Analyse
Dépistage de l’anévrisme de l’aorte abdominale par le médecin généraliste : mise à jour
S’appuyant sur une méta-analyse, Minerva était arrivé à la conclusion qu’un dépistage de l’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) réalisé une seule fois par échographie de l’abdomen chez des hommes asymptomatiques âgés de plus de 65 ans réduisait la mortalité liée à l’AAA, tant à court terme qu’à long terme (1,2). Il est apparu que l’effet de la répétition du dépistage n’était pas suffisamment fondé, tout comme était peu étayée l’utilité additionnelle éventuelle du dépistage chez les personnes ayant une atteinte cardiovasculaire ou des facteurs de risque (principalement le tabagisme, l’hypertension artérielle et les antécédents (familiaux) d’anévrisme) (1,2). Les commentateurs de la méta-analyse ont remarqué avec raison que, du fait, d’une part, de la diminution de la prévalence de l’AAA dans la population occidentale et des progrès de la chirurgie vasculaire et, d’autre part, des problèmes propres à un programme de dépistage généralisé (surdiagnostic, rapport bénéfices-coûts), il était nécessaire d’évaluer régulièrement les guides de pratique clinique relatifs au dépistage de l’AAA et éventuellement de les adapter (1).
Une étude de cohorte publiée en 2018, menée en Suède (3), que l’on considère comme un des leaders mondiaux en matière de dépistage de l’AAA, a permis de constater qu’entre 2000 et 2015, la mortalité liée à l’AAA chez les hommes âgés de 65 à 74 ans avait diminué, passant de 36 à 10 décès pour 100000 hommes. Cette diminution était similaire dans toutes les régions de Suède et était indépendante du fait que le dépistage avait ou non été offert. Chez les hommes chez qui le dépistage avait été effectué, une diminution non significative des décès liés à l’AAA par rapport à une cohorte sans dépistage a été observée après six ans : OR de 0,76 avec IC à 95% de 0,38 à 1,51. Le dépistage était toutefois associé à un plus grand nombre de diagnostics d’AAA (OR de 1,52 avec IC à 95% de 1,16 à 1,99 ; p = 0,002) et à un plus grand nombre d’interventions chirurgicales non urgentes (OR de 1,59 avec IC à 95% de 1,20 à 2,10 ; p = 0,001). Pour chaque cohorte de 10000 hommes chez qui le dépistage avait été effectué, il y a eu 49 surdiagnostics (avec IC à 95% de 25 à 73) et 19 opérations évitables (avec IC à 95% de 1 à 37). La conclusion des auteurs de cette étude suédoise était que la diminution de la mortalité liée à l’AAA ne devait pas être attribuée au programme de dépistage, mais qu’elle s’expliquait plutôt par le rôle important d’autres facteurs, comme la diminution du tabagisme. Et il est probablement vrai aussi que déjà bon nombre d’AAA ont été découverts indépendamment d’un programme de dépistage parce qu’en Suède (comme en Belgique d’ailleurs), la médecine de première ligne recherche efficacement l’AAA de manière orientée dans la population à risque ((anciens) fumeurs, hypertension artérielle, AAA dans les antécédents familiaux, autres facteurs de risque cardiovasculaires).
