)30182-5


Conclusion
Cette publication de deux études randomisées contrôlées en ouvert chez des femmes présentant un déficit en fer modéré suggère que l’absorption d’un supplément de fer est meilleure avec une seule prise tous les deux jours qu’avec deux prises quotidiennes. Ces résultats pharmacocinétiques doivent être confirmés dans une étude avec des critères de jugement cliniques chez des patients atteints d’anémie modérée ou sévère.


Que disent les guides de pratique clinique ?
L’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) recommande un schéma thérapeutique intensif en cas d’anémie due à un déficit en fer : 100 à 200 mg de fumarate de fer (32,5 à 65 mg de fer) une à trois fois par jour en fonction de la gravité de l’anémie et des effets indésirables rencontrés. L’Organisation Mondiale de la Santé recommande une dose journalière de 120 mg de fer sans préciser de quel sel de fer il s’agit. L’étude discutée ici signale la possibilité d’accroître l’absorption du supplément de fer en le prenant de manière intermittente (un jour sur deux), voire en prenant la dose du jour en une seule prise.



Les femmes âgées de 25 à 45 ans qui présentent une fatigue inexpliquée et dont le taux de ferritine est faible (< 50 µg/l) ont peut-être avantage à prendre un supplément de fer. Les faits probants sont toutefois insuffisants pour réaliser systématiquement un bilan martial chez ces patientes et éventuellement leur prescrire du fer (1,2). Chez les patients insuffisants rénaux en dialyse, le mode d’administration a un impact sur l’effet du fer : il est plus favorable en termes d’augmentation du taux d’hémoglobine s’il est administré par voie intraveineuse que par voie orale, bien qu’aucune différence statistiquement significative n’ait pu être observée en termes de mortalité, de modifications de l’administration d’érythropoïétine, de transfusions de sang ou de qualité de vie (3,4).

 

Pour l’administration orale de fer en cas de déficit modéré en fer, il reste la question de savoir quel schéma est préférable. Stoffel et al. ont mené deux études cliniques prospectives, en ouvert, randomisées et contrôlées (5). La population de l’étude était composée de femmes volontaires en bonne santé, âgées de 18 à 40 ans, ayant un taux de ferritine ≤ 25 µg/l et un taux d’hémoglobine d’au moins 8 g/dl (moyenne de 13 g/dl). Les autres critères d’inclusion étaient les suivants : CRP < 5 mg/l, BMI 18,5-26,5 kg/m², poids corporel < 80 kg. Étaient exclues les femmes qui étaient atteintes d’une affection chronique et/ou sévère, prenaient des médicaments de manière chronique (mis à part les contraceptifs), étaient enceintes, avaient fait un don de sang au cours des quatre derniers mois, fumaient ou avaient pris des suppléments de vitamines ou de minéraux deux semaines avant le début de l’étude. Dans les deux études, les patientes ont été randomisées (respectivement n = 40 pour l’étude 1 et n = 20 pour l’étude 2) dans différents schémas :

  • étude 1 : prise de 60 mg de fer (Fe) sous la forme de sulfate ferreux (FeSO4) une fois par jour le matin à 8 heures (± 1 heure) pendant 14 jours ou une fois tous les deux jours pendant 28 jours ; les patientes étaient à jeun et le restaient encore pendant trois heures après la prise, à l’exception d’un en-cas léger (yaourt) au moins une heure et demie après la prise
  • étude 2 : prise de 120 mg de fer (Fe) sous la forme de sulfate ferreux (FeSO4) une fois par jour (entre 7 heures et 9 heures) ou de 60 mg de fer le matin (entre 7 heures et 9 heures) et 60 mg l’après-midi (entre 16 heures et 18 heures) ; la prise du matin avait lieu à jeun et les patientes restaient encore à jeun pendant trois heures après la prise à l’exception d’un en-cas léger (yaourt) au moins une heure et demie après le supplément de fer ; la dose de l’après-midi était également prise à jeun (c’est-à-dire à distance suffisante du dernier repas) ; les patientes ont reçu un schéma donné pendant trois jours, et, 14 jours après la dernière dose, elles sont passées à l’autre schéma (étude croisée) ; pendant les 6 jours de supplément de fer, les patientes ont suivi un régime alimentaire standard.

