Analyse
L’aspirine plutôt que le rivaroxaban en prévention de récidive pour une embolie cérébrale de cause indéterminée
L’aspirine est le traitement de référence pour la prévention de récidive d’accident vasculaire cérébral (AVC) après un accident ischémique transitoire (AIT) ou un premier AVC, hors contexte de fibrillation auriculaire. Minerva (1) a déjà discuté de l’intérêt d’un traitement antiagrégant plaquettaire en bithérapie (aspirine et/ou clopidogrel et/ou dipyridamole), proposé sur base d’une étude chinoise de grande dimension publiée en 2013 (3), chez des patients qui avaient fait un AIT ou un AVC mineur et pu être traités dans les 24 heures suivant le début des symptômes. Des analyses de sous-groupes d’une méta-analyse de 2012 (3) également analysée dans Minerva (4) ont montré que l’association de clopidogrel et d’aspirine a été supérieure à l’aspirine seule pour réduire le risque de récidive d’AVC dans les 90 premiers jours sans augmentation du risque d’hémorragie. Il manquait cependant de données pour extrapoler ces résultats à une population occidentale dans un système de soins de santé occidental. Une autre méta-analyse publiée en 2016 (5) et également discutée dans Minerva (6), basée sur des données individuelles, a souligné l’intérêt de l’administration (très) précoce d’aspirine post AIT ou AVC non sévère en termes de prévention de tout AVC (particulièrement les plus sévères), d’AVC ischémique et d’infarctus du myocarde.
Une étude randomisée de grande taille concernant la prévention secondaire de l’AVC ischémique récent de cause indéterminée (dite étude NAVIGATE ESUS) (7) a eu pour objet de comparer à l’aspirine un anticoagulant oral direct (ADO), le rivaroxaban. Ces AVC sont ceux dits cryptogéniques, c-à-d non dus à une fibrillation auriculaire ou à une forme sévère d’athérosclérose carotidienne extracrânienne ou intracrânienne. L’étude internationale conduite en double aveugle avec des placebos a comparé l’aspirine (100 mg/j) au rivaroxaban (15 mg /j). Les sujets devaient avoir au moins 50 ans et un AVC ischémique démontré par imagerie cérébrale dans les 7 jours à 6 mois précédant l’inclusion. S’ils avaient entre 50 et 59 ans, ils devaient avoir un facteur de risque cardiovasculaire additionnel (hypertension, diabète, antécédent d’AVC ischémique, tabagisme actif, insuffisance cardiaque). Le critère de jugement primaire pour l’efficacité était composite : survenue d’un nouvel AVC de tout type (ischémique, hémorragique ou de mécanisme indéterminé) ou d’une embolie systémique. Le critère de jugement primaire de sécurité était l’hémorragie majeure telle que définie par l’ISTH (International Society of Thrombosis and Hemostasis). Cette étude a été réalisée avec le soutien de la firme pharmaceutique Bayer and Janssen Research and Development.
Le recrutement s’est étalé de décembre 2014 à septembre 2017 avec arrêt suite à la deuxième analyse intermédiaire réalisée à cette dernière date et montrant un excès d’hémorragies majeures dans le bras rivaroxaban. Un total de 7213 patients (âge moyen de 67 ans avec 62% d’hommes) ont été randomisés. Pour l’objectif primaire, 5,1% (172/3609) des malades dans le bras rivaroxaban et 4,8% (160/3604) dans le bras aspirine ont présenté une récidive (différence non significative, HR à 1,07 avec IC à 95% de 0,87à 1,33). Par contre, 62 (1,8%) et 23 (0,7%) d’entre eux ont respectivement présenté une hémorragie sévère (différence statistiquement significative (p < 0,001) en défaveur du rivaroxaban : HR à 2,72 avec IC à 95% de 1,68 à 4,39). Il faut traiter 91 patients pour avoir une hémorragie majeure supplémentaire dans le groupe rivaroxaban, soit en termes de risque absolu 1,8%/an contre 0,7%/an avec l’aspirine.
Conclusion
Les résultats de l’étude dite NAVIGATE ESUS sont en faveur de la prévention secondaire de l’AVC ischémique récent de cause indéterminée par aspirine. Son comparateur, le rivaroxaban, un anticoagulant oral d’action directe, est associé à un risque accru statistiquement significatif d’hémorragie sévère.
Pour la pratique
Cette étude conforte les recommandations actuelles pour la prévention secondaire par aspirine de l’AVC ischémique non dû à une fibrillation auriculaire ou à une valvulopathie. Pour la Belgique, la fiche de transparence « AVC : prévention secondaire » du CBIP, qui propose l’aspirine à la dose journalière de 75 à 100 mg après un AVC ou un AIT (8), peut être une référence.
- Demeestere J, Thijs V. Aspirine plus clopidogrel dans la phase aiguë d’un AIT ou d’un AVC mineur ? MinervaF 2014;13(4):49-50.
- Wang Y, Wang Y, Zhao X, et al; CHANCE Investigators. Clopidogrel with aspirin in acute minor stroke or transient ischemic attack. N Engl J Med 2013;369:11-9. DOI: 10.1056/NEJMoa1215340
- Geeganage CM, Diener HC, Algra A, et al. Dual or mono antiplatelet therapy for patients with acute ischemic stroke or transient ischemic attack: systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Stroke 2012;43:1058-66. DOI: 10.1161/STROKEAHA.111.637686
- Demeestere J, Thijs V. Post AVC/AIT : antiagrégant plaquettaire en mono- ou bithérapie ? MinervaF 2013;12(6):69-70.
- Rothwell PM, Algra A, Chen Z, et al. Effects of aspirin on risk and severity of early recurrent stroke after transient ischaemic attack and ischaemic stroke: time-course analysis of randomised trials. Lancet 2016;388:365-75. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)30468-8
- Chevalier P. Administrer très rapidement de l’aspirine après un AIT ou un AVC mineur. Minerva bref 15/02/2017.
- Hart RG, Sharma M, Mundl H, et al. Rivaroxaban for stroke prevention after embolic stroke of undetermined source. N Engl J Med 2018;378:2191-201. DOI: 10.1056/NEJMoa1802686
- AVC : prévention secondaire. Fiches de Transparence. CBIP 2018; disponible sur :https://ft.cbip.be/fr/frontend/indication-group/14/summary
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :
Glossaire
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