Une nouvelle synthèse méthodique a de nouveau examiné les avantages et les inconvénients du dépistage de l’AAA et du traitement des petits anévrismes (4). Après consultation de différentes bases de données, deux chercheurs, indépendamment l’un de l’autre et sur la base de critères d’inclusion prédéterminés, ont sélectionné 33 études (n = 323279). Les études incluses, tant des études randomisées contrôlées que des études observationnelles, présentaient une importante hétérogénéité clinique. Une méta-analyse de quatre études randomisées contrôlées a montré qu’un dépistage réalisé une seule fois à 65 ans (suite à une invitation) entraînait une diminution statistiquement significative de la mortalité liée à l’AAA (OR de 0,65 avec IC à 95% de 0,57 à 0,74 ; p = 0,002 ; I² = 80%) ( nombre nécessaire à dépister (Number Needed to Screen, NNS) de 305) après 12 à 15 ans, mais pas de la mortalité totale (OR de 0,99 avec IC à 95% de 0,98 à 1,00 ; p = 0,74 ; I² = 0,00%). Il y a eu moins de ruptures d’AAA (OR de 0,62 avec IC à 95% de 0,55 à 0,70 ; p = 0,09 ; I² = 53%) (NNS de 246) et moins d’interventions chirurgicales en urgence (OR de 0,57 avec IC à 95% de 0,48 à 0,68 ; p = 0,02 ; I² = 26%) (NNS de 500). En ce qui concerne ce dernier résultat, on a inclus aussi une étude randomisée contrôlée danoise qui a déjà fait l’objet d’une discussion dans Minerva. Elle montrait qu’un dépistage simultané de trois pathologies (AAA, artériopathie périphérique et hypertension artérielle) dans la prévention secondaire chez les hommes âgés de 65 à 74 ans diminuait la mortalité globale (5,6). La répétition du dépistage chez les personnes asymptomatiques sans AAA (diamètre < 3 cm) pendant un dépistage initial a été examinée dans sept études de cohorte et dans une étude cas-témoins, mais ces études étaient trop hétérogènes (un à six moments pour la répétition du dépistage, effectué tous les ans ou tous les cinq ans) pour tirer des conclusions. Quatre études (deux avec intervention réparatrice à ciel ouvert (n = 2226) et deux avec intervention réparatrice endovasculaire (n = 1088)) n’ont pas pu montrer de différence, quant à la mortalité totale et la mortalité spécifique à l’AAA en cas de petit AAA asymptomatique de 3 à 5,4 cm de diamètre, entre la chirurgie et un suivi attentiste tous les trois à six mois jusqu’à ce que le diamètre de l’AAA atteigne 5,5 cm ou augmente rapidement (> 1 cm/an) ou jusqu’à l’apparition de symptômes.
Conclusion
Cette méta-analyse de quatre études randomisées contrôlées, qui a été correctement menée, montre à nouveau qu’un dépistage de l’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) effectué une seule fois chez les hommes de 65 ans et plus diminue la mortalité spécifique à l’AAA mais pas la mortalité globale. Il est de plus en plus évident qu’un programme de dépistage de l’AAA à l’échelle de la population aura toujours une efficacité limitée, tandis que le risque de surdiagnostic et de surtraitement sera accru. Un des critères de Wilson et Jungner est dès lors mis à mal (le coût économique doit être compensé par les bénéfices).
Pour la pratique
À l’heure actuelle, les faits probants suggèrent que le dépistage de l’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) doit être effectué une seule fois chez les hommes de 65 ans. Dans le reste de la population, le dépistage doit cibler les groupes à risques (7). Il est urgent de mener une recherche spécifique sur des groupes cibles dans lesquels la recherche de cas donne certainement des résultats.
En attendant, nous conseillons au médecin généraliste de rechercher de manière ciblée un AAA chez tous les patients âgés de 65 ans et plus. Une échographie abdominale peut être envisagée à cet effet en cas de palpation abdominale suggestive, de facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle, (ancien) fumeur, artériopathie périphérique) ou d’antécédents familiaux d’AAA.
- De Becker S, De Cort P. Dépistage de l’anévrisme de l’aorte abdominale chez des adultes asymptomatiques ? MinervaF 2017:16(4):96-9.
- Ali MU, Fitzpatrick-Lewis D, Miller J, et al. Screening for abdominal aortic aneurysm in asymptomatic adults. J Vasc Surg 2016;64:1855-68. DOI: 10.1016/j.jvs.2016.05.101
- Johansson M, Zahl PH, Siersma V, et al. Benefits and harms of screening men for abdominal aortic aneurysm in Sweden: a registry-based cohort study. Lancet 2018;391:2441-7. DOI: 10.1016/S0140-6736(18)31031-6
- Guirguis-Blake JM, Beil TL, Senger CA, Coppola EL. Primary care screening for abdominal aortic aneurysm updated evidence report and systematic review for the US Preventive Services Task Force. JAMA 2019;322:2219-38. DOI: 10.1001/jama.2019.17021
- Chevalier P. Utilité d’un dépistage cardiovasculaire triple : anévrisme de l’aorte abdominale, artérite périphérique et hypertension artérielle. MinervaF 2018;17(7):93-8.
- Lindholt JS, Søgaard R. Population screening and intervention for vascular disease in Danish men (VIVA): a randomised controlled trial. Lancet 2017;390:2256-65. DOI: 10.1016/S0140-6736(17)32250-X
- Anévrisme et dissection de l’aorte. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 20/03/2017. Dernière révision contextuelle: 9/07/2019.
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