 

Les critères de jugement primaires étaient l’absorption fractionnée et totale de fer et la concentration sanguine d’hepcidine. L’hepcidine est un peptide hormonal produit par le foie qui régule le métabolisme du fer et dont la concentration dans le sang diminue en cas de déficit en fer : l’hepcidine est un peu le « ferrostat » de l’organisme (6). La quantité d’isotopes du fer dans les érythrocytes a été déterminée 14 jours après la dernière administration. L’absorption fractionnée de fer, qui correspond au rapport entre la quantité de fer isotopique dans le sang (partant du principe d’une absorption de fer de 80 % dans les érythrocytes) et la concentration de fer circulant a été calculée. L’absorption totale de fer a été calculée en multipliant l’absorption fractionnée de fer par la dose cumulative de fer administrée durant l’étude. Les critères de jugement secondaires dans l’étude 1 étaient le taux d’hémoglobine, le taux de ferritine et la calprotectine fécale. Pour l’étude 2, aucun critère de jugement secondaire n’a été défini. Les effets indésirables ont été recherchés à l’aide d’un formulaire à compléter lors de chaque prise de sang.

Dans l’étude 1, l’absorption fractionnée moyenne de fer était de 16,3% pour l’administration quotidienne versus 21,8% pour la prise une fois tous les deux jours (p = 0,0013). L’absorption totale de fer était de 131,0 mg versus175,3 mg (p = 0,0010). La concentration sérique d’hepcidine était plus élevée au cours des 14 premiers jours en cas de prise quotidienne, versus prise une fois tous les deux jours (p = 0,0031), ce qui peut peut-être être expliqué par la fréquence plus élevée des prises de fer. A l’inverse, la concentration sérique d’hepcidine au cours de la 2ème phase de 14 jours de prise était plus élevée en cas de prise tous les 2 jours versus prise quotidienne. Dans l’étude 2, il n’y avait pas de différence statistiquement significative pour l’absorption fractionnée de fer entre les deux schémas. La prise deux fois par jour a cependant entraîné des concentrations en hepcidine plus élevées (p = 0,013), ce qui implique donc une plus faible absorption. Aucune des deux études n’a mentionné d’effet indésirable grave.

 

Conclusion

Cette publication de deux études randomisées contrôlées en ouvert chez des femmes présentant un déficit en fer modéré suggère que l’absorption d’un supplément de fer est meilleure avec une seule prise tous les deux jours qu’avec deux prises quotidiennes. Ces résultats pharmacocinétiques doivent être confirmés dans une étude avec des critères de jugement cliniques chez des patients atteints d’anémie modérée ou sévère.

 

Pour la pratique

L’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) recommande un schéma thérapeutique intensif en cas d’anémie due à un déficit en fer : 100 à 200 mg de fumarate de fer (32,5 à 65 mg de fer) une à trois fois par jour en fonction de la gravité de l’anémie et des effets indésirables rencontrés (7). L’Organisation Mondiale de la Santé recommande une dose journalière de 120 mg de fer sans préciser de quel sel de fer il s’agit (8). L’étude discutée ici signale la possibilité d’accroître l’absorption du supplément de fer en le prenant de manière intermittente (un jour sur deux), voire en prenant la dose du jour en une seule prise.

 

 

Références 

  1. Poelman T. Utilité d'une supplémentation en fer en cas de fatigue inexpliquée ? MinervaF 2004;3(7):112-3.
  2. Verdon F, Burnand B, Fallab Stubi C-L, et al. Iron supplementation for unexplained fatigue in non-anaemic women: double blind randomised placebo controlled trial. BMJ 2003;326:1124-7. DOI: 10.1136/bmj.326.7399.1124
  3. Chevalier P. Suppléments de fer en cas d’anémie sur insuffisance rénale : par voie orale ou intraveineuse ? MinervaF 2017;16(5):123-7.
  4. Shepshelovich D, Rozen-Zvi B, Avni T, et al. Intravenous versus oral iron supplementation for the treatment of anemia in CKD : an updated systematic review and meta-analysis. Am J Kidney Dis 2016;68:677-90. DOI: 10.1053/j.ajkd.2016.04.018
  5. Stoffel NU, Cercamondi CI, Brittenham G, et al. Iron absorption from oral iron supplements given on consecutive versus alternate days and as single morning doses versus twice-daily split dosing in iron-depleted women: two open-label, randomised controlled trials. Lancet Haematol 2017;4:e524-e533. DOI: 10.1016/S2352-3026(17)30182-5
  6. Fuquaa BK, Vulpe CD, Anderson GJ. Intestinal iron absorption. J Trace Elem Med Biol 2012;26:115-9. DOI: 10.1016/j.jtemb.2012.03.015
  7. Van Wijk MA, Mel M, Muller PA, et al. NHG-Standaard Anemie. Huisarts Wet 2003;46:21-9 (consulté le 28 novembre 2018).
  8. Stoltzfus RJ, Dreyfuss ML. Guidelines for the use of iron supplements to prevent and treat iron deficiency anemia. International Nutritional Anemia Consultative Group (INACG), WHO (consulté le 28 novembre 2018).

 

 


Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

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