Analyse
L’anastrozole diminue le risque de développer un cancer du sein chez des femmes à risque mais sans impact sur la mortalité
La prévention médicamenteuse primaire du cancer du sein a fait l’objet de plusieurs études chez des femmes considérées à haut risque. Les médicaments utilisés sont des modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes (SERM en anglais) comme le tamoxifène ou le raloxifène ou des inhibiteurs de l’aromatase comme l’exémestane et l’anastrozole (1). Ces derniers sont mieux supportés. Minerva a commenté en 2014 une méta-analyse concernant les SERM dans cette indication, concluant que ces médicaments diminuent de manière statistiquement significative l’incidence des cancers du sein invasifs avec récepteurs sensibles aux estrogènes chez des femmes avec un risque élevé de cancer du sein, mais qu’une efficacité préventive sur la mortalité totale et sur la mortalité liée au cancer du sein n’est pas montrée (2,3). Le rapport entre les bénéfices et les effets indésirables (tels que les événements thromboemboliques et le carcinome de l’endomètre) n’était pas clairement établi.
Les inhibiteurs de l’aromatase ont fait l’objet de grandes études randomisées chez la femme postménopausée, avec comme acronymes MAP.3 pour l’exémestane (4) et IBIS-II pour l’anastrozole (5). Toutes les deux montrent une diminution significative de l’incidence de cancer du sein. Les résultats à long terme de la dernière étude ont été publiés en 2020 (6).
IBIS-II est un essai international, randomisé, en double aveugle, contrôlé par placebo. Il est soutenu par des fonds publics et industriels. Des femmes ménopausées à haut risque, âgées de 40 à 70 ans, ont été recrutées entre le 2 février 2003 et le 31 janvier 2012 dans 153 centres dans 18 pays. Sur base de facteurs de risque spécifiques et à l’aide de calculateurs de score, l’essai a recruté des femmes âgées de 45 à 60 ans avec un risque relatif (RR) de cancer du sein au moins 2 fois plus élevé que celui de la population générale, d’autres âgées de 60 à 70 ans avec un RR au moins 1,5 fois plus élevé, et des femmes âgées de 40 à 44 ans avec un RR au moins 4 fois plus élevé. Les femmes éligibles ont été randomisées entre l'anastrozole (1 mg par jour, par voie orale) ou le placebo pendant 5 ans. Le principal critère de jugement était le développement d'un cancer du sein confirmé histologiquement, soit invasif, soit non invasif (carcinome canalaire in situ). Les critères de jugement secondaires étaient l’apparition de cancer du sein à récepteurs d'estrogènes positifs, la mortalité par cancer du sein, le développement d'autres cancers, de maladies cardiovasculaires, de fractures et la mortalité toutes causes confondues.
En tout, 1920 et 1944 femmes ont été randomisées respectivement pour l'anastrozole et pour le placebo. Après un suivi médian total de 131 mois, une réduction de 49% du nombre de cancers du sein a été observée avec l'anastrozole (85 vs 165 cas : HR de 0,51 avec IC à 95% de 0,39 à 0,66 ; p < 0,0001). La réduction était plus importante au cours des 5 premières années (35 vs 89 nouveaux cas), et se poursuivait significativement après 5 ans (50 vs 76 nouveaux cas : HR de 0,64 avec IC à 95% de 0,45 à 0,91) ; p = 0,014). Le développement de cancer du sein invasif avec récepteurs positifs aux œstrogènes a été réduit de 54% (HR de 0,46 avec IC à 95% de 0,33 à 0,65 ; p < 0,0001). Une diminution de 59% des carcinomes canalaires in situ a aussi été observée (HR de 0,41 avec IC à 95% de 0,22 à 0,79 ; p = 0,0081). Aucune différence significative de décès n'a été observée ni globalement (69 vs 70, HR de 0,96 avec IC à 95% de 0,69 à1,34 ; p = 0,82) ni pour le cancer du sein (deux dans le bras anastrozole vs trois avec le placebo). Il n’a pas été noté d’importants effets indésirables tels qu’un excès de fractures, l’apparition d’autres cancers, un excès de maladies cardiovasculaires ou de mortalité spécifique autre.
Le nombre de femmes nécessaire à traiter (NNT) pendant 5 ans pour prévenir un cancer du sein au cours des 12 premières années de suivi est de 29 avec l’anastrozole, ce qui se compare favorablement aux 58 nécessaires avec le tamoxifène (7).
Des méta-analyses récentes montrent également la réduction de l’incidence du cancer du sein avec ces médicaments (8,9). A noter qu’aucun de ces essais de grande taille ne cible le risque majeur du cancer mammaire, celui des femmes BCRA1/2.
Conclusion
Les résultats de la mise à jour à long terme d’IBIS-II montrent un effet continu significatif à 12 ans de suivi de 5 ans de traitement par anastrozole dans la prévention du cancer du sein chez les femmes ménopausées à haut risque évalué selon leur âge. Aucun nouvel événement indésirable majeur n'a été identifié. Avec 12 ans de suivi, ces données renforcent les conclusions du rapport initial.
Pour la pratique
L’anastrozole n’a pas d’AMM dans l’Union européenne pour la prévention primaire médicamenteuse du cancer du sein chez des femmes à haut risque. Il ne peut donc être prescrit. Aux Etats-Unis, l’US Preventive Services Task Force recommande la prescription dans cette indication d’un SERM ou d’un inhibiteur de l’aromatase (1), tout comme NICE pour les cancers mammaires familiaux en Grande-Bretagne (10).
Les résultats positifs observés de l’étude IBIS-II après 5 ans de prise d’anastrozole chez des femmes ménopausées âgées de 40 à 70 ans à haut risque de développer un cancer du sein, classée selon l’âge, sont confirmés à 12 ans de suivi. La prévention primaire du cancer du sein pourrait être discutée en Europe comme indication de l’anastrozole.
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- Vermeire E. Dans quelle mesure les modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes (SERM) préviennent-ils le développement du cancer du sein ? Minerva bref 15/05/2014.
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- Cuzick J, Sestak I, Forbes JF, et al. Use of anastrozole for breast cancer prevention (IBIS-II): long-term results of a randomised controlled trial. Lancet 2020;395:117-22. DOI: 10.1016/S0140-6736(19)32955-1
- Cuzick J, Sestak I, Cawthorn S, et al. Tamoxifen for prevention of breast cancer: extended long-term follow-up of the IBIS-I breast cancer prevention trial. Lancet Oncol 2015;16:67-75. DOI: 10.1016/S1470-2045(14)71171-4
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- Nelson HD, Fu R, Zakher B, et al. Medication use for the risk reduction of primary breast cancer in women: updated evidence report and systematic review for the US Preventive Services Task Force. JAMA 2019;322(9):868-86. DOI: 10.1001/jama.2019.5780
- National Institute for Health and Care Excellence. Familial breast cancer: classification, care and managing breast cancer and related risks in people with a family history of breast cancer. NICE clinical guideline [CG164] 2013. Available from: https://www.nice.org.uk/guidance/cg164/resources/familial-breast-cancer-classification-care-and-managing-breast-cancer-and-related-risks-in-people-with-a-family-history-of-breast-cancer-pdf-35109691767493
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
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